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– C’est ton nouveau quartier, bibi, dit le colonel. Excellent pour un architecte! Donnez-moi le bras.

Au bout de quelques pas, ils arrivèrent devant une petite maison neuve, à la porte de laquelle stationnait le fameux coupé, conduit par Giovan-Battista.

– Sonne, dit encore le colonel, je t’ai mis là-dedans une perle de domestique, Roblot; c’est moi qui l’ai formé, mais tu le changeras si tu veux; ne te gêne pas. C’est ta maison, en attendant mieux. Bonsoir, bibi, à demain!

Vincent, introduit par son valet modèle, demanda tout de suite sa chambre à coucher.

Il refusa les offres de service de Roblot et se laissa choir dans son fauteuil au coin du feu.

Son regard abattu ne fit même pas le tour de la chambre, toute fraîche et toute coquette.

La pendule sonna plusieurs fois avant qu’il songeât à gagner son lit.

– C’est une idée extravagante, murmura-t-il enfin. J’ai conscience d’un danger mortel. Irène et Reynier m’auraient peut-être arrêté; mais je ne les ai plus, me voilà seul. Cet homme a eu tort de me laisser seul!

VIII Le salon de la comtesse

Il faut croire que le personnage politique ou autre qui devait abriter sa tête proscrite dans la cachette, creusée par Vincent Carpentier sous les yeux du colonel, n’était pas absolument au dépourvu et pouvait attendre, car trois mois entiers s’écoulèrent, dont la moitié au moins fut dépensée à polir l’œuvre et à en faire un véritable joyau.

L’excavation avait, selon la mesure fournie par le colonel lui-même, deux mètres de large, trois mètres de long, sept pieds de hauteur.

L’épaisseur du mur avait été ménagée dans de si justes proportions que la paroi extérieure, celle qui «donnait sur la campagne», pour employer les expressions du vieillard, gardait encore une grande solidité et sonnait plein sous le marteau.

La forme générale était cubique, mais les murailles étaient recouvertes avec soin d’un enduit stuqué, fournissant le plus parfait poli.

Le colonel, pareil à un enfant qui concentrerait toutes ses fantaisies sur un jouet favori, avait voulu, en outre, des ornements d’un goût gracieux dont il avait discuté le choix à loisir avec son confident.

Il appelait ainsi Carpentier, à qui jamais il n’avait rien confié et que son meilleur soin était au contraire de dérouter par mille suggestions brouillées et emmêlées comme les fils d’un écheveau avec lequel un chat aurait joué.

Tantôt l’architecte travaillait pour «la fille des rois» et c’est pour cela que les parois avaient cette douce couleur rosée qui devait plaire à l’œil d’une princesse, tantôt le malheureux Louis XVII, victime échappée à tant de désastres, devait y trouver une retraite assurée.

D’autres fois, il s’agissait de papiers dont l’importance était incalculable et qu’il fallait défendre contre une recherche acharnée.

Mais Vincent ne s’y trompait point. Le petit poêle de faïence que le colonel avait fait encastrer dans le mur pour chauffer le prisonnier, ne donnait pas le change à Vincent. Dès le premier soir, il avait vu dans la prunelle du vieillard ce jaune reflet, ce reflet d’or qui trahit la passion profonde de l’avare.

Ils ont beau se dérober, feindre, ruser, l’or les trahit comme un trait de physionomie ineffaçable ou comme une éternelle odeur.

Vincent avait deviné, lui, l’ouvrier froid qui assistait à jeun à l’étrange orgie du vieillard, Vincent avait deviné l’amour jaloux, l’amour insatiable.

L’amoureux voudrait parer son alcôve comme un autel. Ce vieil homme était un amoureux tout frémissant de désirs, tout énervé de voluptés, qui forçait son pas chancelant jusqu’à l’alcôve nuptiale.

Il s’obstine, ce libertinage des ruines humaines. Quand toutes les autres débauches deviennent impossibles, l’ivresse de l’or pour l’or dure toujours, et grandit, et s’exalte jusqu’à l’extase.

Et l’on dit que dans le paroxysme de ces jouissances sordides, l’espoir naît et grandit, l’espoir insensé de garder le trésor – à soi tout seul -, jusque par-delà le tombeau.

Un trésor! C’était un trésor que la cachette attendait.

Vincent était sûr de cela. Rien au monde n’aurait pu entamer sa certitude.

Comme on ne lui avait donné aucun secret à garder, comme au contraire on avait employé tous les moyens d’égarer son imagination loin du vrai, il restait libre de chercher.

Et il cherchait.

Non pas encore activement, car les générosités dont le vieillard l’accablait lui faisaient scrupule, mais théoriquement, platoniquement, si l’on peut dire, et en remuant sans cesse l’arithmétique fantasque du calcul des probabilités.

Dans notre monde, il est plus de gens qu’on ne pense rompus à cette escrime de la pensée, et qui, semblant marcher au hasard, vont droit leur chemin, guidés par la résultante d’une opération algébrique en tout comparable au travail que font les marins pour relever leur route à travers les mystères de l’océan.

Le champ de la vie humaine est plus vaste que la mer et plus inconnu. La science dont je parle plie et façonne l’induction pour en former une manière de boussole propre à guider le voyageur dans les ténèbres de la vie.

Parfois, vous voyez surgir un homme, en apparence médiocre, qui pousse tout à coup comme un champignon; soit hasard, soit industrie, ayez pour certain qu’il s’est procuré une de ces boussoles.

Vincent Carpentier était de ces natures solitaires qui raisonnent, calculent et comparent. Il avait en lui de quoi fabriquer ce compas intellectuel, mystérieux et puissant comme une sorcellerie.

Avant même que sa volonté fût complice, l’esprit d’investigation s’était éveillé en lui.

Il cherchait, tout en disant: «Je ne veux pas chercher», et il en était encore à se mentir ainsi, qu’il avait déjà trouvé peut-être.

C’était un caractère singulier. Le colonel, malgré ses caresses, lui inspirait une invincible défiance qu’il acceptait comme pressentiment. Il arrive, en effet, souvent que les vivants outils employés aux opérations du genre de celle que Vincent venait d’accomplir sont brisés après la besogne achevée.

Vincent croyait à cela.

Les calculateurs de la probabilité ne rejettent jamais un fait parce qu’il est romanesque ou même invraisemblable, au point de vue de la moyenne des mœurs et des opinions.

Ils ont raison.

C’est en adorant cette idole imbécile, la vraisemblance que les juges ont crevé les deux yeux de la justice.

Vincent s’était dit très sérieusement dès l’abord:

– Il se peut que je sois assassiné.

Il avait gardé cette idée, malgré la somme des renseignements pris, tous favorables au colonel Bozzo et à son entourage.

Favorables ne dit pas assez: c’était un hymne qui était chanté par la voix publique autour du vénérable vieillard. Vincent n’allait pas contre ces cantiques, mais il s’obstinait à voir une menace suspendue sur sa tête.

Peut-on dire qu’il éprouvât de la reconnaissance pour le bien-être nouveau dont sa rencontre avec le colonel l’entourait? Oui et non. Entre eux deux il y avait pacte. Vincent travaillait, le colonel payait. Le taux élevé du salaire prouvait l’importance de l’œuvre.

Mais il y avait pour Vincent autre chose que lui-même. Toutes les trois semaines, il recevait des lettres enthousiastes: Reynier était heureux, Reynier se sentait grandir, le baptême de l’art lui donnait une vie nouvelle, il bénissait Dieu et les hommes dans l’ivresse de sa jeune conquête.