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Il vit aussi Reynier, un noble enfant, qui s’était fait le serviteur de son indigence.

À Paris, personne n’ignore le prix que peut valoir un secret.

Mais, je le répète, Carpentier était un honnête homme; il pensa:

– Le colonel a justement promis de mettre Irène en pension et Reynier au collège. Ai-je le droit de juger celui que toute la ville regarde comme un saint?

Il tournait l’angle occidental de l’école et pressait le pas pour regagner enfin sa demeure, lorsqu’une pensée le frappa et l’arrêta comme si la main d’un homme robuste l’eût saisit en arrière par le collet.

– Je me souviens! s’écria-t-il en touchant son front, qui ruisselait. La voix! la voix du cocher qui a dit: «Merci!» c’est la même, j’en suis sûr, il me semble que je l’entends encore, la même qui avait dit à la barrière: «Avez-vous quelque chose à déclarer?»

Il s’interrompit tout tremblant d’émotion.

– Mais alors, fit-il, la barrière? Il n’y avait pas de barrière. Le cocher jouait le rôle du préposé. La voiture n’est pas sortie de Paris. Mon épreuve de tout à l’heure, loin d’être une folie ridicule, a dit la vérité. Nous sommes partis d’un point pour y revenir. Je connais le point d’arrivée, cela me donne le point de départ…

Ses bras tombaient le long de ses flancs et sa tête pendait sur sa poitrine. Il dit encore:

– Qu’y a-t-il derrière ce masque de bonhomie sénile? Je ne devine pas l’énigme de ce visage qui rit, mais qui fait peur. Je n’ai jamais rien vu de pareil à ce vieillard. Mon instinct me crie qu’il creuse un trou pour abriter son trésor. Pourquoi ai-je la sueur froide au front? Suis-je sur la trace d’un crime?

VI La maison de Vincent

L’aube commençait à poindre quand Vincent Carpentier arriva devant son pauvre logis.

Il habitait les combles d’une petite maison isolée et entourée de terrains vagues. Il n’y avait point de concierge.

Le rez-de-chaussée était une buvette borgne, à l’enseigne de la Grande-Obuse.

Les autres étages abritaient des employés des chantiers voisins. C’est le quartier du bois et de la houille. On y trouve, dans la même rue, le chantier du Grenadier-Français, le chantier du Vrai-Grenadier-Français, le chantier du Nouveau-Grenadier-Français, et enfin le chantier du Seul-Grenadier-Français.

Celui-là est plus effronté que la Grande-Obuse elle-même.

Vincent ouvrit la porte extérieure à l’aide de son loquet et monta l’escalier aux marches déjetées. Son logement était composé de deux chambrettes et d’un petit grenier dans lequel couchait Reynier, cet enfant dont nous avons déjà parlé bien des fois.

Ordinairement, Vincent rentrait de son travail vers huit heures du soir; on soupait en famille, et chacun allait se mettre au lit pour se lever de bon matin, le lendemain; mais la veille Vincent était sorti avec ses habits des jours de fête, en prenant soin d’annoncer qu’il rentrerait peut-être tard.

Les deux enfants l’avaient attendu, malgré sa défense, et leur veillée s’était prolongée jusqu’à minuit, sans autre tristesse que l’inquiétude causée par l’absence de leur père: car Irène et Reynier ne s’ennuyaient jamais ensemble.

Irène avait dix ans. Elle apprenait l’état de brodeuse.

Reynier venait d’atteindre sa seizième année. Il étudiait la sculpture sur bois chez un maître et la peinture tout seul.

En outre, il faisait tout à la maison, depuis le ménage jusqu’à la cuisine, qui, à la vérité, n’était pas des plus compliquées.

C’était déjà un grand jeune homme par la taille. Les dames du commerce de chauffage qui habitaient le premier et le second le trouvaient beau garçon, et ce n’était, de leur part, que justice. Il avait une figure douce et remarquablement intelligente qui s’encadrait dans de grands cheveux noirs bouclés, moelleux et lourds comme de la soie.

La lumière arrachait des reflets fauves à cette brune chevelure que les dames du bois flotté lui auraient enviée si elles ne l’avaient trouvée merveilleusement à sa place sur cette tête d’adolescent si charmante et si bonne.

Reynier, en effet, était surtout bon, cela sautait aux yeux.

Les maris des voisins disaient même qu’il était bête. Pourquoi? Mystère!

La bonté qui rayonne sur un visage inspire chez nous un tout autre sentiment que l’admiration. Nous sommes ainsi faits dans le commerce du bois et ailleurs. Cela peut empêcher un jeune homme d’avancer.

La méchanceté a plus de défense. On ne l’aime pas, mais on la craint.

Je parle des mâles. Les femmes jugent mieux.

Loin de détester les agneaux, elles les mangent.

Elles ouvraient toutes leurs fenêtres, les voisines des premiers étages, quand Reynier chantait dans sa mansarde. Il chantait bien, d’une voix pure et grave qui faisait vibrer le cœur.

Une fois, Mme Putifat, la compagne grassouillette du cordeur qui demeurait au second, avait abordé Reynier dans l’escalier pour lui demander l’heure.

Reynier n’avait pas de montre.

Mme Putifat s’était informée du lieu de sa naissance. Reynier n’en savait trop rien.

Il se souvenait d’avoir été petit enfant, de l’autre côté de Venise, dans l’Italie autrichienne, avec des nomades qui étamaient les casseroles et disaient la bonne aventure.

C’était, dans toute la rigueur du terme, à la grâce de Dieu qu’il avait vécu, accomplissant ici et là ces humbles travaux qu’on dédaigne à l’égal de la mendicité: faquin à Venise, décrotteur à Milan, je ne sais quoi à Naples, jusqu’au moment où il avait rencontré Mme Carpentier, pauvre belle créature qu’il revoyait dans ses rêves avec l’auréole de la mort.

Il avait veillé auprès du lit d’agonie en berçant la petite Irène dans ses bras. Et il était devenu membre de la famille le jour triste où Vincent et lui, seuls tous deux, avaient suivi le char qui menait la jeune mère au champ de repos.

Certes, Reynier n’avait point raconté tout cela à Mme Putifat, la voisine qui causait dans les escaliers; aussi Mme Putifat, partageant franchement l’avis de l’autre sexe, regardait-elle Reynier comme un imbécile.

Cela ne l’inquiétait point.

Il ne le savait pas, et pourtant il savait bien des choses.

Irène prétendait qu’il savait tout.

Irène n’avait pas eu d’autre professeur pour apprendre à lire et à écrire. Où donc Reynier l’avait-il appris lui-même? Il avait bien quelques vieux livres sur la planche de son grenier, mais il racontait de belles histoires qui n’étaient point dans ces livres.

Quand Irène était embarrassée pour sa broderie, Reynier, dont les mains étaient adroites comme celles d’une fée, se jouait de la difficulté.

Plus d’une fois, Vincent s’était moqué de lui, pour l’avoir trouvé maniant l’aiguille.

Mais quand Vincent avait à remuer un objet trop lourd, il appelait Reynier, à qui aucun fardeau ne résistait.

Cet enfant de quinze ans était fort comme un athlète.

Reynier ne gagnait rien chez son sculpteur en bois, et pourtant il avait quelque argent, car il faisait souvent des petits cadeaux de toilette à Irène. Son costume était toujours propre et porté avec une élégance native.