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C’était vrai. La veille, le point rouge n’était pas sur le plan. Vincent l’y avait mis le matin même de ce jour en rentrant de sa faction à la fenêtre de sa mansarde.

Voici pourquoi il l’y avait mis.

Cette nuit-là même, et après bien des semaines d’attente, Vincent avait vu briller de nouveau la lueur qui allait de fenêtre en fenêtre au rez-de-chaussée de l’hôtel Bozzo.

La première fois qu’il avait aperçu cette lueur, Vincent n’avait pu distinguer à l’œil nu ni le visage, ni même la tournure de l’homme qui la portait.

C’était le dernier fil qui arrêtait la solution définitive du problème. Il y avait, en effet, probabilité, mais non pas complète certitude. Ce pouvait être un valet, ce pouvait être aussi quelque homme de proie, attiré par l’aimant de l’or et rôdant, comme Vincent lui-même, autour de cette porte close qui laissait échapper un vertige.

Vincent voulait être sûr, absolument.

Cette nuit, la longue-vue, braquée d’avance, lui montra derrière les carreaux de la première fenêtre, puis derrière les vitres de la seconde et ainsi de suite, de croisée en croisée, jusqu’au fond du jardin, la silhouette frêle et chancelante du colonel Bozzo qui portait une lampe à la main.

Et Vincent se dit avec un grand mouvement d’orgueil et de terreur:

– Le trésor est à moi – si je veux!

Voulait-il?

À cette question, Vincent lui-même n’aurait pas encore su répondre.

J’entends le matin. – Ce soir, après le départ de Piquepuce, il avait sa tête entre ses mains, parce qu’il interrogeait sa fièvre, cherchant à savoir ce qu’il y avait au fond de ce délirant effort qui lui avait pris sa vie.

Il fut longtemps sans parler, car ce ne sont pas seulement des pensées qui traversent l’esprit des solitaires; ils parlent à haute voix, avec éloquence souvent, parfois avec violence, et le monologue dont le théâtre abuse est, dans une certaine mesure, l’expression de la réalité.

Piquepuce était un observateur. Il savait cela. Son oreille remplaça son œil au trou de la serrure, juste au moment où Vincent se redressait tout pâle avec du feu sombre plein les yeux.

Vincent ne ressemblait plus à lui-même. Son visage était effrayant de souffrance et d’audace. Il froissa de la main le plan étendu devant lui et dit tout haut, d’une voix nettement articulée:

– Je n’avais pas besoin de cela. Je savais ma route. Dès le premier jour, quelque chose a parlé en moi. Ce point rouge, je le voyais à la place même où mes calculs et mes recherches l’ont placé. Il brillait comme une flamme. Il éblouissait ma pensée, j’aurais été à l’endroit qu’il désigne, les yeux bandés, tout droit, à travers n’importe quels obstacles, comme on marche à sa destinée.

Il secoua la tête lentement, avec tristesse, mais avec fermeté, comme on fait en écoutant une accusation grave, plausible, mais injuste.

– Non, je ne suis pas un voleur, reprit-il, je l’affirme, je le jure! je ne sais pas tout, mais chemin faisant, j’ai appris bien des choses, et le tableau de la galerie Biffi, révélation inattendue, a donné pour moi un sens au texte inexplicable de la légende. Cet or amoncelé en quantité inouïe, c’est du sang, c’est du malheur, ce sont des larmes. Voilà plus d’un siècle peut-être que cette interminable série de crimes passe effrontément devant l’œil aveugle de la justice humaine et brave sans cesse le châtiment. Il y avait des francs-juges autrefois. Ce n’étaient pas des voleurs. Ils avaient pris leur droit où Dieu l’a mis, dans leur cœur!

– As-tu fini! grommela Piquepuce de l’autre côté de la porte. Tu es ennuyeux comme la pluie, mon bibi. Essaie de pincer l’objet, mais pas de sermons, s’il vous plaît!

Il bâilla. Vincent poursuivait avec une passion croissante:

– Que faisaient les francs-juges d’Allemagne? Ils punissaient, et ils restituaient. Je recule devant le rôle de bourreau; c’est de là-haut que doit tomber la peine. Je ne frapperai que si un obstacle me barre la route… car je suis résolu à marcher.

– À la bonne heure, fit Piquepuce. Allons, mon fils! mais gare aux faux pas!

– Mais je restituerai; c’est là l’idée qui fait ma force. À qui? Ces hommes ont laissé derrière eux d’innombrables victimes. Je ne les connais pas, et j’ai regretté souvent de n’avoir pas au moins une vengeance à exercer. J’avais tort. Ma cause n’en est que plus grande. Je chercherai, je trouverai. N’ai-je pas fait mes preuves? Seul et pauvre, j’ai cherché, j’ai trouvé. Quel problème me résistera quand je posséderai la clef d’or et une armée?

Il se leva. Une sorte de calme succéda à son agitation.

Il se mit à marcher d’un pas mesuré. Et comme sa promenade le conduisit devant une glace, il y regarda son image.

Cela le fit reculer, tant l’altération de ses traits était frappante, et, comme si quelqu’un lui eût crié: «Tu mens», il balbutia:

– Non, je ne mens pas! je n’ai aucune passion, aucun désir. Dans l’univers entier je ne vois rien que je pusse acheter avec cette prodigieuse richesse. Pour les deux enfants, c’est vrai, j’ai rêvé l’opulence sans bornes, mais je ne sais plus si c’est mon envie, parce que le bonheur semble s’éloigner de ces demeures si riches. Il y a un démon dans l’or. Je ne veux rien… non! rien!

– Mais je veux tout! s’écria-t-il en relevant la tête. Je mourrais avant de partager! Dieu m’a donné cela, à moi tout seul, pour que je rende justice. Et Dieu me punirait si je manquais de courage à l’heure de la suprême bataille. C’est aujourd’hui le grand jour, mon instinct me le crie, et mon instinct ne m’a jamais trompé. Le colonel a découvert mon secret; que lui coûtera un meurtre de plus? Et les autres, ces Compagnons du Trésor, qui comptaient se servir de moi comme d’un guide, mes oreilles tintent, ils parlent de moi, ils me condamnent… ils m’ont condamné! demain, il serait trop tard. L’heure sonna à la pendule. Vincent compta onze coups.

– Déjà! murmura-t-il, tandis qu’un frisson passait dans ses veines. Un instant il demeura immobile et comme hésitant; puis, ouvrant avec lenteur un tiroir de son bureau, il y prit deux pistolets qu’il glissa dans ses poches. De l’autre côté de la serrure, M. Piquepuce dit:

– Voilà l’action qui se corse, attention!

Vincent souleva la houppelande comme pour la passer par-dessus son habit, mais après réflexion, il la rejeta, disant:

Cette nuit, je n’ai pas besoin de déguisement.

Il boutonna sa redingote.

Au moment où il prenait son chapeau, M. Piquepuce abandonna son poste d’observation et enfila vivement le corridor.

– Ça y est, dit-il à Roblot, qui l’interrogeait de son regard curieux. Les fers sont au feu.

Il descendit le perron quatre à quatre, traversa la rue et se jeta dans un fiacre qui l’attendait au prochain carrefour.

– Rue Thérèse, dit-il en refermant la portière, à l’hôtel Bozzo! Brûlez!

XXIII Escalade

Quelques minutes après, Vincent Carpentier sortait de sa maison ouvertement et sans prendre ses précautions habituelles. Il descendit tout droit au boulevard, encombré de promeneurs, comme en plein midi.