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La plupart des portes gardaient un secret, datant de la fondation et qui était précisément ce que l’inventeur moderne appelait dans son brevet la «serrure sans clef».

C’était une plaque dissimulée dans le battant de la porte et qui faisait jouer le pêne quand on pesait dessus.

La porte d’Irène était ainsi machinée:

Elle chercha et trouva, à une place connue, la plaque semblable à la sienne. Elle pesa. La serrure joua et le bouton, tourné à nouveau, obéit.

Irène entra sans hésiter. Elle dit encore:

«Êtes-vous là, Julian?» Mais c’était par manière d’acquit. Elle n’attendait point de réponse.

Elle referma la porte à tout hasard.

Une lassitude indicible l’accablait.

Elle se laissa tomber dans une bergère en pensant:

«Il reviendra, je vais l’attendre.»

XVII Chez le cavalier Mora

Le fauteuil où Irène venait de s’asseoir était auprès de la fenêtre donnant sur le chemin des Poiriers et le cimetière.

L’autre croisée, celle où nous avons vu apparaître le cavalier Mora pour la première fois, au moment où le soleil couchant allumait les lettres composant le nom du colonel Bozzo-Corona, gardait ses persiennes fermées.

Il y avait un vide si singulier dans l’esprit d’Irène qu’elle ne songea même pas à s’approcher de cette seconde croisée pour voir ce que la comtesse Marguerite faisait chez elle.

On ne peut dire qu’elle eût oublié la comtesse, mais sa faculté de penser subissait un grand engourdissement.

Elle nous l’a dit, «elle attendait», c’était tout.

Sa fatigue physique n’était rien auprès de l’accablement qui pesait sur son être moral.

La fenêtre qui regardait le cimetière était grande ouverte. Irène éprouvait un soulagement à donner son front ardent au vent frais de la nuit.

Il y avait déjà longtemps que la lueur mystérieuse aperçue par Marguerite derrière la grille du tombeau avait disparu, et pourtant quelque chose semblait vivre encore dans le cimetière.

On entendait de ce côté un bruit sourd et profond qui semblait indiquer un travail souterrain et des chuchotements murmuraient sous les massifs.

Parfois même l’oreille aurait cru percevoir un éclat de rire étouffé. Toutes les nuits ont de ces rumeurs inexplicables.

À moins que les gardiens ne fissent ripaille sur l’herbe, dans quelque coin, aucun sabbat ne pouvait se tenir en ce lieu, sauf celui des fantômes en goguette, car, nous avons dû le dire déjà, une circonstance récente avait fait doubler le service des chiens.

Le jour, les visiteurs pouvaient les voir attachés à leurs chaînes, et c’étaient là de terribles patrouilleurs. L’administration faisait montre d’eux avec orgueil.

Illusions ou réalités, ces vagues bruissements du champ des morts n’existaient pas pour Irène. Rien ne venait à son oreille, machinalement attentive pourtant, mais attentive au silence complet qui se faisait du côté du corridor.

Ce qu’elle guettait, c’était un son de pas dans l’escalier. Elle espérait, malgré les paroles de la comtesse qui avait dit: «Le cavalier Mora aura de l’occupation cette nuit.»

Ces paroles ressortaient parmi toutes les menaces confuses qui pesaient sur la pensée d’Irène; elles lui faisaient peur.

Certes, il n’y avait aucune connexion possible entre ces paroles et la rencontre de ce vieillard inconnu qui naguère l’avait croisée sous la voûte.

Après le cavalier Mora, c’était cependant ce vieillard qu’elle revoyait le plus souvent dans le sommeil de sa pensée.

Qui était-il? d’où venait-il? Irène était bien sûre de n’avoir jamais entendu sa voix, et pourtant, elle cherchait dans ses souvenirs une voix pareille…

Elle se redressa à demi tout à coup. Quelqu’un montait avec lenteur et péniblement les marches de l’escalier.

Ce ne fut point au cavalier qu’Irène songea, tant ce pas pénible lui semblait différent de l’allure leste et dégagée du bel Italien. Elle se dit:

– C’est le vieillard. Il demeure peut-être aux mansardes.

Mais celui qui montait ne prit pas la dernière volée, conduisant à l’étage supérieur. Il traversa le carré et s’engagea dans le corridor.

Irène ne respira plus. Son intelligence s’éveillait dans une angoisse nouvelle. Parfois les blessés ont ce pas lourd de la vieillesse. Y avait-il eu un malheur?

Le nom de Julian vint à ses lèvres qui tremblaient. Une bataille se livrait, elle en avait l’instinct plus fort qu’une certitude. Était-ce Julian qui déjà revenait vaincu?

Le pas hésitait sur les dalles du corridor. Il s’arrêta juste au-devant de la porte. Irène se leva, prête à s’élancer. Elle croyait ouïr le bruit de la clef dans la serrure.

On frappa. Irène retomba sur son siège. Ce n’était pas le cavalier Mora.

Dans son effroi, elle garda le silence.

Une voix faible et fatiguée marmotta:

– Est-ce que je me serais trompé de porte? C’est pourtant bien l’étage. J’ai traversé le carré, j’ai pris le corridor à droite… elle est peut-être endormie.

Irène entendait tout cela. Son cœur battait, La sueur inondait ses tempes. Elle ne voulait pas croire au témoignage de ses sens. On frappa plus fort et on appela:

– Irène!

La jeune fille chancela sur son siège.

– Mon père! balbutia-t-elle.

Puis elle ajouta en elle-même, par un travail plus rapide que l’éclair:

– L’étage, le carré, le corridor! Qui lui a fourni ces détails mensongers?

– Irène, répéta la voix. Je suis bien las, ma fillette. Es-tu couchée? Ouvre, c’est moi. J’ai reçu ta lettre et me voici. Es-tu donc trop malade pour venir jusqu’à la porte?

– Ma lettre! répéta encore Irène. Malade?

Elle se leva enfin. Ses jambes se dérobaient sous elle; elle eut grande peine à arriver jusqu’à la porte qu’elle ouvrit.

– Où es-tu? demanda Vincent Carpentier, car c’était bien lui. Il la cherchait dans l’obscurité complète de la chambre. Irène lui jeta ses bras autour du cou.

– Je savais bien, dit Vincent, que je ne me trompais pas, ma tête est un peu faible, c’est certain. Je ne me reconnaissais plus dans Paris. Il y a loin d’ici jusqu’à la cour des Messageries. Allume une bougie, ma fille. Mais auparavant, mène-moi à une chaise, je suis bien las.

Irène le guida jusqu’au fauteuil qu’elle venait de quitter.

La lune brillait en ce moment, la chambre s’éclairait vaguement. Un bougeoir de cuivre posé sur la table se trahissait par une métallique étincelle. Irène l’aperçut et tâta le tapis à l’entour. Sa main rencontra une boîte d’allumettes.

Pendant cela Vincent disait:

– Tu as bien fait de m’écrire, fillette, mais tu aurais dû m’écrire plus tôt. Pourquoi ne me parles-tu plus jamais de Reynier? Dis-moi, ce grand mur qui est sur le boulevard ici près, c’est le cimetière, n’est-ce pas? C’est là qu’est sa sépulture?… Eh bien! voilà ce qui m’effraye. J’ai des visions. Tout à l’heure sur le boulevard désert, j’ai cru le voir avec sa douillette serrée autour de son corps maigre, maigre… J’ai pris ma course et je suis encore tout hors d’haleine. J’aurais juré que c’était lui!