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Il s’interrompit, mais ce fut pour ajouter avec une sombre énergie:

«Moi, moi tout seul, je puis toucher à ce secret du démon. Il est à moi, je me suis fait démon pour en devenir maître. Qu’importe d’ailleurs si la foudre me frappe? Je suis vieux, j’ai souffert, je n’espère plus.»

Son couteau attaqua de nouveau le bois avec plus de vigueur. L’entaille était déjà profonde, mais le clou d’une longueur et d’une grosseur considérables semblait aussi solide que jamais.

Au bout de cinq minutes, Vincent s’essuya le front en laissant échapper le premier symptôme d’impatience.

«Est-ce que je vais me laisser arrêter par un petit morceau de fer? gronda-t-il avec un commencement d’irritation qui sembla le surprendre lui-même. Voyons! du calme! Il ne s’agit pas d’avoir une de mes fringales. Cela donnerait l’éveil aux enfants qui essayeraient de me retenir. Et malheur à qui me barrera la route cette nuit!»

Il prononça ces dernières paroles mentalement. Elles firent monter un flux de sang à son cerveau. Il se répéta:

«Du calme! du calme!»

Mais ses mains tremblaient. La lame du couteau, engagée trop brutalement, se rompit au ras du manche.

Vincent se leva furieux et blasphéma.

«C’est la malchance! dit-il; je savais qu’il y aurait mille obstacles. Le trésor est fée, le trésor se garde. Mais je l’aurai! c’est cette nuit que je l’aurai!»

Il tordit son mouchoir autour du clou et tira de toute sa force. Les veines de son front lui firent mal, mais le clou ne bougea pas.

La crise venait, cependant, soudaine et violente, d’autant plus que le malade faisait effort pour la repousser.

Il se cramponnait à ce qu’il appelait son sang-froid; il croyait le tenir, et déjà tout était tumulte dans sa cervelle bouleversée.

Ses mains tâtonnèrent tout autour de lui sur le carreau poudreux du bûcher pour chercher un outil nouveau. Les Canada devaient fendre leur bois eux-mêmes. Si Vincent eût trouvé le hachot, il aurait fait voler le châssis en éclats.

Mais sur le carreau il n’y avait que des débris de charbon et de la poussière. Vincent se mit à tourner comme un tigre dans sa cage. Il n’y avait pas place pour faire plus de trois pas.

Une fois, Vincent s’arrêta devant la porte et colla son oreille à la serrure. C’était Reynier qui parlait. Vincent crut entendre le mot fou.

«Ils causent de moi, fit-il. Je pense bien qu’ils ne m’aiment plus ni l’un ni l’autre. Peut-on aimer un fou! Ils me croient fou. Je pourrais jeter bas la porte d’un seul coup de pied; mais ils se réuniraient tous deux contre moi. Suis-je assez fort pour passer malgré eux? Je ne frapperais pas bien, j’aurais trop peur de tuer.»

Il se recula comme s’il eût frayeur de son propre délire. Le réduit était si étroit que ce mouvement le porta contre la croisée, que son dos heurta de façon à produire le premier bruit entendu par les fiancés dans la chambre de Canada.

Nous n’avons pas oublié qu’en même temps un autre bruit était venu aux oreilles d’Irène et de Reynier: l’approche des Habits Noirs assiégeants.

Au moment où Reynier faisait une reconnaissance à la fenêtre, Vincent se tenait coi dans son trou, mécontent d’avoir maladroitement donné signe de vie et peut-être dévoilé son projet d’évasion, mais en même temps tout heureux du renseignement que le hasard venait de lui fournir.

Pour un homme du métier, et il l’était, le châssis venait de sonner sous son choc comme une pièce complètement détériorée.

«Du dehors, pensa-t-il, un enfant n’aurait qu’à le pousser pour entrer.»

Dès que Reynier, rassuré par son examen, eut quitté la croisée de la chambre Canada, Vincent chercha le bouton qui devait lui servir de poignée pour ébranler les battants.

Son raisonnement était bien simple. Il ne s’agissait plus de jouer au fin ni de dissimuler son effort, il fallait aller vite et voilà tout. Il avait reconnu la disposition du plomb et le secours qu’il en pourrait tirer pour descendre dans les jardins. Le bruit importait peu désormais, pourvu que la fuite suivît immédiatement l’éveil donné.

Vincent était dans cet état d’exaltation mentale où le maniaque, au lieu de bras, se sent des ailes; il lui semblait qu’il allait se laisser couler le long du plomb, comme les champions des joutes populaires glissent du haut en bas du mât de cocagne.

Seulement, il n’y avait plus de bouton à la fenêtre et sa main qui tâtait le montant avec fièvre n’y trouva prise nulle part.

Un rugissement s’étouffa dans sa gorge. Ce misérable contretemps refermait la muraille ouverte de sa prison, et notez que, dans son délire qui montait toujours, il n’avait plus qu’un pas à faire, une main à tendre, pour se saisir du trésor.

Le trésor était là, il le voyait.

«Du calme! du calme!»

Son cœur sautait dans sa poitrine, et de larges éblouissements passaient devant ses yeux.

On ne parlait plus dans la chambre Canada, mais une sorte de grattement avait lieu. C’est à peine si Vincent Carpentier pouvait saisir ce bruit, qui était très faible, et pourtant son cœur s’arrêta de battre.

Il avait dans sa mémoire de grandes souffrances et de terribles épreuves, mais la plus poignante de toutes ces impressions était sans contredit le souvenir de la nuit où, sous le coup de la même passion qu’aujourd’hui, il avait franchi le mur de l’hôtel Bozzo pour faire le siège du trésor.

Chacune des tortures de cette nuit atroce avait laissé en lui des cicatrices indélébiles, toujours sensibles, et dont le moindre choc réveillait l’angoisse à la fois mortelle et voluptueuse de son cœur.

Car s’il avait vu de près le martyre, cette nuit-là il avait vu aussi, de près, le trésor.

Et le trésor lui avait parlé bien plus haut que le martyre.

Parmi ces cicatrices, il y en avait une qui vivait à l’état de blessure toute fraîche, c’était le ressentiment aigu de l’agonie qui l’avait étranglé pendant que le comte Julian forçait la serrure de la chambre du Trésor.

Il était étendu, lui, Vincent, inerte sur le plancher, et garrotté de tous ses membres, pendant que son rival, le parricide, usait le dernier obstacle qui le séparait du trésor.

Bien des fois, endormi ou éveillé, Vincent avait entendu ce lent travail, du fer tâtant et caressant l’intérieur de la serrure.

Et il avait senti, oui, senti autour de ses poignets meurtris par les cordes, le tremblant effort du vieillard condamné, qui essayait de lui délier les mains pour se créer un défenseur.

En ce moment, ce qui glaçait le sang dans ses veines, c’était encore cette impression soudainement avivée. Il entendait le fer travailler dans la serrure, et la plaie de son souvenir avait de cuisants élancements.

Il crut d’abord au retour de l’illusion obstinée, mais son oreille énergiquement tendue lui certifia la sincérité du son. C’est là, du reste, un bruit auquel on ne peut se méprendre quand il vous a frappé une fois. On le reconnaîtrait entre mille. La clef a une voix toute autre, franche et nette. Ceci cherche, éprouve et joue.

Nous savons que Vincent ne se trompait pas. On jouait, en effet, du monseigneur à la porte du carré, et c’était Cocotte qui tenait l’instrument: virtuose, presque aussi habile que le comte Julian lui-même.