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Le déguisement était du reste une nécessité; car le fait d’établir un poste d’observation à deux pas de la maison du colonel constituait une attaque véritable.

Vincent sortait du bois. Son calcul tournait en acte. Il commençait la guerre.

Dès cette première nuit, Vincent monta la garde à sa lucarne depuis la brune jusqu’au point du jour. Bien des fois, pendant ces heures lentes, il se révolta contre lui-même; bien des fois, il quitta sa place pour fuir, mais une fièvre sombre le tenait captif. Il voulait savoir.

L’idée fixe était déjà plus forte que sa conscience.

Cette nuit, il ne vit rien. Il en fut de même des nuits suivantes pendant plus de deux semaines. Vincent dormait le jour, mais la fièvre montait et les rêves de Vincent n’étaient plus les mêmes.

L’or entrait dans sa folie.

Il ne s’était pas dit: Je veux le trésor, mais il fermait les yeux pour ne plus lire le livre de son âme.

Et l’ivresse de ses songes lui montrait les éblouissements de la richesse sans bornes et sans fond, haute et large comme une mer.

Il maigrissait, il pâlissait, oxydé en quelque sorte et rongé par cet océan de rayons.

Vers le milieu de la troisième semaine, à une heure après minuit, son pouls cessa de battre et sa respiration s’arrêta dans sa poitrine.

Pour la première fois depuis qu’il veillait à son poste, il vit une lumière faible se mouvoir et passer de fenêtre en fenêtre le long de l’arrière-façade, au rez-de-chaussée de l’hôtel Bozzo.

La lumière aperçue par Vincent Carpentier traversa toutes les pièces du rez-de-chaussée de l’hôtel Bozzo et s’arrêta à l’avant-dernière croisée, c’est-à-dire presque au fond du jardin. Les rois mages ne virent pas poindre avec plus d’émotion l’étoile miraculeuse qui devait être leur guide dans la nuit du désert.

Vincent avait collé son œil aux vitres de sa mansarde; il regardait, le front en feu, les veines glacées.

La façade se présentait à lui de deux tiers profil; il pouvait suivre aisément la marche de la lueur, et la connaissance exacte qu’il avait de l’intérieur de l’hôtel lui permettait d’établir la série des appartements traversés par la lumière.

Mais c’était tout. La distance était trop grande pour qu’il pût distinguer le porteur de cette lampe ou de cette bougie, rallumée si tard dans la nuit.

Ce devait être le colonel lui-même; ce pouvait être un domestique ou un voleur.

La pensée du voleur mit une angoisse dans l’esprit de Vincent.

Il était jaloux déjà de son droit au trésor.

La lumière disparut et Vincent se dit:

– Il est entré dans la cachette.

Et il resta tout frémissant, comme un amant qui aurait vu le mari s’introduire dans la chambre à coucher de la femme aimée.

Il devait voir encore autre chose.

Outre le mari et l’amant, il y a parfois ce troisième personnage, inventé par Gavarni, et dont l’amant dit: «Il nous trompe tous les deux.»

XXI Celui qui trompe les deux

Pendant que Vincent se morfondait à son poste, cherchant un moyen de contrôler les apparences et de voir de plus près, il aperçut un mouvement confus, au faîte du mur qui séparait le jardin de la rue des Moineaux.

C’était une masse noire qui semblait ramper sur la muraille, et qui se laissa glisser avec précaution dans la rue.

Si l’homme eût aussi bien sauté dans le jardin, Vincent aurait crié à la garde!

Était-ce un malfaiteur ordinaire? un rôdeur guettant sa proie au hasard?

Était-ce un rival? un chasseur courant sur la propre piste de Vincent et plus avancé que Vincent lui-même?

Une fois sur le trottoir, l’ombre se glissa le long du mur, dessina en passant sous un réverbère la silhouette d’un jeune homme marchant à grands pas, – puis se perdit dans la nuit.

Vincent resta stupéfait, plus suffoqué que Robinson Crusoé, reculant à la vue d’un pied imprimé sur le sable.

Cet homme, cet inconnu, quel qu’il fût, était pour lui un ennemi mortel.

Vers cinq heures du matin seulement, la lumière se montra de nouveau à l’extrémité nord de la façade.

Elle traversa une seconde fois tout le rez-de-chaussée de l’hôtel, s’en allant par où elle était venue.

Vincent Carpentier ne dormit pas ce jour-là. Il resta la matinée entière courbé sur son plan, et suivant la route de la lueur, il se disait, parlant du rôdeur nocturne:

– De l’endroit où il était, sur le mur, il devait mieux voir que moi. Je voudrais trouver un autre mot que jalousie pour désigner la sauvage étreinte qui lui blessait le cœur.

Il pensait encore, travaillant toujours et compulsant les souvenirs de ses courses de nuit en compagnie du coloneclass="underline"

– Nous arrivions par la rue, c’est clair, nous traversions le petit jardin, nous trouvions une porte…

Son doigt, qui marchait sur le papier, s’arrêta devant la seule porte désignée au plan, et qui s’ouvrait à gauche en entrant par la rue des Moineaux à quelques mètres seulement du mur.

– Ce n’était pas celle-là, dit-il après avoir hésité. La lumière a été, cette nuit, jusqu’à l’autre bout de la maison; la maison a plus de quarante pas de large, et c’est à peine si nous faisions trois pas après avoir quitté la cage de l’escalier. De deux choses l’une: ou il y avait une autre porte, ou tout l’échafaudage de mes calculs s’écroule!

Son poing fermé frappa la table.

– Il y avait une autre porte! fit-il résolument, comme si sa volonté eût pu influer sur le fait. L’homme a bien monté sur le mur. Je chercherai, je trouverai…

Il s’interrompit encore une fois et prononça avec une expression étrange:

– Mais l’homme reviendra… Tant pis pour lui!

Il ne sortit pas de la journée et ne voulut recevoir personne.

À la tombée de la nuit, il se déguisa comme à l’ordinaire, et couvrit son travestissement du long manteau qui lui servait à sortir de chez lui.

Ceux qui, pour un motif ou pour un autre, prolongent ainsi le carnaval en dehors des jours gras, sont sujets à se faire illusion. Ils croient, dur comme fer, que personne ne les reconnaît.

Il y en a beaucoup qui se trompent.

Vincent Carpentier prit une route très détournée pour aller du quartier Saint-Lazare à la rue Saint-Roch. Il aurait juré que personne ne le suivait.

Quelque part, dans un de ces terrains vagues qui abondaient encore alors derrière la gare actuelle du chemin de fer du Havre, il dépouilla son manteau dont il fit un paquet, coiffa son garde-vue vert et prit son rôle de vieux juif.

À l’angle aigu formé par les rues Saint-Roch et des Moineaux, il passa tout contre un jeune homme arrêté devant les carreaux d’un petit magasin borgne où l’on faisait semblant de vendre des modes.

Le jeune homme avait le dos tourné, mais il essaya de glisser un regard oblique sous le garde-vue de Vincent.

Celui-ci avait l’instinct éveillé et subtil des gens qui se cachent. Il guettait d’ailleurs, lui aussi, songeant à l’ombre de la nuit précédente.

Il se retourna à demi et ses yeux choquèrent ceux du jeune homme, qui s’éloigna aussitôt.