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– Tu as lu l’inscription?

– En lettres d’or sur la table de marbre blanc.

Les traits de Vincent, mobiles comme ceux d’un enfant, s’éclairèrent.

– Que disais-je? reprit-il.

– Vous parliez du jour fixé, pour répondre à mon observation sur l’absence du cavalier Mora.

– C’est cela. Pouvais-je attendre? Quand j’ai lu cette ligne qui me semblait sortir de la lettre en caractères de feu, la ligne où il est parlé du monument funèbre de mon persécuteur, de mon assassin, j’ai pris ma course à travers les galeries de la mine en criant: «Il est mort! il est mort!» Ce n’était pas folie, ma fille. La mort de celui-là, c’est ma vie. Et qu’est-ce que ma vie? La joie, l’ivresse, la volupté sans nom de voir encore une fois mon trésor!

– Est-il donc à vous, mon père? demanda Irène.

Vincent Carpentier s’était redressé de toute sa hauteur. Sa face se colora violemment.

La passion lui redonna pour un instant l’apparence de la force et de la jeunesse.

– Ce fut un travail de géant, dit-il d’une voix profonde et pleine de mystérieuse emphase, un calcul terrible! On ne croirait pas celui qui ferait l’histoire de mes recherches, de mes efforts, de mes terreurs, de mes dangers, de mon martyre. Le trésor m’appartient, puisque je l’ai découvert!

Ses yeux qui brûlaient s’éteignirent tout à coup.

Il jeta sur Irène un regard atone. Sa voix s’étrangla dans sa gorge et il poursuivit tout bas, répondant à une question qui n’avait point été faite:

– Où il est? Nul ne le saura. Ni Reynier, ni toi. Cela brûle, cela tue. Je le garde pour moi, pour moi tout seul, car c’est la mort!

XIX Le cœur d’Irène

Pendant plusieurs minutes, Vincent Carpentier resta en proie à une sorte de délire. Sa parole qui allait s’embarrassant de plus en plus devint tout à fait inintelligible.

Ce fut son épuisement qui le calma.

Aux questions d’Irène qui essayait de ramener l’entretien à sa vraie voie, il répondit avec fatigue et indifférence que, dans la fièvre de son impatience, il avait avancé d’un jour son départ de Stolberg.

Par conséquent, le cavalier Mora ne pouvait l’attendre que le lendemain soir à la même heure.

L’absence du cavalier n’était donc pas même une circonstance à sa décharge.

Il y avait chez Irène plus d’indignation encore que de frayeur. Elle essayait néanmoins de ne pas croire à ce tissu de choses invraisemblables qui l’enveloppait comme une évidence.

Tout était impossible dans ses aventures de cette nuit, et tout était certain, puisque son Cœur et son esprit étaient d’accord pour douter; et que le doute vaincu fuyait à la fois son esprit et son cœur.

– Et comment es-tu ici, chez ce cavalier Mora? demanda tout à coup Vincent; tu le connais donc?

Irène rougit, mais elle répondit:

– Je l’aimais, mon père.

C’est à peine si Vincent montra de la surprise. Sa pensée errante était ailleurs. Irène ajouta:

– Le cavalier Mora m’avait promis le mariage. Je le recevais chez moi: C’est la première fois que je viens chez lui et ce sera la dernière.

– Ah! fit Vincent dont la tranquillité semblait plus étrange encore que son transport de tout à l’heure. C’est par toi qu’il a su ma retraite, alors? On est souvent tué par ses enfants.

– Pardonnez-moi cette faute, mon père; j’avais confiance en lui.

Carpentier secoua la tête et murmura:

– Je n’aurais jamais dû donner signe de vie, même à toi. C’est bien fait!

Il y eut un silence.

– Et pourquoi ce Mora m’a-t-il tendu un piège? fit Vincent qui se parlait à lui-même. Les Habits Noirs doivent être là-dedans. Ce Mora est sans doute un nouveau.

– Je dois tout vous dire, mon père, fit Irène avec effort. Tout à l’heure, une personne accusait devant moi le cavalier Mora – et Dieu sait que je ne le croyais pas! – d’être le chef des Habits Noirs.

– Le chef! répéta Carpentier, le chef! dans un si pauvre logis! S’il revenait, je le tuerais comme un chien. Il ne faudrait pas faire des hélas, entends-tu! Le chef! qui peut être le chef maintenant? M. Lecoq est mort, je n’ai pas rêvé cela. C’est Reynier qui a dû me le dire… A-t-il un nom de baptême, ce chef? Ah! c’est le chef!

– Autrefois, prononça tout bas Irène, quand la mère Marie-de-Grâce me parlait de lui, elle l’appelait le comte Julian.

Tout le sang de Carpentier vint à son visage. Le blanc de ses yeux s’injecta de rouge et ses cheveux dressés s’agitèrent sur son crâne. Il était effrayant à voir.

– Qu’avez-vous, mon père? s’écria Irène épouvantée. Carpentier essaya de se lever, mais il ne put. De pourpre qu’elle était, sa face tourna livide.

– Mon père! mon père! fit la jeune fille qui voulut le prendre dans ses bras.

Il la repoussa.

– Je suis fou, balbutia-t-il, misérablement fou, je sens bien cela. J’entends des noms de l’autre monde: la mère Marie-de-Grâce, le comte Julian… Je me souviens: il était à la fois homme et femme, jeune et vieux… Il rôdait déjà autour de toi… à cause de moi! Il avait deviné le secret tout au fond de ma poitrine. Le secret brûle, le secret brille; on le voit, on le sent au travers de ma chair et de mes os!

Ses deux mains pressèrent son front comme s’il eût voulu l’empêcher d’éclater. Puis tout à coup, il dit avec un rire sinistre:

– Le comte Julian fait la cour à ma fille! le comte Julian me donne des rendez-vous! C’est un mort qui a son cercueil au cimetière et sa chambre en ville…

Il s’arrêta et fixa sa prunelle ardente sur Irène en ajoutant:

– Mais alors, qu’y a-t-il donc? le sais-tu, toi? Qu’y a-t-il donc dans cette tombe, sur laquelle ils ont mis le nom du colonel Bozzo-Corona?

Irène ne répondit pas.

Dans le silence qui suivit, le père et la fille prêtèrent à la fois l’oreille à des bruits confus venant du dehors.

Depuis le commencement de leur entrevue, le chemin des Poiriers était resté muet absolument, ainsi que la partie du cimetière voisine du mur de clôture.

Au moment même où Vincent Carpentier parlait de la sépulture du colonel, le vent apporta l’aboiement grave d’un dogue qui semblait quêter dans le cimetière.

Presque en même temps, la feuillée des bosquets s’agita et des piétinements se firent sur le sable.

Une voix dit entre haut et bas ces paroles qu’on put distinctement saisir:

– C’est Sombre-Accueil! Cette ganache de Similor aura manqué Sombre-Accueil!

Irène s’élança vers la fenêtre.

En passant, elle souffla la bougie, et la chambre fut plongée dans l’obscurité. Vincent voulut parler. Irène dit:

– Sur notre vie à tous les deux, père, taisez-vous!

Les aboiements approchaient.

Quand Irène fut à la fenêtre, elle vit, à la lumière diffuse de la lune, cachée sous les nuages, des ombres qui s’agitaient autour du tombeau.

Et une voix dit, tout bas, cette fois:

– Il y avait de la lumière à la croisée de l’Italien. On l’a éteinte. Méfiance!