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Deux hommes sortirent de l’allée derrière elle. L’un d’eux la saisit à bras-le-corps, l’autre lui appuya la main sur la bouche pour l’empêcher de crier, et, quoiqu’elle semblât remarquablement robuste, elle fut soudain entraînée dans la nuit de l’allée borgne.

Vincent pressa le pas. En marchant, il se disait:

«C’est la bonne femme de là-haut: celle qui a passé par-dessus le mur du cimetière pour les espionner. De quoi se mêle-t-elle? Tous ces gens-là sont mordus par le trésor. Le trésor les rend fous.»

Au bout de la rue des Amandiers, il se retourna pour la première fois. La voie qu’il venait de parcourir semblait déserte et absolument tranquille.

Quelque chose se mouvait pourtant à une cinquantaine de pas, sur le trottoir à gauche.

«Si c’est un chien, il est diantrement long, se dit Vincent.»

Et il traversa le boulevard extérieur.

À la barrière, deux préposés à moitié endormis étaient assis sur un banc à la porte du bureau de l’octroi.

«Le chien ne passera pas ici sans se relever s’il n’a que deux pattes», se dit encore Vincent.

– Vous travaillez loin, camarade, demanda un des préposés, puisque vous partez de si bonne heure?

– Quartier du Palais-Royal, répondit Vincent. Je ne suis pas de Paris; quel est mon plus court, s’il vous plaît?

– Rue de la Roquette, place de la Bastille, rues Saint-Antoine et Saint-Honoré. C’est long, mais tout pavé.

– Merci. Est-ce que vous avez moyen d’empêcher les assassins et les voleurs d’entrer dans Paris, vous autres?

– Nous ne sommes pas des mouchards! répondirent à la fois les deux Habits Verts avec fierté.

Vincent s’éloigna.

Il y avait un établissement de marbrier à quelque distance de la barrière. Devant la porte, des blocs de pierre brute étaient debout. Vincent se mit à l’abri d’un de ces blocs et jeta un regard en arrière.

Il voulait voir si le chien se relèverait.

Au moment même où il se retournait, la lanterne suspendue à la porte de l’octroi éclaira le passage du nègre, qui marchait indolemment et les mains dans ses poches.

Le nègre ôta sa pipe de sa bouche et toucha sa casquette. Sans doute qu’il demanda l’heure, car un des préposés tira sa montre.

Derrière le nègre, deux groupes se montrèrent successivement. Tous les deux échangèrent quelques mots gouailleurs avec les hommes du poste.

Ce n’était pas seulement le chien noir et trop long qui avait été obligé de se refaire homme pour passer la barrière. Toute la meute se montrait. Entre les deux groupes, Vincent put compter de seize à dix-huit limiers. Il ne fut ni effrayé ni surpris. Sa manie était autour de sa poitrine comme la triple cuirasse du poète.

Il tourna la grosse pierre à l’abri de laquelle il se cacha et se coula entre deux blocs.

Le nègre vint droit à la devanture du marbrier, mais il ne visita point les pierres.

Il attendit ceux qui venaient derrière lui et parla à l’oreille de Roblot qui arrivait le premier. Roblot s’arrêta aussitôt.

– Qu’y a-t-il? demanda de loin Piquepuce. Roblot fit un pas à sa rencontre, et lui dit tout bas:

– Veux-tu mêler?

– Tout de même, répondit Piquepuce, je veux bien.

– Et moi aussi, fit Cocotte, qui se mit en tiers d’autorité, mais pas d’autres, nous sommes assez de trois. Éloignons le peuple!

Ils arrivaient juste en face de deux blocs de marbre, par l’interstice desquels Vincent les regardait.

– Où diable a-t-il pu passer? demanda tout haut Roblot, comme s’il eût perdu la piste.

Ce fut le nègre qui répondit:

– À moins qu’il n’ait franchi le mur de l’enclos à droite… Roblot ne le laissa achever.

– Allons! s’écria-t-il, à la niche! Ceux qui voudront escalader le mur du marbrier n’ont qu’à prendre leur élan, moi je vais me coucher.

– Moi, de même, répétèrent à la fois Piquepuce et Cocotte. Personne ne présenta la moindre objection. Le nègre seul ouvrit la bouche pour répliquer. Roblot lui serra vigoureusement le poignet.

XXXI Coup de stylet

Trois minutes ne s’étaient pas écoulées, que la rue des Amandiers était complètement déserte.

Tous les Compagnons du Trésor avaient disparu.

Vincent sortit de sa cachette. Son regard examina les alentours attentivement. Quelque chose lui disait qu’une comédie venait d’être jouée à son intention. Il n’avait entendu aucune des paroles échangées entre Roblot, Piquepuce et Cocotte, mais il avait vu le mouvement de Roblot, imposant silence au nègre.

«Entre l’endroit où je suis et l’endroit où je vais, pensait-il, le coude appuyé sur le bloc qui lui avait servi d’abri, je parie qu’il y a plus de cent coquins échelonnés et à l’affût. Peut-être plus de mille. J’en vaux bien la peine. Quand ils seraient le double et le triple, ils ne m’auraient pas, j’en réponds!»

Il reprit, avec l’importante gravité des fous:

«Au premier aspect, il y aurait un moyen bien plus simple, je n’aurais qu’à aller aux douaniers et à leur dire: Réveillez vos camarades, rassemblez-moi cinquante gaillards de l’octroi, ayant bon pied bon œil. La question de savoir si vous perdrez vos places ne signifie rien, car vous n’aurez plus besoin de vos places. Je vous assurerai à chacun vingt-cinq mille livres de rentes, et même davantage. L’argent ne me coûte rien. J’ai tout l’argent de l’univers.»

Tout en songeant ainsi, Vincent Carpentier avait quitté son poste et poursuivait sa route d’un bon pas, comme un honnête garçon qui cause avec un rêve. À le voir cheminer le pic sur l’épaule, nul n’aurait, certes, deviné que ce grossier morceau de fer était la clef du plus féerique trésor dont jamais imagination humaine ait exagéré l’opulence.

Vincent avait tour à tour des moments de tranquillité absolue et des crises de soudaine défiance où ses sens violemment éveillés se faisaient subtils comme ceux d’un sauvage. Il écoutait alors le silence qui l’entourait, et les bruits lointains arrivant de la ville centrale. De tous côtés il lui semblait entendre des pas qui rampaient, des haleines qu’on retenait. La sueur inondait ses tempes, et il comprimait à deux mains son cœur bondissant dans sa poitrine.

Aucune des voies qui s’embranchent à l’est de la rue des Amandiers-Popincourt n’était encore officiellement classée, mais il y avait de nombreux chemins courant à travers les marais. Ce lieu était alors un des plus déserts qu’on pût rencontrer dans Paris. Vincent n’avait pas peur, car il s’engagea sans hésiter dans le premier chemin de traverse qui se présenta sur sa gauche, pour suivre les indications du préposé et rejoindre la descente de la Roquette.

C’était un simple sentier, bordé par des murs en boue à hauteur d’appui et qui se dirigeait tortueusement vers un assez vaste enclos qu’on était en train de dépecer et qui gardait sa galante dénomination du XVIIIe siècle: la Folie-Regnault. Aucune construction n’existait encore dans l’enclos, mais à divers endroits on y voyait des amas de moellons et quelques pierres de taille.