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C’était à midi sonnant que le fantôme du colonel Bozzo-Corona, apparu la nuit dernière aux Compagnons du Trésor, dans les bosquets du Père-Lachaise, leur avait donné rendez-vous.

Il avait promis de les recevoir rue Thérèse, dans son ancien hôtel, transformé en couvent.

Il leur avait promis, en outre, le partage si longtemps attendu des richesses de la Merci, sous condition que l’association, travaillant pour lui, ferait disparaître Vincent Carpentier, Reynier et surtout le cavalier Mora.

La comtesse Marguerite et ses associés ignoraient-ils que le Fantôme et le cavalier Mora étaient une seule et même personne? Cela importait peu au colonel. Il était comme ces tyrans qui mentent sans désir de tromper, parce qu’ils se sentent assez puissants pour imposer le mensonge.

Pour tout le monde, ce rendez-vous était une bataille, un défi, le colonel comptait bien que ses adversaires serait armés; seulement, il se croyait certain de leur opposer des armes supérieures.

Vers sept heures du matin, la comtesse Marguerite de Clare, devançant le rendez-vous de près d’une demi-journée, tourna dans son équipage l’angle de la rue Thérèse. Elle rencontra le Dr Samuel à la porte de l’hôtel.

Celui-ci venait à pied. Il était très pâle. Il annonça à Marguerite la disparition de Cocotte, de Piquepuce et de Roblot, qui étaient les meilleurs officiers subalternes de l’association.

Malgré cette perte, le docteur avait pu rassembler un nombre suffisant d’affiliés aux abords de l’hôtel, et Marguerite reconnut aux tables du café voisin la figure hétéroclite de Similor, buvant à sa santé en respectable compagnie.

Ce fut Marguerite elle-même qui souleva le marteau de la porte cochère. Personne ne répondit à l’intérieur.

Une pauvre femme qui passait dit:

– Si c’est pour voir les bonnes religieuses, vous arrivez trop tard. Le couvent a déménagé cette nuit.

Samuel et Marguerite se regardèrent.

– Si vous avez peur, prononça tout bas celle-ci, j’entrerai seule. Samuel poussa de la main le battant de la porte, qui céda aussitôt. Ils passèrent ensemble le seuil. La cour était déserte, ainsi que les écuries et remises dont les portes restaient grandes ouvertes.

Au contraire, la conciergerie et les divers étages des bâtiments qui entouraient la cour, montraient leurs volets fermés.

Marguerite entra par l’escalier de droite qui donnait accès autrefois dans les appartements privés du colonel Bozzo-Corona. Nous nous souvenons que la majeure partie de l’hôtel était, en ce temps-là, dévolue aux bureaux de l’association philanthropique fondée par le vieux démon, déguisé en bienfaiteur de l’humanité.

Il y avait eu peu de chose à changer pour donner à cette austère demeure une apparence claustrale. Des guichets grillés avaient été mis aux portes du premier étage.

Une seule de ces portes était ouverte: celle par où Vincent Carpentier avait été introduit dans la salle à manger, ce soir d’hiver où le colonel l’avait engagé à son service pour une mystérieuse besogne.

La comtesse Marguerite et le Dr Samuel traversèrent l’antichambre, puis la salle à manger où il ne restait plus aucun meuble. Il en était de même au salon.

Dans chacune de ces pièces, comme sur le palier du premier étage, Marguerite et son compagnon trouvèrent invariablement les portes closes, excepté deux: celle par où ils entraient et celle qui leur fournissait accès dans la pièce suivante.

On eût dit qu’une main mystérieuse leur avait ménagé un chemin dans ce logis abandonné.

Le docteur et la comtesse devinaient cette main.

– Le Père nous a frayé la route, dit Marguerite en quittant le salon.

– Et la route doit mener à un traquenard, ajouta Samuel.

Ils ne s’arrêtèrent point pour cela. La main du docteur serrait la crosse d’un pistolet sous le revers de son habit.

La comtesse était sans armes.

Il leur fallut traverser ainsi presque toute la maison pour arriver à l’ancienne chambre à coucher du colonel.

Tous deux se doutaient bien que là serait le terme de leur voyage. Ils ralentirent involontairement le pas en approchant de ce terrible seuil.

Dans l’avant-dernière pièce ils s’arrêtèrent. C’était celle où le colonel et Vincent Carpentier avaient entendu le travail long, mais sûr du comte Julian, forçant la serrure, avant d’accomplir le parricide qui était le droit héréditaire des fils de cette race sanglante.

Au-dessus de la porte une inscription disait:

Chambre de la mère supérieure

Marguerite n’hésita pas un instant: Elle était brave. Elle tourna le bouton.

La chambre de la supérieure était, comme les autres, veuve de tout meuble; seulement, en face de l’alcôve vide, le portrait en pied de la mère Marie-de-Grâce pendait à la muraille.

Le sourire glacé de cette tête pâle, dont la morne beauté semblait sculptée dans l’albâtre, faisait froid jusqu’au fond des veines.

– C’est lui! murmura Marguerite.

Samuel tremblait.

La chambre n’avait d’autre issue apparente que celle par où le docteur et la comtesse venaient d’entrer.

Mais au fond de l’alcôve un bouton d’acier brillait, et un écriteau, récemment tracé, pendait à la tapisserie. Il n’avait que trois lettres et disait:

ICI

– Il nous attend! pensa tout haut Marguerite.

– La mort est là! murmura Samuel qui frissonnait de la tête aux pieds.

Marguerite fit un pas vers l’alcôve. Le docteur ajouta:

– Il est encore temps de reculer.

L’admirable taille de Marguerite se redressa de toute sa hauteur.

– Jamais je n’ai su reculer! dit-elle. Et sa main toucha le bouton d’acier.

La pierre que Vincent avait équilibrée avec tant d’art, tourna aussitôt sur son pivot, laissant béante l’ouverture de la cachette.

Sous cette voûte écrasée et malgré la brèche donnant sur le jardin, il faisait relativement sombre. La lampe votive du dieu Or faussait la lumière et augmentait l’obscurité.

Marguerite marchait en avant. Samuel essayait de voir par-dessus son épaule.

C’était un poltron résolu dont les dents claquaient, mais qui osait.

Ils ne virent rien d’abord, sinon la caisse et ses reflets de bronze.

Marguerite, contenant sa voix qui voulait éclater, dit la première:

– Il y a deux hommes couchés.

– Et la cachette est éventrée, ajouta Samuel, apercevant les arbres du jardin à travers la brèche.

La voix de la comtesse s’embarrassa dans sa gorge pendant qu’elle murmurait:

– Est-il trop tard? Vincent Carpentier nous a-t-il prévenus?

Elle voulut faire un pas; son pied sentit, entre sa semelle et la dalle, la clef qu’Irène avait jetée. Elle la ramassa machinalement. Samuel disait à cet instant même:

– Ces deux-là sont morts.

Marguerite en même temps s’écria:

– On vient! Défendez l’entrée! J’ai la clef! Le trésor est à nous!

– À nous tous! dit le prince, qui sauta par la brèche, le couteau à la main.