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– Et si je ne le manque pas?

– Nous avons notre besogne commandée. Quand l’ouvrage presse, on ne peut pas s’arrêter à se disputer. Arrange-toi comme tu voudras.

Ils arrivaient au bout de la rue Saint-Antoine, à l’endroit où est maintenant la caserne.

C’était alors en ce lieu un fouillis de petites rues étroites et tortueuses, qui semblaient dirigées en dépit du sens commun, et dont l’une, la rue Jean-Pain-Mollet, faisait le tour de l’Hôtel de Ville avec des zigzags extravagants.

Vincent Carpentier s’était engagé dans la rue Jean-Pain-Mollet; Cocotte seul désormais le suivait à vue.

Roblot et Piquepuce venaient à une quinzaine de pas de Cocotte.

Derrière eux la voie était déserte.

Piquepuce vit que Roblot passait sa main sous le revers de sa redingote. Aux lueurs du réverbère voisin quelque chose brilla entre les doigts de l’ancien valet.

– Tiens! fit Piquepuce, un stylet de Naples! Tu sais jouer de ça, toi?

– Je l’ai acheté à Giovan-Battista, répondit Roblot, avec la manière de s’en servir. Si je touche, je l’éclope, si je manque, il ne s’apercevra même pas du coup de temps.

Piquepuce pensa:

«Si tu manques, je t’assomme, et comme ça, nous ne serons toujours que deux.»

C’était un sage.

Roblot avait déjà fourni une longue course, mais il était solide et en quelques enjambées il se rapprocha de Cocotte si lestement que celui-ci n’entendit pas le bruit de son pas sur le pavé.

Ayant raccourci la distance à la mesure qui lui parut convenable, Roblot s’arrêta court, visa et lança son couteau. Cocotte, blessé, laissa échapper un cri et tomba sur ses genoux. Le stylet était planté dans son jarret par-derrière.

Roblot passa auprès de lui comme un trait. Piquepuce qui suivait cria hypocritement:

– Arrête, coquin! Je t’atteindrai! Je vengerai mon malheureux ami!

Et ils disparurent tous deux au tournant de la rue. Cocotte essaya de se relever, mais il ne put. Il était si près du poste de l’Hôtel de Ville, que les soldats vinrent à ses cris qui demandaient secours.

– Maintenant, dit Roblot qui se laissa rejoindre, pas de bêtise! Nous ne sommes pas trop de deux contre le bonhomme, qui est bien membré et qui a son diable de pic. Marchons sur la même ligne, pour éviter les jeux de mains. Si on a à discuter, ce sera après l’affaire.

XXXII L’attaque du trésor

Vincent Carpentier avait parfaitement entendu le cri de Cocotte. Il s’arrêta pour écouter à l’angle de la petite rue du Coq qui rejoignait la rue de la Verrerie, seule voie à peu près directe qu’on pût prendre pour gagner le quartier du Palais-Royal.

Il cherchait à se rendre compte du bruit entendu et qui posait pour lui une énigme. La seule chose qu’il comprit bien, c’est qu’il était toujours poursuivi, et même de très près.

Cela lui sembla inconcevable parce qu’à son estime il avait fait des prodiges de vélocité. Sa course, depuis la place de la Bastille, lui apparaissait aussi rapide qu’un vol d’oiseau.

Et il essayait encore de se dire:

«Je ne suis pas même essoufflé.»

Mais le feu intérieur qui brûlait sa poitrine, donnait à ce triomphe un cruel démenti. Non seulement il était essoufflé, mais la sueur inondait tout son corps, et ses membres pantelaient comme ceux d’un gibier que les chiens ont forcé à mort.

Il se révoltait contre cette évidence. Il voulait croire encore à sa vigueur infatigable et, comme il la qualifiait, surnaturelle.

