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Derrière lui venaient l’abbé X…, Comayrol et le bon Jaffret.

– J’ai la clef, répéta Marguerite accueillant les nouveaux venus d’un regard hostile et hautain. Le partage sera réglé selon ma volonté, parce que je suis le Maître. La maison est entourée de mes serviteurs, et ils savent d’avance qu’aujourd’hui, en plein soleil, je peux dire: Il fait nuit!

Elle se baissa par deux fois, mettant la main d’abord sur la poitrine de Vincent Carpentier, puis sur celle du comte Julian.

Samuel avait parlé bas aux Compagnons du Trésor, disant:

– Sachons d’abord ce que contient le coffret. À quoi bon frapper s’il est vide!

Le prince répondit:

– Vivons en paix plutôt que de mourir comme eux.

– Le hasard, ajouta l’abbé X…, nous a débarrassés de nos deux plus mortels ennemis. De quoi vous plaignez-vous, Maîtresse? N’avez-vous pas, vous aussi, devancé l’heure du rendez-vous?

Comayrol et le bon Jaffret s’étaient rapprochés tout doucement de la caisse.

– Ce n’est pas bien grand, fit observer Comayrol avec regret.

– Si madame la comtesse voulait me confier la clef, insinua Jaffret, j’ai quelque habitude de ces sortes de serrures.

Samuel mit sur le bras de Marguerite sa main que des soubresauts nerveux agitaient.

– Nous attendons, fit-il. Les minutes sont des siècles, ici!

Il y avait quelque chose d’étrangement menaçant dans l’émotion de cet homme que chacun avait toujours vu froid comme la pierre.

Marguerite repoussa du pied la jambe inerte du comte Julian qui lui barrait le passage, et s’approcha de la caisse à son tour.

Elle regarda pour la première fois la clef qu’elle tenait à la main.

La clef, d’un travail délicat, était double et devait travailler des deux bouts.

Sans mot dire, Marguerite approcha l’une des extrémités de la serrure au hasard.

Les Compagnons du Trésor retenaient leur souffle. Quelques-uns avaient tout leur sang au visage, d’autres étaient plus blêmes que les deux cadavres étendus sur les dalles.

Tous les fronts ruisselaient de sueur.

La clef toucha la serrure, mais elle n’entra pas. Il y eut un grand soupir qui ressemblait à un gémissement.

Marguerite retourna la clef, dont l’autre extrémité entra et joua sans peine.

Un élan bestial poussa tous ces hommes en avant. La caisse fut entourée et serrée de si près, que les battants n’avaient plus de place pour virer sur leurs gonds.

Marguerite leur ordonna de reculer. Ils étaient ivres; ils ne comprirent pas; ils criaient:

– Ouvrez! qui vous empêche d’ouvrir?

Ivre comme eux, Marguerite arracha la clef de la serrure et les en frappa au visage. Ainsi corrige-t-on la meute qui veut devancer le moment de la curée.

Les chiens hurlent, mais reviennent.

Les Compagnons du Trésor, plus âpres que la meute affamée, ne hurlèrent pas. Le sang coulait à leur insu de leurs lèvres hébétées qui répétaient:

– Ouvrez donc! mais ouvrez donc!

Ils reculèrent d’un pas pourtant, et les deux battants de fer roulèrent sur leurs axes.

Il se fit un silence si profond qu’on entendait les cœurs sauter dans les poitrines.

Puis un sourd concert de blasphèmes emplit le caveau. Il n’y avait rien dans le coffre-fort.

Ou, du moins, on ne voyait rien.

La figure du bon Jaffret s’inonda de larmes. Le talon du prince écrasa par vengeance le front déjà froid du comte Julian.

– Fouillons le mort! s’écria-t-on.

Car la même idée était venue à tous. Le colonel s’était vanté d’avoir condensé le trésor à ce point qu’il eût pu le mettre dans sa petite boîte d’or.

On se jeta sur le cadavre. On commença à le dépouiller. On l’eût ouvert très certainement pour interroger ses entrailles!

Mais Marguerite, sans mot dire, avait avancé la main à l’intérieur de la caisse. La meute entendit le bruit d’une plaque métallique qu’on dérangeait.

XXXIV La foudre

On laissa le corps, on se rua vers la caisse.

On vit… Assurément, le fantôme du cimetière avait un peu exagéré en parlant de sa tabatière, sur laquelle était le portrait de l’empereur de Russie. Mais il n’avait pas exagéré beaucoup.

Ce qu’on vit était le trésor – l’immense trésor des Habits Noirs.

Le fruit d’un demi-siècle de pillages légendaires, de rapines organisées, centralisées, le produit de la plus grande, de la plus parfaite machine à voler que les ingénieurs du crime aient construite jamais.

Et ce qu’on vit aurait pu entrer aisément dans le sac de velours brodé qui pendait, selon la mode d’alors, au coude de la comtesse Marguerite.

C’étaient deux petits tas de papiers dont la réunion aurait donné la valeur d’un volume de la collection du libraire Charpentier.

L’un des tas se composait de bank-notes, l’autre de récépissés de dépôts en banque.

Le premier bank-note portait ce chiffre: Fifty thousand pounds (cinquante mille livres sterling ou 1 250 000 francs).

On lisait sur le premier récépissé: Ten thousand LB. per annum, (rente de 10 000 livres ou 250 000 francs, ce qui donne un capital approximatif de cinq millions de francs).

L’addition des feuilles de ce volume Charpentier, si elles se ressemblaient toutes, devait donner un total vertigineux.

Je ne sais pas comment cela se fit, mais à la vue de ce prodigieux amas de richesses, pistolets et poignards jaillirent d’eux-mêmes: toutes les mains apparurent armées.

Marguerite seule n’avait que sa clef, qu’elle approcha, après l’avoir retournée, de la serrure qui fermait le double fond grillagé, au travers duquel se montraient les bank-notes et les titres.

Sa main ne tremblait pas. Ses yeux brûlaient profondément. Il y avait autour de sa beauté une auréole de fanatique recueillement.

– Tout cela est à moi! prononça-t-elle avec lenteur d’une voix que les autres ne lui connaissaient pas.

La clef grinça dans la serrure.

Chacun de ceux qui étaient là répétait en lui-même:

– Tout cela est à moi!

Le même délire affolait toutes les têtes. Marguerite dit encore:

– Je ne veux rien partager.

Samuel brandit son pistolet d’un geste extravagant.

– Pas de partage! s’écria-t-il.

– Tout au dernier vivant! acclama le Prince, dont les lèvres avaient de l’écume.

La grille s’ouvrit.

Ils se ruèrent aussitôt sur la caisse ou plutôt les uns contre les autres, saisis d’une frénésie aveugle, essayant de prendre et de frapper à la fois.

Mais la serrure, en jouant, avait produit un bruit faible et sec semblable à celui que rendait autrefois la batterie des fusils à pierre. Une lueur se fit à l’intérieur du coffre, éclairant le panneau du fond où des lettres blanches, jusqu’alors invisibles, ressortirent sur le noir.

Les lettres disaient: Mes chéris, j’emporte mes petites économies dans un monde meilleur ou pire. Nous allons tous savoir ça aujourd’hui. À tantôt!