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– Je m’en souviens.

– Et il ajouta: «Prends garde à la nonne d’Italie. Le démon n’a ni âge ni sexe. Prends garde à la mère Marie-de-Grâce…» Est-ce vrai?

– C’est vrai.

– Vous n’aviez, ni Reynier ni vous, aucune idée du motif qui l’avait porté à quitter une position heureuse et brillante pour s’ensevelir vivant au fond d’une tombe. Reynier, pourtant, se souvint que Vincent regardait souvent un certain tableau copié dans la galerie Biffi, à Rome. Ce tableau représentait une scène bizarre et terrible à la fois: un drame qui semblait toucher par de mystérieux côtés à l’aventure extraordinaire qui marqua la traversée de Reynier lorsque se rendant à Rome pour la première fois, il fit naufrage sur les côtes de la Corse. Vincent avait même voulu posséder ce tableau. Il le contemplait avidement et longtemps. Le souterrain où avait lieu le parricide laissait deviner dans son ombre des tas d’or accumulés. Il semblait que le regard de Vincent essayât de percer ces ténèbres. Reynier pense que c’était ce tableau qui avait troublé la cervelle de Vincent.

– Reynier me le dit au début, madame, mais il ne garda pas cette croyance.

– Et pourtant, fit la comtesse dont la voix baissait sous l’effort de ses réflexions, comme si elle eût poursuivi mentalement la solution d’un problème, et pourtant, votre père était sans cesse obsédé par le souvenir de ce tableau. Il voyait le meurtre et le trésor.

– Oui, murmura Irène, involontairement, le trésor, toujours le trésor!

– Bien plus, il s’appropriait la plupart des faits contenus dans le récit de Reynier, dont il déplaçait seulement le lieu de scène. Il racontait ce drame comme s’il en eût été le principal acteur. Au lieu de l’île de Corse, c’était la campagne de Paris, ces champs solitaires et tristes qui sont aux environs de Bicêtre. Tout était identique, hormis cela: il y avait le voyage de nuit sous la furieuse tempête, la maison isolée, la femme ivre d’eau-de-vie et l’homme, le sauvage…

– Coyatier dit le marchef, prononça tout bas Irène.

– Je parie qu’il parle encore de ces choses dans sa lettre!

– Il en parle dans toutes ses lettres. Jamais il ne parle que de cela.

Marguerite avança la main vers la lettre, mais au lieu de la prendre, elle retourna le portrait qui était tout auprès. Irène était si absorbée qu’elle n’en témoigna ni surprise ni colère. Marguerite regarda le portrait un instant en silence.

– C’est bien vrai qu’ils se ressemblent! dit-elle comme si elle n’eût pas eu conscience de ses paroles.

Irène eut un brusque tressaillement et ses yeux, vivement relevés, interrogèrent. Marguerite remit le portrait à sa place en ajoutant:

– Le lendemain de votre arrivée à Stolberg, Vincent posa ses deux mains sur les épaules de Reynier et le regarda comme s’il ne l’eût jamais vu. Il était encore plus pâle et plus défait que la veille. Il dit: «J’ai peut-être eu tort de vous faire venir, car c’est une piste que j’offre à l’ennemi, et l’ennemi la suivra.»

– Nous étions seuls tous trois quand mon père dit cela, interrompit Irène, comment avez-vous pu le savoir?

– Ses yeux ne pouvaient se détacher de Reynier, poursuivit Marguerite. Il dit encore: «Tu portes ton destin sur ton visage: tu le tueras. C’est la loi de ta race. Fais vite, avant qu’il me tue!»

– C’est donc Reynier lui-même qui vous a informée? demanda la jeune fille.