La vue de Roblot et de Piquepuce, qui débouchaient par la rue Jean-Pain-Mollet, le blessa comme une humiliation. Cela le précipitait des hauteurs où l’avait guidé sa folie: cela niait son destin. Il fut pris d’une aveugle colère contre ces hommes qui blasphémaient sa chimérique puissance, et l’idée de les détruire s’empara de lui tout de suite.

Il y avait à l’angle de la rue du Coq où il s’était arrêté une échoppe de savetier, collée au mur et qui, à cette heure de nuit, était fermée.

Elle faisait saillie de deux pieds environ avec son petit toit qui ne dépassait pas beaucoup la hauteur d’un homme.

En face de l’échoppe, on travaillait à l’étroite chaussée. Il y avait un tas de matériaux, surmonté d’un écriteau et éclairé par un lampion.

Vincent laissa tomber son pic et ramassa un gros pavé, pensant:

«Je ne verrai pas leur sang.»

Ce fut sa seule réflexion. Il n’aurait pas eu le temps de concevoir ni de formuler une autre idée. Roblot et Piquepuce arrivaient au pas de course.

Le passage, ménagé aux piétons par les ouvriers de la voirie, était entre le barrage municipal et l’échoppe.

– Tiens, fit Roblot qui tourna en rasant le mur, on ne le voit plus. Il a dû galoper ferme pour être déjà dans la rue de la Verrerie.

– Es-tu bien sûr qu’il ait pris par ici? demanda Piquepuce. Ce fut la dernière parole prononcée.

Vincent Carpentier, qui tenait le pavé serré convulsivement contre sa poitrine, l’éleva au-dessus de sa tête et le lança avec une force terrible…

Sa gorge rendit un sourd rauquement.

Cela fit comme un boulet de canon. Les deux hommes furent culbutés avec une irrésistible violence; Roblot, tué raide par le pavé qui lui avait écrasé le flanc, Piquepuce, touché seulement par le contrecoup, mais de telle sorte qu’il alla tomber la tête la première sur les matériaux, où il resta gisant et privé de tout sentiment.

Vincent reprit son pic et poursuivit sa route sans même regarder derrière lui. Il se carrait en marchant, aspirant l’air largement et portant haut la tête. Toute son exaltation était revenue, mais calmé, il triomphait, comme il convient à un géant qui a posé son pied sur la tête de deux pygmées.

«Quand je pense, se disait-il en souriant de pitié, que j’ai douté un instant de moi! Je n’avais pas besoin d’arme. Ils auraient mordu la poussière si je les avais écartés avec le dos de ma main! S’il y avait un rempart entre moi et mon trésor, je sens bien que je mettrais le rempart en poudre.»

Personne ne contraria sa route dans la longue rue de la Verrerie. Il commença à rencontrer du monde dans la rue des Lombards. Il y avait déjà foule aux Halles. Vincent saluait de la main ceux qui le regardaient passer.

Aux environs de Saint-Eustache, dont l’horloge marquait trois heures et demie, un compagnon terrassier lui demanda s’il était à embaucher. Vincent répondit:

– Je ne méprise pas les pauvres, mais ma fortune est incalculable!

Puis, voyant l’étonnement de l’ouvrier, il s’éveilla de son rêve et ajouta, en touchant son front:

– L’ami, je sors de maladie, j’ai la tête un peu faible.

Le ciel s’était chargé de gros nuages, néanmoins, un crépuscule sombre et gris commençait à se faire quand Vincent, longeant la rue Neuve-des-Petits-Champs, atteignit le passage Choiseul encore fermé.

À mesure qu’il s’éloignait du quartier des Halles, il retrouvait la solitude plus complète. Le vrai Paris, employé ou marchand, en avait encore pour deux bonnes heures à dormir.

Nous n’avons pas à apprendre au lecteur que Vincent Carpentier avait atteint ici le terme de sa course. L’hôtel Bozzo-Corona, chacun l’a deviné dès longtemps, était le but de ce long voyage, commencé dans la campagne de Stolberg, terminé à travers nos rues.