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Elle s’arrêta encore. L’indécision naissait en même temps qu’un grand malaise physique la prenait.

Elle se laissa tomber assise sur la borne qui défendait l’encoignure de l’allée parce qu’elle sentait sa tête tourner.

– Il m’avait prévenue, murmura-t-elle pendant que ses deux mains froides pressaient son front qui brûlait, il m’avait dit: «Mes ennemis sont tout autour de nous. On essayera de se mettre entre nous. Vous m’entendrez accuser, calomnier…» Et il avait ajouté: «Me défendrez-vous?»

«Et moi, j’avais répondu: «Quand tout le monde serait contre vous, tout le monde et ceux que j’aime le mieux ici-bas, je ne croirais qu’en vous.»

Son cœur était serré par une angoisse profonde où le doute s’effaçait déjà sous le remords.

«Je ne connais pas cette femme, pensa-t-elle encore. Elle m’a parlé, en effet, de ceux que j’aime, mais a-t-elle dit vrai? Et dès la première accusation, – la première calomnie peut-être, – j’ai trahi ma promesse, j’ai écouté, j’ai cru, j’ai trahi!»

Dans le silence qui régnait au-dehors, un bruit se fit. Le pavé de la rue sonna sous le pied impatient d’un cheval au repos, et une voix endormie grommela:

– Tu t’embêtes, toi; moi aussi. Voilà ce que c’est que d’être au service du diable!

Irène n’entendit qu’un grognement d’où ne se dégageait point le sens des paroles prononcées. Une seule chose la frappa, c’est qu’elle était à dix pas de la voiture qui devait l’emmener.

Cela l’éveilla de son engourdissement. Elle dit encore en elle-même: «Je vais à l’hôtel de Clare.» Les images de son père et de Reynier passèrent devant ses yeux.

Elle se leva.

L’impulsion reçue dirigea son premier pas vers la porte cochère, mais elle se détourna presque aussitôt pour traverser de nouveau et en sens contraire la cour de la vacherie. Elle murmurait:

– Quel droit cette femme a-t-elle sur moi? Suis-je son esclave? Pourquoi la croirais-je? Quelque chose me dit qu’elle m’a trompée.

Elle se redressa en marchant, son cœur s’allégeait; elle dit encore:

– D’un mot, d’un seul mot je suis bien sûre qu’il va faire tomber toutes ces accusations. Ce serait affreux de le condamner sans l’entendre.

Je veux le voir!

Ces mots s’achevèrent en un cri de surprise et de frayeur.

Une petite voix cassée chevrotait au-devant d’elle:

– Un beau temps pour se promener au clair de la lune, jeunesse! Voulez-vous faire un tour avec moi le long du cimetière?

Une créature humaine, qui semblait être l’image de la décrépitude, s’engageait sous la voûte qui perçait la maison de rapport.

Elle venait du château Gaillaud.

C’était un vieillard courbé en deux, marchant à petits pas, avec une peine extrême. Il était vêtu d’une longue douillette qui rappelait le vêtement des prêtres. Irène ne l’avait jamais vu.

Dans l’état d’ébranlement où était son esprit, cette rencontre bizarre fit naître en elle un doute et un espoir.

Elle se tâta mentalement, prise de l’idée que tout cela n’était qu’un rêve pénible.

Le vieillard passa tout auprès d’elle. Il ricanait à bas bruit, et sa gaieté sinistre sonnait sec comme les plis d’un parchemin qu’on froisse.

– Est-ce que je vous fais peur, jeunesse? dit-il encore. Vous ne m’avez jamais rencontré. Il y en a qui sortent le jour. J’ai été jeune aussi, du temps de la mère de votre grand-mère. Que faut-il à mon âge? un trou dans un vieux mur. Les hiboux et moi nous allons la nuit. Dormez bien, ma fillette. Il y en a, des morts et des vivants qui ne dormiront pas d’ici à demain matin, – et d’autres qui ne s’éveilleront plus jamais. Hé hé hé hé, dites donc, j’ai encore le mot pour rire!

Le vieux glissa dans l’espace plus clair qui était au-delà de la voûte. Il serrait sa douillette autour de son corps grelottant.

Irène poursuivit son chemin plus troublée. Ses veines avaient froid. Elle ne pensait plus. Quand elle atteignit l’escalier du pavillon Gaillaud, elle se retourna avant de monter. Le vieillard avait disparu.

– Où donc demeure-t-il? se demanda-t-elle. D’où vient-il? Puis elle reprit, en s’accrochant à la rampe pour monter les degrés:

– Mon Dieu! je vais, je parle, tout cela n’est pas un cauchemar! Elle atteignit l’étage où était située sa chambre sans se rendre un compte exact de ce qu’elle prétendait faire.

D’instinct, elle s’arrêta devant sa porte comme pour rentrer chez elle, mais ce fut l’affaire d’un instant. Elle continua sa route en étouffant avec soin le bruit de ses pas.

Elle allait vers le corridor sur lequel s’ouvrait l’appartement du cavalier Mora.

Ce corridor n’avait point de fenêtre ouvrant sur le dehors. L’obscurité y était complète. Irène arriva tout droit à la porte du cavalier. Elle frappa très doucement. Il ne lui fut point répondu.

Parmi le silence, elle crut entendre un léger bruit du côté du carré où deux chambres seulement étaient habitées: la sienne propre et celle du ménage Canada.

Mais à supposer qu’elle ne se fût point trompée, le bruit ne se renouvela pas.

Elle frappa une seconde fois, disant à voix basse:

– Julian, répondez-moi. Êtes-vous là? C’est moi. J’ai grand besoin de parler.

Point de réponse encore.

Dans une circonstance ordinaire tout eût été fini. Les relations d’Irène avec le cavalier Mora étaient non seulement pures comme Irène elle-même, mais encore entourées d’une sorte d’étiquette solennelle qui avait son origine dans les prétentions princières du cavalier Mora. Il drapait tout dans son manteau quasi royal, même son amour.

Peut-être aussi, cette réserve en apparence si louable et qui n’était pas pour peu dans le prestige exercé par lui sur la jeune fille, avait-elle d’autres motifs auxquels le lecteur sera initié plus tard.

Quoi qu’il en soit, Irène n’avait jamais franchi le seuil de l’appartement du cavalier.

Pourtant, elle n’hésita pas. Elle n’était pas elle-même cette nuit. Elle agissait sous le coup d’une sorte de somnambulisme éveillé.

Sa main chercha le bouton de la porte tout naturellement et comme si elle en avait eu l’habitude.

Le bouton sollicité résista. La porte était fermée à clef.

Mon savant et très spirituel ami Édouard Fournier a fait un livre charmant, intitulé Le Vieux neuf, auquel ma pensée est reportée par un brevet qui fut pris à grand fracas, sous le règne de Louis-Philippe, par un inventeur comme il y en a tant.

Ce brevet avait trait à des «serrures sans clef», qui eurent alors un certain succès de curiosité.

Je ne sais plus si Édouard Fournier mentionne cette réminiscence dans sa liste, si riche en vieilleries réchauffées, mais il est certain que la «serrure sans clef» était fort à la mode au XVIIIe siècle.

Nos coquins d’oncles avaient la manie des petits secrets, des cachettes, des ressorts et des attrapes.

Les folies du quartier Popincourt qui vont disparaissant sont pleines de ces ingénieux enfantillages, et le château Gaillaud, qui était une ancienne folie, en avait sa bonne part.