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Vincent répéta ces cinq syllabes avec le pur accent d’Italie. Un instant Reynier parut se recueillir, puis il répondit:

– Ce nom n’éveille rien en moi, mon père.

VII Fanchette

Le lendemain, vers dix heures du matin, la maison de Vincent Carpentier, d’ordinaire si tranquille, s’emplit de gaieté et de bruit.

À la porte de la rue, pauvre rue et pauvre porte, deux beaux chevaux piaffaient, attelés à une calèche armoriée.

Sur le siège de la calèche, Giovan-Battista, le cocher napolitain du colonel Bozzo, trônait, et, sur l’arrière-marche, Giampietro, le valet de pied sicilien, se tenait debout.

C’était la charmante Francesca Corona, autrement dite Fanchette, qui venait voir sa petite amie Irène et son protégé Reynier, de la part du colonel, et, par conséquent, les mains pleines de bienfaits, car le saint vieillard de la rue Thérèse était la Providence faite homme.

Francesca, toute jeune qu’elle était, allait seule, comme une dame, dans les équipages de son aïeul. Le monde l’acceptait ainsi et lui faisait même un mérite de son originalité capricieuse et hardie.

Le monde ne demande jamais mieux que de bénir les travers des heureux, quitte à prendre sa revanche sur les vertus du malheur.

Francesca passait à bon droit pour être une des plus riches héritières de Paris. Elle avait droit d’excentricité! Elle aurait eu droit d’insolence, mais Dieu sait qu’elle n’usait point de ce dernier privilège.

C’était une tête étourdie et un cœur d’or. On s’étonnait parfois des mélancolies qui voilaient tout à coup le rayon de son sourire, car il n’y avait autour d’elle que des motifs de joie.

Quand elle était triste ainsi, elle était plus belle.

Mais ce n’était pas le poids d’un secret qui courbait son front rêveur. Elles ont souvent des pressentiments, les jeunes filles, à l’âge où l’enfant devient femme.

Elle n’avait point de secret. Elle allait devenir comtesse sans changer de nom, en épousant son cousin, le comte Corona, brillant cavalier qu’elle croyait aimer.

Tout était rose pour elle dans la vie. Il aurait fallu être fou pour la plaindre, soit dans le présent, soit dans l’avenir.

Elle n’avait qu’un ennemi, ce M. Lecoq, que le colonel appelait familièrement l’Amitié. Que pouvait contre elle le caprice haineux d’un subalterne?

C’était par elle que les portes de l’hôtel Bozzo s’étaient ouvertes pour Vincent Carpentier. Irène aussi faisait l’aumône avec la bourse de son frère Reynier. Un jour que mademoiselle Fanchette, en veine de zèle charitable, courait les greniers au lieu d’aller au bois, elle avait rencontré Irène au chevet d’une vieille femme de la rue Saint-Dominique du Gros-Caillou.

Irène, comme le Petit Chaperon rouge, apportait à sa pauvre voisine un petit pot et un petit pain.

Les impressions de Francesca étaient soudaines comme des éclairs. Jamais elle n’avait vu si mignonne fillette. La pauvre voisine eut quatre ou cinq pièces d’or d’un coup, et mademoiselle Francesca enleva Irène pour la manger de baisers en la reconduisant à sa demeure.

Elle voulut monter les trois étages, elle donna une poignée de main à Reynier en lui reprochant toutefois d’être trop joli pour un garçon, elle jura que Vincent Carpentier ne resterait plus maçon et qu’il redeviendrait architecte.

– Grand-père, dit-elle, ne me refuse rien, et tout ce que veut grand-père arrive.

Ces deux affirmations étaient exactement vraies. Dès le jour suivant Carpentier fut présenté au colonel Bozzo, qui l’interrogea, parut touché de son malheur et promit de l’aider à remonter sa position. Nous avons vu le résultat de cette promesse.

Ce matin, Fanchette était une messagère de bonheur. Irène chiffonnait déjà la belle robe de mérinos gris perle, le manteau pareil et le petit chapeau à fleurs que Fanchette venait de lui apporter.

C’était Fanchette qui avait habillé Irène, et avec quelle joie!

Irène était pendue à son cou et souriait à Reynier, qui avait les larmes aux yeux.

Mais des trois c’était encore Fanchette qui était la plus contente.

Elle tambourinait à la porte fermée de Vincent et criait:

– Allons, monsieur Carpentier, debout, vous êtes un paresseux! La fortune vient en dormant, c’est connu, mais il faut au moins s’éveiller pour la recevoir.

Vincent avait dormi péniblement, comme il arrive quand la courbature morale s’ajoute à la fatigue du corps. Le sommeil l’avait surpris au plus fort de ses calculs à perte de vue, qui s’étaient prolongés confusément en un rêve lourd et maladif.

Il se leva, brisé, mais cherchant encore, avec l’entêtement de la fièvre, la solution du problème posé par les événements de la nuit précédente.

La voix de Fanchette, si douce pourtant, le blessa au premier abord parce qu’elle lui rapportait la pensée d’une sorte de complicité.

Il était mécontent de lui-même et inquiet; il se disait:

– Y a-t-il au monde une excuse pour ce fait de se laisser mettre un bandeau sur les yeux? J’ai vendu ma clairvoyance: Suis-je encore un honnête homme?

Mais dès qu’il eut ouvert sa porte, le sourire contagieux de Fanchette entra chez lui comme ce rayon de soleil qui dissipe le cauchemar nocturne. Rien ne pouvait se cacher derrière Fanchette, sinon la grâce et la bonté. Elle était si heureuse de bien faire!

– Monsieur Vincent, dit-elle, vous êtes pâle comme si vous aviez dansé toute la nuit. Je ne sais pas comment vous vous y êtes pris avec le bon père, mais il est coiffé de vous jusqu’aux oreilles. Il était dans ma chambre à neuf heures, ce matin, pour me parler de votre Irène et de votre Reynier. Nous allons partir pour le couvent, pour le collège. Je veux voir tout ce monde-là moi-même et contenter une bonne fois l’envie que j’ai de jouer à la maman.

– Est-ce que tu veux aller en pension, Irène? demanda Carpentier d’un ton où il y avait de l’amertume.

– Irène, est-ce que tu veux nous quitter? ajouta Reynier. L’enfant s’arracha des bras de Fanchette. Son regard, tout à l’heure si joyeux, avait pris une expression farouche.

– Mademoiselle Francesca, dit encore Vincent, nous étions bien pauvres ici, mais nous étions heureux.

– Et croyez-vous que j’aimais à apprendre quand j’étais petite? s’écria Fanchette. C’est décidé: Irène ira au couvent ou à la pension, cela m’est bien égaclass="underline" elle ira où se donne la belle, la bonne éducation, et si Reynier s’y oppose, c’est qu’il ne l’aime pas, voilà tout.

Elle tendit sa main à Reynier, qui y mit ses lèvres, mais ne répondit point.

– Nous étions heureux ici, répéta Vincent, dont le regard fit le tour de la chambre indigente: qui sait où nous allons?

Il était en proie à une émotion plus vive et surtout plus douloureuse que la situation ne semblait le comporter.

– Et si c’est Irène qui ne veut pas aller en pension, continua Fanchette, c’est qu’elle n’aime ni son père ni son frère!

La petite fille se jeta au cou de Vincent. Reynier dit:

– Elle apprend si vite et si bien! J’ai souvent fait ce rêve qu’elle aurait l’éducation d’une demoiselle.

– Veux-tu?…, balbutia Vincent dans le baiser qu’il donnait à sa fille.