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Le compagnon de Piquepuce traversa le boulevard dans la direction de la rue Louis-le-Grand. Vincent le suivit.

Quelques instants après, tous deux sortaient de la foule pour entrer dans la rue solitaire.

L’homme qui ressemblait à Marie-de-Grâce allait le premier. Vincent le suivait à cinquante pas de distance.

Quel était le but de Vincent? lui-même n’aurait point su vous le dire.

Il pensait seulement ceci confusément: notre chemin serait-il le même?

Ils marchaient ainsi tous les deux sans que le mystérieux compagnon de Piquepuce parût s’inquiéter de l’ombre qui lui emboîtait le pas.

Peut-être n’entendait-il point. Du moins n’eut-il pas l’idée de se retourner.

À mesure qu’on s’éloignait du boulevard, la rue devenait de plus en plus déserte.

Si bien qu’après une ou deux minutes de marche, le silence se fit, troublé seulement par les pas de celui qui allait devant et de celui qui le suivait.

Vincent ralentit alors sa marche. L’inconnu ne se retourna point encore, mais il passa d’un trottoir à l’autre.

Il semblait prêter l’oreille.

Au détour de la rue Neuve-des-Petits-Champs, Vincent le perdit de vue, mais il croyait savoir désormais où l’inconnu se rendait.

Aussi passa-t-il sans s’arrêter devant le marché Saint-Honoré pour ne changer de direction qu’au coin de la rue Saint-Roch.

Là, il se croyait sûr de revoir l’inconnu; mais son regard, qui enfila avidement la rue, ne rencontra que la solitude.

Il se mit à courir, car il se disait: «Pendant que je ne le voyais pas, l’autre a couru.»

Personne encore dans l’étendue sombre et tortueuse de la rue des Moineaux.

L’horloge de Saint-Roch tinta deux coups.

C’est l’heure où, même en été, tout Paris dort, à l’exception de Paris des boulevards.

Vincent continua d’aller.

La course avait mis de la sueur à son front, mais un sentiment de froid parcourait ses veines comme il arrive quand on mesure le fossé large et profond avant de le franchir.

Le quartier Saint-Roch a peu changé depuis ce temps-là, du moins dans sa partie nord, comprenant les petites rues qui s’étendent entre la place Gaillon et le carrefour d’Argenteuil.

On dirait, en bas de la rue des Moineaux surtout, un coin de cité hispano-flamande. Les maisons hautes s’inclinent comme pour cacher le ciel; les échoppes font trou dans les vieux murs, et – je le vis encore il n’y a pas six mois – telle fenêtre à hauteur d’homme, percée au milieu d’un pan solitaire, laisse tomber sur un rudiment de balcon un débris de jalousie qui frissonna peut-être jadis aux drelin-dindins de quelque galante guitare.

Chez nous, ces jalousies tombant à l’espagnole ont mauvaise odeur. Ce sont les plus tristes de toutes les enseignes.

Et cependant, nous ne pouvons passer franc devant celle-ci, parce que Vincent s’arrêta court comme si son pied eût été cloué au sol subitement.

Une fenêtre devait être ouverte derrière la jalousie fermée, dont les planchettes laissaient sourdre une lueur, car une voix de femme se fit entendre, disant distinctement:

Juliano, je t’en prie, ne va pas… reste avec moi, cette nuit.

Il n’y eut point de réponse.

Mais Vincent, immobile et attentif, pensait:

– Juliano! ce nom-là était dans le récit de Reynier! C’est le nom de l’autre frère… le frère du marquis Coriolan assassiné.

Et la fatalité de ce drame de famille se dressait devant ses yeux comme un fantôme géant et menaçant.

Il voyait le duel parricide poursuivre à travers les années ses péripéties toujours les mêmes, toujours terribles.

Il attendit, retenant son souffle et collé à la muraille.

On ne parla plus derrière la jalousie.

Après une longue pause, Vincent continua sa route en étouffant le bruit de ses pas.

Il arriva bientôt au mur du jardin de l’hôtel Bozzo.

Tout était désert et silencieux.

Bien des croisées restaient ouvertes, offrant l’hospitalité à l’air de la nuit, mais à travers les châssis entrebâillés on ne voyait que ténèbres.

Paris avait mis du temps à s’endormir et n’en dormait que mieux.

Il n’y avait pas beaucoup à réfléchir, Saint-Roch envoya la demie après deux heures. En cette saison, l’aube paraît à trois heures. Et Vincent croyait voir déjà le ciel blanchir par-dessus les maisons.

Il attendit pourtant. Son regard interrogea les lointains de la rue où aucun mouvement ne se faisait.

Sa main qui tremblait d’émotion déboutonna sa redingote. Un poids sans nom était sur sa poitrine, et les battements de son cœur sonnaient à son oreille avec un bruit redoutable.

Il détacha la corde de soie, roulée autour de ses reins, et lança le crochet qui se prit du premier coup au faîte du mur.

– Je restituerai! balbutia-t-il en ce dernier moment. Et les enfants, les enfants… Dieu ne peut être contre moi. Je restituerai.

La corde à laquelle il se pendit le mit au haut du mur.

Il écouta. Aucun bruit ne venait du jardin où les arbres se balançaient doucement au-devant des fenêtres noires.

Du côté de la rue, quelque chose d’imperceptible, un pas lointain…

Vincent était juste à l’endroit où, de sa lucarne, il avait vu une fois une ombre rampant sur le mur.

Il se pencha du côté de la rue pour mieux entendre. Le bruit des pas avait cessé; c’était une erreur sans doute.

Tout allait bien. Vincent défit son crochet pour l’assujettir en sens contraire et se pendit à la corde de soie.

Tandis qu’il était entre ciel et terre, il lui sembla qu’un éclat de rire étouffé l’enveloppait – ainsi qu’un mouvement confus.

Il n’eut même pas le temps de tourner la tête.

Ses deux jambes furent saisies, on le fit tomber à terre rudement, un bâillon pesa sur sa bouche, et il resta sur l’herbe comme un paquet, chargé de liens depuis les pieds jusqu’aux épaules.

XXIV Pris au piège

Cette exécution avait été faite avec une telle promptitude par une demi-douzaine de gaillards bien découplés, sortant à l’improviste des massifs, que Vincent n’eut pas le temps de prononcer une parole.

Mais comme son bâillon ne lui bouchait pas la vue, il put reconnaître parmi les plus alertes à la besogne son inspecteur Piquepuce avec le jeune Cocotte, son professeur en serrurerie.

Tous deux semblaient être d’excellente humeur.

L’amitié de Damon et de Pythias donnerait une faible idée du lien qui attachait Piquepuce à Cocotte et réciproquement.

Leur affection mutuelle, corroborée par l’estime, eût inspiré de nobles tirades aux principaux poètes de l’Antiquité.

– Voilà l’objet, dit Piquepuce en riant. A-t-il l’air assez étonné?

– Prends garde de l’endommager, ajouta Cocotte. Je parie un sou qu’il a mon trousseau dans sa poche.

Sa main exercée trouva du premier coup le «monseigneur», et il dit encore:

– Mon prince, à tous les métiers faut un apprentissage. Dans dix ans d’ici, si vous suivez bien mes leçons, vous pourrez débuter, mais au jour d’aujourd’hui, bernique! Un four, quoi! Pas de chance.