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Il recula d’un pas, pour ajouter:

– Et le Maître du Trésor!

Par le mouvement qu’il avait fait, il était rentré dans la chambre, tandis que Vincent restait à l’intérieur de l’alcôve. Le rideau les séparait désormais.

Ce fut à cet instant que la serrure céda, livrant passage à l’héritier de la race parricide.

Le lecteur le connaît. Grâce à la ressemblance fatale qui se propageait de génération en génération, son portrait a été tracé dix fois dans le cours de ce récit.

C’était le visage imberbe et blême pendu à la muraille dans la chambre mystérieuse où Reynier avait passé la nuit lors de son naufrage.

C’était aussi la figure de l’assassin du tableau Biffi.

C’était encore le rôdeur nocturne de la rue des Moineaux.

C’était, enfin, cette pâle tête de femme, aperçue par Vincent aux côtés d’Irène dans les jardins du couvent de la Croix: la mère Marie-de-Grâce.

Le colonel Bozzo-Corona se tenait droit maintenant, en face de la mort inévitable.

Il avait croisé ses bras sur sa poitrine et regardait le comte Julian qui s’avançait vers lui avec lenteur.

Vincent Carpentier avait un bras de libre, mais son poignet sanglant, tuméfié par la récente torture, restait presque paralysé.

Il avait conscience de ne pouvoir résister en cas d’attaque.

D’ailleurs, une curiosité intense, irrésistible, il faudrait dire insensée comme les péripéties du drame monstrueux qui l’enveloppait de toutes parts, s’était emparée de lui.

Il ne songeait même pas à saisir le couteau que le colonel avait laissé tomber près de lui.

Son âme était dans ses yeux qui dévoraient les traits odieux et tranquilles du nouveau venu.

Il retenait son souffle pour entendre la première parole du mortel dialogue que le parricide d’autrefois, et le parricide d’aujourd’hui allaient engager, l’un avant de frapper, l’autre avant de tomber.

XXVIII Le parricide

Le comte Julian s’arrêta à deux pas de son aïeul. La lumière de la lampe éclairait vivement son visage sans barbe et qui semblait sculpté dans l’ivoire.

Aussi pleinement illuminés, les traits de Julian n’étaient plus ceux d’un jeune homme.

Sa beauté, car il était beau à la façon des comédiennes qui «font de l’effet» au théâtre, procurait à l’esprit un sentiment d’hésitation.

Elle avait, cette beauté, de vagues ressemblances avec la décrépitude du colonel.

C’était, à l’état naissant et presque imperceptible, le même réseau de rides, ici légères, là profondément creusées, et qui caractérisaient d’une façon analogue, deux masques dont les grandes lignes étaient semblables.

Le comte Julian pouvait être rangé parmi ceux dont on dit qu’ils n’ont pas d’âge. À le considérer de tout près, l’idée naissait qu’il avait dépassé, – peut-être de beaucoup, – la quarantième année.

Ce fut le vieillard qui parla le premier et qui dit:

– Je vous salue, mon petit-fils.

Julian répondit, en s’inclinant avec respect:

– Aïeul, je vous salue.

Et il y eut un silence pendant lequel Vincent Carpentier, la main appuyée contre sa poitrine, essaya de faire taire les battements de son cœur.

– Aïeul, reprit Julian, j’ai eu beaucoup de peine à vivre si longtemps.

– Vous êtes en vie, répliqua le colonel, parce que ma main, qui pouvait frapper, a hésité trop de fois.

– C’est la première fois que la mienne peut frapper, prononça nettement le comte. Elle n’hésitera pas. Aïeul, vous avez tué votre père, qui vous dit en tombant: «Ton fils me vengera.»

– C’est vrai. Et il mentait en disant cela.

– En tuant votre père, poursuivit le comte Julian, vous fîtes bien. C’est notre loi, c’était votre droit. Votre père mourant mentit, en effet, ou du moins se trompa, car votre fils, qui était mon père, au lieu de vous tuer, fut tué par vous.

– C’est vrai, c’était mon droit: c’est notre loi.

– Vous fîtes bien. Mon frère, le marquis Coriolan, avait juste six ans de plus que moi, et voilà juste six ans qu’il mourut sous vos coups.

– C’est vrai.

– Quand vous eûtes frappé votre père, il vous remit la clef du trésor.

– C’était son devoir. Il le fit.

– Aïeul, votre devoir sera de me remettre cette clef.

– Quand vous m’aurez frappé, mon fils.

Il y avait autour des lèvres du vieillard un étrange sourire. Il ajouta:

Seulement, je savais où était la porte que la clef devait ouvrir.

Derrière son rideau, Vincent respira fortement.

Il attendit avec une anxiété indicible la réponse du comte Julian.

Il ne raisonnait pas, c’est à peine si l’on peut dire qu’il pensât, tant était tumultueux le bouleversement de sa cervelle.

Mais déjà se glissait en lui un instinctif espoir.

La position de son corps était telle qu’il ne pouvait être aperçu du centre de la chambre.

Ce pouvait être son salut, si le comte Julian restait seul.

Et son salut, c’était peut-être la victoire.

Il avait son secret.

Son cœur battait à s’écraser contre les parois de sa poitrine.

Le comte Julian reprit:

– Aïeul, le trésor est dans cette maison, je le sais; il est peut-être dans cette chambre. Le trésor, c’est votre âme. Où vous êtes le trésor doit être. Or, dans une minute, je serai le maître de cette maison. Je chercherai. S’il le faut, j’en réduirai les murailles en poussière.

La main de Vincent s’étendit pour saisir le couteau. Il était ivre de haine. Le vieillard répondit:

– Il y a un homme qui connaît le secret.

Vincent eut à peine le temps de ressentir l’angoisse de terreur qui étreignit sa poitrine, car Julian répliqua aussitôt avec dédain:

– Cet homme est mort. J’ai vu vos serviteurs qui emportaient son cadavre.

En même temps, il plongea sa main sous les revers de son vêtement.

Quand sa main ressortit, elle tenait un stylet qui jeta des étincelles.

Le colonel resta droit sur ses jambes qui ne tremblaient plus, mais son front livide creusa la profondeur de ses plis.

– Ce stylet fut le mien, dit-il, je le reconnais. Je le laissai dans la blessure.

– Je l’y ai pris, prononça froidement Julian. Aïeul, je n’ai rien contre vous. Je n’ai pas connu mon père; mon frère était mon ennemi. Découvrez votre poitrine pour que je ne vous fasse pas de mal.

On eût pu suivre un frisson qui courut depuis la plante des pieds du vieillard jusqu’à son crâne, où ses rares cheveux s’agitèrent, comme si un souffle de vent eût soulevé leurs mèches.

– Découvrez votre poitrine, répéta Julian. Je viens chercher l’héritage qui m’appartient. J’exécute notre loi. Je prends mon droit.

– Je t’offre le partage, balbutia le colonel dont les bras restaient convulsivement croisés.