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– Empereur! prononça-t-il du bout des lèvres, allons donc! Les souverains sont tous de pauvres hères qui ont grand-peine à nouer les deux bouts. Je les ai vus de près, ces maîtres qui commandent tout haut et qui tout bas obéissent. Regarde-moi, fifi: je vaux dix empereurs!

Il ne riait plus. Il avait redressé sa taille caduque dans une tentative de majestueuse attitude où il y avait de l’enfantillage et de la grandeur.

Car il était à la fois ridicule et formidable.

– Regarde-moi, répéta-t-il, je suis l’Or. Ce n’est pas aux rois qu’il faut me comparer, ni à rien de ce qui vit sur la terre. J’ai deux rivaux: l’un au ciel, l’autre en enfer: car il n’y a que Dieu, si Dieu est, et le démon, si le démon existe, qui puissent dire comme moi: tout m’appartient, puisque j’ai dans la main le prix de tout!

Il repoussa la porte de la caisse qui rendit en se fermant un son métallique.

– N, i, ni, dit-il, c’est fini, mon bibi, tu as tout vu, tu as vécu. Me voilà qui ai sommeil, il faut nous dépêcher. Lequel aimes-tu mieux: un coup de stylet au cœur: je sais la route, tu ne souffriras pas, ou un grain de poison sur la langue: j’en ai plus qu’il ne faut dans le chaton de ma bague. Choisis.

– Alors, fit Vincent au lieu de répondre, il y a bien deux milliards? Peut-être trois?

Le vieillard tourna vers lui son regard presque attendri.

– La mort ne te fait donc rien, bonhomme? murmura-t-il. Ah! tu es un gentil garçon, qui aime bien l’argent! mais c’est égal, tu connais le secret qui tue… vrai, mon pauvre Vincent, je te regretterai.

Il sortit de sa cachette, dont la porte se referma comme celle de la caisse.

Puis il fit glisser le lit à colonnes qui, cédant aussitôt à l’effort de son faible bras, reprit silencieusement sa place au fond de l’alcôve.

La gorge de Vincent rendit un large soupir. La souffrance physique semblait renaître en lui avec l’angoisse morale. Le charme qui le tenait était détruit.

Il regarda, avec une indicible terreur, le vieillard qui venait à lui et qui tenait un poignard à la main.

Il essaya de remuer – de se défendre peut-être, mais les cordes, resserrées par l’humidité de son sang, lui arrachèrent une plainte, en entrant plus avant dans sa chair.

Il voulut crier, mais le cri de détresse expira sur ses lèvres, parce que le colonel venait de s’arrêter, la tête penchée en avant, l’œil grand ouvert, la bouche convulsive, dans l’attitude de l’étonnement et de la terreur.

Un pas lent, mais sonore et sec, se faisait entendre dans la pièce voisine.

– C’est lui! murmura le vieillard, qui laissa échapper son arme. C’est lui!

Au-dehors, on tourna le bouton de la porte.

Comme la porte résistait, une voix grave s’éleva, qui dit:

– Mon père, c’est moi, ouvrez, il fait jour!

Qui, toi? balbutia le colonel, au comble de l’épouvante.

La voix répondit.

– Le comte Julian Bozzo-Corona, votre petit-fils. L’heure a sonné. Je viens prendre votre héritage, mon père, et venger ceux qui sont morts.

XXVII La voix du vengeur

La nuit continuait d’être profonde, malgré l’affirmation de celui qui était de l’autre côté de la porte, et qui disait: il fait jour.

Aucune lueur ne blanchissait encore les fenêtres.

Quand la voix du dehors eut cessé de parler, ce fut un silence morne, absolu comme celui qui doit régner au fond des tombes.

La maison dormait, la ville aussi. Ce n’est plus minuit qui marque l’heure tragique pour les habitants de Paris. À minuit, Paris travaille ou s’amuse. Le sommeil de Paris n’est complet que vers trois heures du matin.

Tous ceux qui ont besoin du sommeil de Paris savent cela.

C’est l’heure du guet-apens, du vol, du meurtre. Paris dort; il est aveugle et sourd, il ne peut plus se défendre.

Dans le grand silence qui emplissait la chambre du Trésor, pendant une minute tout entière, Vincent Carpentier et le colonel n’entendirent que le bruit de leurs propres respirations.

Le colonel ressemblait à un homme que la foudre a frappé.

L’étonnante vigueur d’esprit qui combattait en lui les caducités de l’âge s’était affaissée d’un seul coup.

Il ne restait en lui qu’un misérable débris humain, chancelant et tremblant, incapable de toute résistance.

Le sang-froid, qui était sa maîtresse force, semblait l’avoir abandonné.

Ses yeux, arrondis par la terreur, se fixaient sur la porte. Ses bras tombaient le long de ses flancs.

Deux larmes muettes roulaient dans les rides de ses joues.

Il y avait une chose singulière: Vincent venait d’échapper à une mort certaine et immédiate. La diversion qui venait d’avoir lieu lui avait sauvé la vie, aucun doute ne pouvait exister à cet égard; sans cette diversion, le couteau qui brillait maintenant à terre eût été plongé dans sa poitrine.

Le colonel, en effet, avait eu, au début de l’entrevue, une velléité de clémence ou plutôt d’arrangement. L’idée d’acheter un esclave lui avait traversé l’esprit, mais la réflexion avait changé cela. Vincent en savait trop: il était condamné.

Comme rien ne pouvait arrêter le vieil homme, ni pitié ni scrupule, comme Vincent ne pouvait opposer aucune espèce de résistance, le caprice miséricordieux ayant cédé le pas au caprice sanguinaire dans la cervelle de cet enfant de cent ans, tout était dit.

Vincent aurait donc dû bénir le défenseur providentiel qui s’était mis à l’improviste entre sa poitrine et le poignard. Il n’en était pas ainsi: la fièvre d’or le tenait, glacial et farouche délire qui calcule en dehors de toute logique humaine.

Il n’avait pas eu peur de mourir. Il n’y avait en lui que l’excès de son martyre physique et la pensée de l’or.

Le couteau l’aurait tué sans le distraire du prurit double, souffrance et jouissance, qui exaltait tout son être.

L’amant est toujours du parti du mari.

C’était ici une affaire d’amour. On ne hait pas le mari dans ces drames de la vie commune qui courent nos rues. Le mari a son droit. On se laisse frapper par lui; en le dépouillant, on l’épargne.

Mais le rival! Tout ce qu’un cœur ulcéré peut contenir de haine, on l’entasse sur la tête du rival heureux. Contre celui-là les scrupules ne sont pas de saison. Point de ménagements à garder, point de mesures! Toutes les armes sont bonnes, tous les stratagèmes aussi.

C’est la guerre sans pitié ni trêve. Il faut que l’un des deux ennemis meure.

Certes, au fond de sa douloureuse impuissance, Vincent Carpentier ne raisonnait pas ce sentiment, mais ce sentiment était en lui.

Il voyait, au-delà de la porte fermée, par les yeux de son imagination, la figure de l’ennemi, la figure du vainqueur, cette tête pâle et blanche, plus pâle et plus blanche sous sa couronne de cheveux noirs.

Il voyait ce regard froid comme l’acier, ces joues de femme, imberbes et douces, ce sourire tranquille, mais cruel.

Il ne souhaitait pas d’armes, il ne demandait que deux mains libres pour les nouer autour de cette gorge efféminée et pour l’étrangler avec un râle voluptueux.