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Vincent Carpentier n’avait pas bougé depuis son entrée dans la chambre du trésor. Matériellement, il lui eût été impossible d’avancer ou de reculer, ne fût-ce que d’un pouce.

Il restait à la place même où ses porteurs l’avaient jeté, comme un fardeau inerte, auprès du rideau qui se relevait à la partie gauche de l’alcôve.

Il y avait un espace assez large entre le lit et le plan où tombaient les rideaux.

Vincent était un peu en dedans de ce plan, et si les rideaux n’eussent point été maintenus par l’embrasse, il se serait trouvé caché derrière leurs plis.

Nous indiquerons plus exactement encore sa position en disant que tout à l’heure, le colonel avait été obligé de repousser un peu sa tête pour ne la point blesser en dérangeant le lit.

Ces détails sont nécessaires à l’intelligence de l’étrange scène qui va suivre.

Le colonel regardait la porte. Il n’y a point de mots pour peindre la détresse inouïe qui l’écrasait.

Il avait évidemment oublié la présence de son compagnon.

Il balbutia d’une voix piteuse, avec des sanglots d’enfant battu:

– C’est la fin! Personne ne me défendra. Il est entre moi et ceux qui pourraient me défendre. Je vais mourir… Je n’ai pas peur de mourir… Mais mon bien, mon bien, mon bien!…

Ses mains se tordirent en rendant le bruit sec des osselets qu’on remue.

La voix du dehors s’éleva de nouveau, parlant sans hâte ni impatience:

– Mon père, dit-elle, pourquoi ne m’ouvrez-vous pas? J’ai fermé toutes les portes derrière moi, et d’ici que vos serviteurs s’éveillent, il reste encore plus de deux heures. J’ai le temps d’ouvrir moi-même.

Le bruit d’un crochet qu’on introduisait dans la serrure se fit entendre.

Un tressaillement violent secoua tout le corps du vieillard.

Il se redressa à demi, et, plongeant la main sous les revers de sa douillette, il en retira un de ces pistolets américains, tout nouvellement importés en Europe, et que Colt, leur inventeur, avait baptisés du nom de revolvers.

Il en fit jouer les batteries. Un peu de sang revenait à ses joues.

Mais quand il voulut ajuster l’arme, les soubresauts nerveux de sa main le firent de nouveau pâlir et le replongèrent tout au fond de son épouvante.

Le crochet fouillait la serrure qui résistait, car elle était de celles dites à secret.

Mais il y avait dans le mouvement méthodique et lent de l’instrument quelque chose qui dénonçait l’habileté supérieure de l’ouvrier.

Le crochet ne se pressait pas. Il semblait sûr de son fait.

Le colonel se retourna. Il y avait derrière lui une armoire antique, dont les panneaux pleins étaient chargés de sculptures.

Il l’ouvrit et mit à découvert un véritable arsenal.

Sur le devant, se dressait une carabine romaine au canon octogone, dont la crosse était ornée d’une profusion d’arabesques or et nacre.

Le vieillard s’en saisit comme d’une proie.

– J’étais fort! j’étais fort, prononça-t-il par deux fois. Il ne souleva même pas l’arme trop lourde.

Sa main retomba, tandis qu’il disait en un gémissement:

– Ce soir-là, mon père avait ses pistolets, sa carabine, son sabre, et moi, j’étais sans armes. Il était aussi fort que je suis faible. Et pourtant je le tuai avec le propre stylet qui pendait à sa ceinture. Il me dit: «C’est bien. J’ai fait de même autrefois. Un jour ton fils te rendra la pareille.» Et il me donna la clef du trésor. Et il mourut…

Un craquement se fit à l’intérieur de la serrure. En ce moment, la voix du compagnon, que le colonel avait oublié, la voix de Vincent rompit le silence. Elle disait:

– Coupez mes liens, je vous défendrai.

Cette voix secoua le vieillard comme une décharge d’électricité.

Il sembla grandir tout à coup sur ses jarrets affermis. Ses maigres joues s’enflèrent.

Son regard alla de la porte à Vincent, comme si son travail mental eût mesuré le court espace de temps qui lui restait.

Il connaissait la signification précise des bruits que rendait la serrure. Il savait que le pêne avait déjà été reculé d’un tour et qu’un autre tour le jetterait hors de la gâche.

Mais il savait aussi que, pour cette seconde opération, il fallait que le crochet créât ou trouvât un autre point d’appui.

Cela pouvait durer quelques secondes ou plusieurs minutes.

Le colonel sembla prendre un grand parti. Ses jambes retrouvèrent une agilité surprenante. Il s’élança vers Vincent et ramassa en chemin le couteau qui gisait sur le parquet.

Ce n’était plus pour frapper qu’il s’emparait de cette arme.

Il s’agenouilla auprès de Vincent, et sa main, qui tremblait bien encore un peu, essaya de trancher les cordes nouées autour des poignets du prisonnier.

Celui-ci souffrait horriblement des efforts mêmes que faisait son libérateur, mais la passion le soutenait, et il activait le travail en disant:

– Ferme! vous arriverez. Dégagez seulement mes mains et mes jambes… Quand même je n’aurais qu’une main, si je peux me tenir sur mes pieds, le brigand est à nous.

Et le colonel travaillait, travaillait jusqu’à perdre haleine.

Les cordes étaient fortes et toutes neuves.

On en avait mis une profusion.

La première qui éclata, coupée, arracha la peau de Vincent avec des lambeaux de chair meurtrie, et lui causa une si poignante douleur qu’il ferma les yeux, prêt à s’évanouir.

Mais il dit encore:

– Ferme! ferme!

Et le couteau entama un second lien.

Un second bruit aussi se fit dans la serrure qui était ouverte, sauf l’arrêt de réserve qui nécessite, pour ces sortes d’ouvrages, l’emploi d’un loquet particulier.

Une forte poussée se produisit au-dehors. L’arrêt de réserve résista.

Le crochet reprit pour la troisième fois son office.

La seconde corde sauta. Vincent, livide et baigné par la sueur froide, put dégager son bras droit qu’il brandit au-dessus de sa tête, en disant:

– J’ai la force de dix hommes! à l’autre bras! ou plutôt, non! aux jambes! Il faut qu’il me trouve debout!

Le colonel, épuisé, s’arrêta pour reprendre haleine.

– Ne vous arrêtez pas! s’écria Vincent. Songez au trésor!

Le colonel répondit en passant ses deux mains sur son front inondé:

– J’y songe!

Et au lieu de continuer sa besogne, il se releva.

Pour aider ses jarrets défaillants, il avait saisi le rideau, qui vint à lui et tomba comme la toile d’un théâtre au-devant de l’alcôve, parce que l’embrasse avait glissé sur la patère.

– Que faites-vous! s’écria Vincent. Le colonel resta un instant immobile.

Sa pensée flottait entre deux courants contraires.

– C’est toi qui es cause de tout, dit-il enfin avec une singulière expression de rancune. Tu m’as donné le change. Pendant que je me gardais de toi, j’ai oublié l’autre, et l’autre est venu. Maintenant, je suis entre vous deux. Si tu le tuais, tu serais mon Maître…