– Je ne vous cacherai rien, ma fille, je m’y engage, répliqua Marguerite, mais je ne puis vous dire tout à la fois. Ne perdez jamais de vue mon point de départ. C’est en m’occupant de vous, de vous seule, que je suis tombée sur les traces de ceux qui vous aiment. Tout ce qui précède est la réponse de l’oracle aux questions que je lui avais adressées: «Irène, sa vie, sa famille». C’est vous qui m’avez fait retrouver Vincent et Reynier. Je ne les cherchais pas.

«L’heure passe et il nous faut arriver à la conclusion de cette entrevue. Écoutez-moi désormais sans m’interrompre. Répondez seulement quand je vous interrogerai.

«Nous nous entendons à demi déjà: Vous avez deviné que je suis ici dans un but de protection: non pas cette protection ordinaire exercée par une femme riche en faveur d’une jeune fille vivant de son travail, mais bien cette autre protection que peut apporter une personne pouvant disposer de quelque pouvoir à un être faible, menacé d’un grand danger.

«Vous êtes trois qui formez une famille. Le danger est pour vous trois.

«J’étais à cent lieues de soupçonner ce danger. Je l’ai trouvé, je le combats.

«Et j’ajoute tout de suite que ce n’est pas chez moi une œuvre de pur dévouement. Mon intérêt y est, ou plutôt l’intérêt du vivant faisceau dont je suis le lien.

«Il est des secrets qui ne m’appartiennent pas et que je ne puis vous révéler; il est aussi sans doute des points mystérieux que je n’ai pu encore éclaircir moi-même. Contentez-vous des explications qu’il m’est possible de vous fournir.

«Je vous ai parlé de l’association fondée par un saint homme dans le but de centupler par l’union des dévouements et des vertus la puissance du Bien ici-bas.

«Je vous ai parlé aussi d’une ligue instituée dans un dessein tout contraire et qui poursuit souterrainement la guerre implacable que, depuis l’origine du monde, le Mal a déclaré à l’humanité.

«L’une de ces confréries, la plus nombreuse, la mieux voilée, parce que son existence est rangée au nombre des fables par les docteurs officiellement diplômés qui prétendent au monopole de la sagesse et de la raison, a exercé une influence funeste sur la destinée de votre père. En disant cela, je ne vous étonne plus. Apprenez-moi jusqu’à quel point vous étiez informée avant ma visite d’aujourd’hui?

– Madame, répliqua Irène, dominée désormais par une profonde émotion, je ne sais pas si je fais bien, mais quelque chose me force à vous obéir. Le quatrième jour de notre arrivée aux mines, nous trouvâmes mon père bien malade. Sa fièvre ne fit qu’augmenter le lendemain. Il avait le délire et prononçait des paroles que j’entendais tomber de sa bouche pour la première fois. Ai-je besoin de vous le redire? Il voyait des brigands, un meurtre, un trésor dont il faisait la description.

– Et qu’il désignait? Il parlait du Trésor de la Merci?

– Oui, ce nom revenait sur ses lèvres, et dans ses moments lucides il nous interrogeait, Reynier et moi, comme s’il eût craint d’avoir parlé; on eût dit qu’il avait peur de trahir quelque redoutable secret.

– Et c’est alors que l’idée de la folie naquit en vous?

– J’aime mon père pour deux, madame. C’est à peine si j’ai connu ma mère.

– Remerciez Dieu pour cette tendresse, ma fille. Elle sera votre salut.

– Je vous en prie, madame, dites-moi le danger qui nous menace. J’ai beau me raidir et faire effort pour combattre la confiance que vous m’inspirez, cette confiance est la plus forte. Je vous crois. J’ai peur.

– Votre père, continua Marguerite, au lieu de répondre, parlait aussi de châtiments, de tribunaux…

– Il en parle encore, madame, la fièvre est passée, le mal n’est pas guéri.

Irène déplia elle-même la lettre pour la tendre à la comtesse, mais celle-ci la repoussa.

– Au contraire, prononça-t-elle lentement, vous vous trompez: le mal a augmenté depuis qu’il a écrit cette lettre, car elle ne vous annonce pas son arrivée.