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– C’est juste, murmura Vincent. J’aurais dû penser cela.

– Jamais je n’épouserai Reynier, continua la jeune fille.

– Ah! ah! fit Vincent, qui devenait distrait: querelle d’amoureux…

Son regard revint aux habits d’homme qui étaient sur les meubles, et il ajouta:

– Je te connais: tu es la fille de ta mère: tu n’as pas pu te mal conduire. Il y a là quelque chose que je ne comprends pas. Explique-toi, mais fais vite. J’ai de l’ouvrage cette nuit, beaucoup d’ouvrage.

– Quel ouvrage pouvez-vous avoir? mon bon père? Vous êtes harassé de fatigue…

– Oui, grommela Vincent: harassé. Je ne vivrai pas vieux. Il faut des parents aux enfants; on t’a élevée comme une demoiselle. Dis-moi tout. Et fais vite.

– Je n’ai rien à confesser qui puisse me faire rougir, dit Irène en se redressant involontairement.

– Tant mieux. Mais quel autre homme que Reynier peut laisser ses vêtements chez toi? Voilà tout ce que je veux savoir.

– Je ne suis pas ici chez moi, mon père.

Le regard de Vincent prit une expression inquiète.

– Alors, murmura-t-il, tu m’as donc trompé? car je suis bien sûr d’avoir suivi toutes les indications de ta lettre: je l’avais apprise par cœur.

Irène était elle-même terriblement émue. Elle sentait que sa prochaine parole allait faire surgir au-devant d’elle la preuve d’une noire infamie. Vincent disait:

– Ma tête est faible, c’est vrai, mais je n’ai pas rêvé cela. J’ai reçu la lettre de l’enfant, j’en suis sûr. Je l’ai relue cent fois en chemin. C’est par cette lettre que j’ai appris la mort du diable… Et quant à être de ton écriture, ajouta-t-il en s’adressant à Irène, tu vas voir!

En même temps, il fouillait les poches de sa veste, d’où il retira d’abord des pistolets et un couteau-poignard.

– Il faut bien être armé en voyage, balbutia-t-il en forme d’excuse. Les routes ne sont pas sûres…

– Tiens! s’écria-t-il, la voilà! regarde.

Irène prit la lettre qu’on lui tendait.

Il semblait qu’il n’y eût plus une goutte de sang dans ses veines, tant elle était pâle.

Elle se souvenait des paroles de la comtesse Marguerite qui lui avait dit: Votre père a quitté la mine de Stolberg sur une lettre de vous…

Elle regarda la lettre.

Une larme vint brûler sa paupière, tandis qu’elle murmurait:

– C’est mon écriture, mais c’est sa main, à lui… Mon Dieu! mon Dieu! vous allez donc me condamner à le haïr!

XVIII La lettre

Vincent Carpentier, comme la plupart de ceux dont la raison est malade et qui se donnent inopinément à eux-mêmes une preuve de lucidité, était tout content d’avoir retrouvé la lettre.

Il s’essuyait le front en souriant, plus fatigué que s’il eût fourni une longue course, et le sourire qui éclairait sa face était sinistre à voir.

– Je savais bien! je savais bien! murmurai-t-il. J’ai mon idée, c’est vrai; mais il ne fait pas encore nuit dans ma tête. Christophe Colomb avait aussi son idée et n’était pas un fou. Rira bien qui rira le dernier.

Irène n’écoutait plus. Elle avait commencé la lecture de la lettre, dont elle suivait les lignes avec une profonde stupéfaction.

Son écriture de femme, élégante et gracieuse, était imitée avec un art si parfait que, pour elle, le premier moment fut tout entier à la surprise.

Il ne pouvait y avoir doute, puisqu’elle savait n’avoir point écrit cette lettre; mais elle pensa: «Tout autre que moi-même y devait être trompé.»

Et l’esprit d’examen se fit jour.

Dans les pièces imitées, il y a un fait singulier. Quelle que soit l’habileté du faussaire, il ne peut jamais se séparer de «sa main», c’est-à-dire du moyen tout personnel qu’il emploie pour manœuvrer la plume.

Ceci est caractéristique comme le style d’un lettré, comme le faire d’un peintre. On peut le déguiser, non point l’anéantir.

Les experts se trompent rarement à ce signe, bien plus certain que la forme même des lettres, la volonté pouvant toujours modifier l’habitude.

Irène n’était pas un expert, mais elle était femme et il s’agissait de celui qui avait occupé sa pensée depuis les jours de sa jeunesse.

Le cavalier Mora lui écrivait souvent. Elle lisait et relisait ses lettres. Sa «main» lui était familière comme le son même de sa voix.

Avant d’avoir lu ou plutôt compris une seule phrase de la lettre fausse, Irène savait qu’elle était du cavalier Mora.

Les précautions apportées pour décevoir Vincent, loin de combattre la certitude d’Irène, étaient autant d’indices plaidant contre le cavalier.

Le raisonnement, ici, abondait dans le sens de l’impression première, tout instinctive et sentimentale.

On avait employé le propre papier d’Irène, on avait fait usage d’une de ses enveloppes, de sa cire et aussi de son cachet.

Un familier seul avait pu se procurer ces accessoires.

Quand Irène commença à lire sérieusement, c’est-à-dire pour chercher le sens du message; ce travail préliminaire était accompli, sa conviction était faite.

Voici quel était le contenu de cette lettre:

«Bon et cher père,

«Le malheur de ma vie est de te savoir enseveli au fond de cette tombe, dont la seule pensée me donne le frisson. Je suis faible et toute malade, sans cela j’aurais pris la diligence pour aller te chercher à Stolberg et te ramener avec moi. Depuis que je t’ai vu là-bas, si triste et si changé, ton image est toujours devant mes yeux.

«Mon cœur me dit que tu n’as jamais fait le mal. Tu ne m’as pas confié ton secret, mais ce n’est pas la justice qui te fait peur, j’en suis sûre. Tu parles toujours d’ennemis puissants. Je tremble qu’ils ne découvrent ta retraite.

«C’est là, père, que le danger serait terrible. Un crime doit être si aisément commis et caché dans ces ténèbres! Mon cœur cesse de battre quand je songe à cela. Je te vois seul, sans défense. Elles sont si longues, ces froides galeries! À qui demanderais-tu du secours? Et ils n’auraient pas même besoin de creuser une fosse, puisque à chaque pas un abîme est ouvert…»

Ce passage de la lettre était fatigué et tout noirci par l’empreinte des mains de Vincent, qui avait dû la lire et la relire, les doigts encore chargés des souillures de son travail.

Irène leva les yeux sur lui. Elle pensait que le regard de son père la guettait pendant sa lecture.

Mais il n’en était pas ainsi. Les paupières de Vincent étaient fermées; il s’était renversé sur le dossier du fauteuil.

N’eût été le mouvement de ses lèvres qu’il remuait avec lenteur et sans produire aucun son, on aurait pu croire qu’il dormait.

– Souffrez-vous, mon père? demanda la jeune fille inquiète, car il avait, en vérité l’air d’un mourant.

Vincent tressaillit et répondit:

– Ce Paris est énorme! L’endroit où je veux aller est loin, bien loin d’ici.

Il s’interrompit pour ajouter:

– Car je suis à Paris! moi! Et il est mort! Dis-moi bien qu’il est mort…