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L’ombre disparut.

Marguerite éteignit la lampe.

Presque aussitôt après, un mouvement confus se fit dans la partie du cimetière qui avoisinait la tombe du colonel Bozzo-Corona.

On entendit le bruit d’une petite grille ouverte puis refermée.

Puis encore une lueur faible s’alluma derrière la claire-voie qui fermait l’entrée du caveau funéraire du colonel.

Graduellement, cette lueur disparut comme si celui qui la portait eût descendu des marches.

La comtesse Marguerite, immobile, accoudée sur l’appui de la fenêtre d’Irène, écoutait et regardait.

XVI Serrure sans clef

Irène Carpentier, en quittant la comtesse Marguerite, était déterminée à obéir, Elle subissait, nous avons essayé de le faire comprendre, une véritable fascination.

Il y avait en Marguerite une faculté de persuasion irrésistible; elle possédait ce don suprême des charmeurs de la parole, qui consiste à cacher le mensonge sous une enveloppe de sincérité.

Elle avait trompé la jeune fille en lui racontant une histoire vraie.

Et tant qu’Irène était restée sous la domination de sa voix pénétrante, sous l’enchantement de son regard séduisant et loyal, Irène n’avait vu ni les lacunes de son récit, ni les réticences de ses aveux, ni même le côté invraisemblable et romanesque qui ressortait des motifs si vagues apportés par Marguerite pour expliquer son intervention.

Irène avait tout admis, jusqu’à cette ligue mystérieuse, instituée en dehors de tout droit légal, dépourvue de tout contrôle public, où des gens de bien imitaient les errements réservés aux associations de malfaiteurs et ressuscitaient en plein XIXe siècle l’audacieuse usurpation des francs tribunaux du Moyen Âge.

Le bon sens d’Irène ne s’était point révolté à cette fantasmagorie du Bien combattant le Mal avec ses propres armes et dans ses propres ténèbres.

Elle avait cru, comme on admet une nouveauté inconnue, mais plausible, à cette vigoureuse organisation, rayonnant de Paris sur la province et même sur l’étranger.

L’idée ne lui était même pas venue que cette concurrence privée, faite à l’administration d’État pouvait être difficile et peut-être impossible.

À vrai dire, elle n’avait pas abordé ce côté de la question. Tout lui était apparu comme cela devait être, au point de vue personnel et à travers la certitude trop évidente d’un danger de mort pesant sur ceux qui lui étaient chers.

Le danger sautait aux yeux, à cet égard, le passé démontrait le présent. Vincent Carpentier et Reynier avaient échappé tous deux par miracle à des tentatives de meurtre.

Il n’y avait en réalité qu’un point difficile dans la plaidoirie de Marguerite: celui qui touchait à la personne du cavalier Mora.

Ici, deux fascinations étaient en présence. La comtesse avait dû s’attaquer à un sentiment, factice peut-être, mais profond, parce qu’il était né avec le premier rêve de la jeune fille.

Toute femme porte en elle l’élément que nous appellerons romanesque, faute d’un autre mot.

C’est là l’originalité, le charme, la poésie de la femme.

Elle est plus belle que l’homme, parce qu’elle met plus d’imagination dans son cœur et sans chercher d’autre adjectif pour cette condition d’être en quelque sorte sexuelle, on serait bien près du vrai en la nommant tout simplement: l’élément féminin.

Comme toute chose humaine, il est bon ou mauvais; comme toute chose féminine, il peut être adorable ou détestable. Il mène au bonheur ou au malheur.

Une créature souverainement habile, la mère Marie-de-Grâce, avait troublé autrefois le cœur enfant d’Irène.

À la place d’un sentiment profond, mais calme, elle y avait glissé un poème.

On avait tenu longtemps derrière le rideau le héros de l’épopée lui-même; puis il était apparu entouré de tous les prestiges: grandeur déchue, valeur chevaleresque, combat de la faiblesse isolée contre toute une armée de forces, mystère, fatalité, espoirs vastes comme le monde.

En ce même héros, car il y a dans tout lyrisme un revers comique, apportait, au lieu de papiers de famille, une preuve providentielle de son identité: sa ressemblance extraordinaire avec sa sœur la mère Marie-de-Grâce.

Nous savons comme Irène avait été subjuguée. Sa vieille affection pour Reynier combattait bien dans le fond de son âme, mais le résultat de ces batailles où le sens commun soutient le choc de la fantaisie n’est jamais douteux.

On a pu voir, cependant, que pour vaincre la résistance du bon sens dans le cœur d’Irène, il avait fallu employer un moyen, grossier en apparence, mais singulièrement adroit par le fait.

Échalot nous a détaillé ce «truc» enfantin de la lunette d’approche, dans toute sa naïveté: ne jugez jamais de trop haut les diplomaties vulgaires; ce sont celles-là qui réussissent. À la longue, il est vrai, le cœur réagit, le bon sens essaye de parler: Irène, un jour, avait regardé au fond d’elle-même avec doute, avec angoisse.

Mais la pensée de mentir à son poème de malheur et de grandeur lui apparaissait coupable comme un sacrilège.

Nous avons cru devoir donner au lecteur ces explications qui disent l’état moral d’Irène au début de son entrevue avec Marguerite. La victoire de cette dernière paraîtra plus naturelle, en ce sens qu’on aura touché du doigt les hésitations d’Irène, ses scrupules et son éducation déjà faite en matière de foi légendaire.

Elle était la fille d’un roman sombre et confus: le premier rêve de sa jeunesse l’avait égarée dans la nuit d’un drame plein de terreur.

Les limites acceptées par la vraisemblance commune n’existaient pas pour elle.

On peut dire qu’après avoir quitté sa chambre, Irène arriva au bas de l’escalier par une série de mouvements rigoureusement mécaniques et sans avoir conscience de son acte.

Elle traversa les jardins qui séparaient le pavillon Gaillaud de la maison de rapport, en allant droit devant elle et d’un pas rapide.

On lui avait ordonné de joindre la voiture et d’y monter. Le premier travail de son intelligence fut de chercher dans sa mémoire la commission qu’on lui avait ordonné de faire au cocher.

Elle avait à la main un billet écrit par la comtesse Marguerite pour sa dame de compagnie. Ce mémento matériel associa ses idées; elle dit:

– Je vais coucher à l’hôtel de Clare, et il faut que le cocher de la comtesse soit revenu dans deux heures.

Elle s’arrêta subitement, plus étonnée qu’au moment même où on lui avait fait, pour la première fois, la proposition de passer la nuit hors de chez elle.

Elle reprit sa marche, pourtant. Les petits jardins étaient déserts. On ne voyait aucune lumière aux fenêtres de la maison de rapport; sous la voûte, Irène répéta comme si elle eût voulu se bien convaincre elle-même.

– Je vais à l’hôtel de Clare. Je suis en route. La voiture est là.

Dans la cour du laitier, elle rencontra la même solitude, mais des bruits sortaient des étables; et le coq, éveillé par son passage, chanta, saluant un rayon de lune qui glissait entre deux nuées. Pour arriver à la rue des Partants, où la voiture attendait, elle n’avait plus à franchir que l’allée conduisant à la porte cochère.