Выбрать главу

Ils avaient la main dans la main. Reynier était debout. Irène s’asseyait à la place même où le départ du ménage Canada l’avait laissée. Ses yeux étaient baissés. Elle attendait.

Elle attendait la première parole de Reynier, qui, certes, ne devait être ni une allusion, ni un reproche. Elle reconnaissait trop le cœur de son amant pour craindre cela. Reynier, pour employer l’expression si belle et si démodée des vieux conteurs, était un miroir de généreuse délicatesse.

Ce qui faisait peur à Irène, ce qui l’opprimait comme une torture, c’était le silence même, et pourtant, quand il se fût agi de sa vie, elle n’aurait pas pu trouver le mot qui devait le rompre.

Reynier, égoïste pour une fois, la contemplait avec ravissement. Jamais, aux heures de désespoir dont il avait failli mourir, quand ses rêves cruels et bien-aimés lui montraient le bonheur perdu au travers d’un délicieux mirage, jamais il ne l’avait pleurée si adorablement belle.

Tout à coup, il sentit une larme qui tombait sur sa main.

Puis, d’un brusque mouvement, cette main, serrée avec force, fut portée aux lèvres d’Irène.

Il se laissa tomber à deux genoux. Les bras de la jeune fille se nouèrent autour de son cou, et elle l’attira contre sa poitrine dans une étreinte emportée.

– Je t’aimais, je t’aimais, fit-elle parmi les sanglots qui révoltaient sa poitrine. J’ai appelé la mort bien des fois. Il y avait en moi une folie, douloureuse jusqu’au martyre. On avait mis un bandeau sur mon cœur!

– Enfant chérie, balbutia Reynier, faible sous le poids de ce premier baiser, quand je souffrais trop, je me disais cela: Elle m’aime.

– De toute mon âme, de toute ma vie! s’écria Irène, qui était superbement femme en ce moment, et dont la beauté avait des rayons tragiques. Cet homme a mérité un châtiment mortel.

Reynier baissa les yeux sous son regard de feu.

– Comme il te ressemble! dit-elle encore.

Un frisson la secoua de la tête aux pieds, tandis qu’elle ajoutait:

– Et comme tout ce qui nous entoure est inexplicable!

Reynier ne répondit pas, elle s’écria:

– Veux-tu fuir avec moi? au bout du monde? Je suis prête à te suivre.

– Il y a notre père… murmura le jeune homme.

– C’est vrai, dit-elle, je ne vaux rien. J’oublie toujours quelqu’un: tantôt lui, tantôt toi!

– D’ailleurs, fit Reynier à voix basse, cet homme veille autour de nous, son regard nous tient prisonniers. Il ne laisserait partir ni toi, – ni moi.

– Ne peux-tu combattre?

– Si fait. Je veux combattre. Maintenant que tu m’as dit: Je t’aime, j’ai mon bonheur à défendre, et je le défendrai.

Irène lui tendit son front, songeant tout haut:

– Je devrais demander pardon, au lieu de faire des reproches; mais pourquoi as-tu tardé si longtemps. Reynier, mon pauvre Reynier? Tu savais ce que je ne savais pas. Ils ont voulu te tuer. Pourquoi n’es-tu pas revenu? Pourquoi ne m’as-tu pas emportée dans tes bras comme une enfant trompée?

– J’ai eu tort, répliqua laconiquement Reynier. Il ajouta, presque aussitôt après:

– Chacun cherche à fuir sa destinée.

Les grands yeux d’Irène l’interrogeaient.

– Tu m’avais dit, poursuivit-iclass="underline" «J’ai pour vous l’affection d’un frère.»

– Ce n’est pas cela qui est dans ta pensée, murmura la jeune fille.

– C’est vrai. Dans ma pensée il y a ces mots que tu viens de prononcer: «Comme il te ressemble!»

Il y eut un silence. Tous deux étaient pâles. Irène prononça avec effort:

– Je me souviens du tableau qui était recouvert d’un voile.

– Bien souvent, repartit Reynier dont l’accent était profondément triste, j’ai voulu m’éloigner de toi pour toujours.

Elle se serra contre lui comme si elle eût craint l’exécution de cette menace.

– Il y a autour de moi une fatalité, poursuivit le jeune homme. Ma tendresse doit porter malheur.

– Ta tendresse est mon seul bien, dit Irène qui appuya sa tête charmante sur le sein de son amant. Sans toi, ne serais-je pas également condamnée?

Reynier lui rendit son étreinte.

– C’est vrai, fit-il. Ce n’est pas moi qui ai fait entrer notre père Vincent dans le cercle funeste où nous sommes tous captifs.

Irène voulut dire:

– Les ressemblances peuvent être le produit du hasard…

Mais Reynier l’interrompit pour répliquer:

– J’ai retrouvé ma mère.

Et comme la jeune fille laissait échapper un mouvement de joyeuse surprise, il secoua la tête lentement et acheva:

– Pour la voir mourir.

«Il ne faut pas la plaindre, poursuivit-il. Elle s’est éteinte dans mes bras en disant: «C’est ma dernière heure qui voit mon premier sourire.»

Il s’interrompit encore et passa la main sur son front, où la sueur froide perlait.

– Il y a, prononça-t-il à voix basse, dans ce roman ténébreux qui est notre histoire, une logique impitoyable. Chaque fois que l’esprit veut fuir et se réfugier dans l’impossible, une main de fer le retient. La première fois que je vis le tableau, ma tête se remplit de pensées qui étaient folles, mais qui représentaient l’exacte, l’implacable vérité. Cet homme est mon père, et il a voulu m’assassiner.

XXV La mère de Reynier

Autour des deux fiancés tout était silence, au-dedans comme au-dehors. Le petit Saladin dormait dans son auge, agité vaguement par le mouvement inusité qui s’était fait toute la nuit autour de lui.

Dans le cabinet, transformé pour Vincent Carpentier en prison tutélaire, on n’entendait pas le moindre bruit, et toute attaque de ce côté, semblait, si parfaitement impossible, qu’Irène et Reynier, absorbés par le grand intérêt de leur entretien, oubliaient presque le voisinage de Vincent.

Il était là en sûreté. La fatigue l’avait dompté sans doute, et sa fièvre, calmée par l’épuisement, lui donnait trêve.

Depuis le départ des époux Canada, le carré était désert et muet.

Les derniers mots de Reynier avaient laissé Irène frissonnante. Elle dit:

– Es-tu bien sûr qu’il soit ton père?

– Il y a longtemps, répondit Reynier, oui, bien longtemps que cette crainte est née en moi. Je ne saurais dire comment elle se glissa dans mon esprit, mais il est certain que mon aventure nocturne dans la campagne de Sartène laissait une plaie mystérieuse au fond de mon souvenir. Combien de fois, à Rome, me suis-je éveillé en sursaut, fuyant ce portrait du marquis Coriolan qui était ma propre image, et bouchant mes oreilles pour ne pas entendre la voix de ma vieille hôtesse, disant à Coyatier: il lui ressemble?…

«Le jour où, dans la galerie du comte Biffi je me trouvai en face de cette toile bizarre, le «tableau du Brigand», dont tu as vu plus tard la copie, je sentis mes jambes se dérober sous moi. J’étais là encore, je me reconnaissais. Seulement, je n’étais plus victime, mais meurtrier.

«En Corse, la vieille Bamboche m’avait initié à la loi de notre famille: Frapper ou être frappé! Ma destinée me guettait partout. Son doigt menaçant me montrait le passé pour m’apprendre l’avenir.