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L’homme saoulé par les fumées de l’or ne procède pas ainsi dans ses rêves.

Il faut dire, pour être vrai, que l’idée d’assassiner transportait le cerveau de Vincent et faisait voluptueusement tressaillir toutes les fibres de son être.

Mais le pas qui restait à faire était aussi large qu’un abîme.

Il y avait pour Vincent impossibilité absolue de le franchir.

Et le comte Julian ne le fit pas.

Le comte Julian songeait, calculait, dressait le bilan de sa situation présente avec un admirable sang-froid. Sa première parole fut celle-ci, et certes, elle ne dut point calmer la fièvre de l’architecte.

– Vincent Carpentier! dit-il, résumant sans doute les pensées agitées en lui pendant le silence qui venait d’avoir lieu. S’il est vivant, tant mieux! avant de le tuer, je lui arracherai le secret!

XXIX Le changement de peau

Ces deux hommes, qui se condamnaient ainsi mutuellement à mort, étaient si près l’un de l’autre que si Vincent Carpentier eût été libre de ses mouvements, il aurait pu toucher le comte Julian, rien qu’en étendant la main.

Mais Vincent ne pouvait pas et Julian ne savait pas.

Ce dernier continua, suivant le cours de son calcul.

– Le trésor est ici, c’est certain, j’en suis sûr, soit sous les feuilles de parquet, soit dans l’épaisseur de ces murailles.

Il regardait machinalement le fond de l’alcôve, et le cœur de Vincent venait à ses lèvres, tant il avait terriblement frayeur.

Il lui semblait que tout œil, fixé au fond de l’alcôve, devait percevoir, à travers les draperies et la muraille, le flamboiement mystique de l’or.

Cet amas de fer caché dans les entrailles du pôle, selon l’ancienne croyance, et déterminant les mouvements de la boussole, ne valait pas, en millions, l’amas d’or comprimé que recelait la cachette.

Vers ce pôle d’or l’âme de Vincent s’élançait avec une telle furie qu’il s’étonnait des tâtonnements de son rival.

Le comte Julian reprit:

– Sonder ces murs profonds, déranger ces meubles massifs, rien ne me coûtera; mais il faut le temps… Le jour grandit. La maison va s’éveiller. Si j’avais le trésor, je me présenterais tel que je suis. Ils comprendraient que je suis prêt à broyer toute résistance. Mais jusqu’à ce que le talisman soit dans ma main j’ai besoin d’une armure – et d’un masque.

Il se retourna vers le corps du colonel gisant toujours au milieu de la chambre.

– La voici, mon armure, acheva-t-il, je vais la revêtir.

Il revint sur ses pas, prit le corps du colonel dans ses bras, le souleva et l’assit sur une chaise, vis-à-vis d’une armoire à glace qui était à l’autre bout de la chambre.

À dater de ce moment, Vincent Carpentier aurait pu reprendre son œuvre, car Julian était désormais très éloigné de lui, mais il resta immobile, dominé par une irrésistible curiosité.

Le drame arrivait à un tel degré d’étrangeté effrayante, que Vincent garrotté par l’étonnement encore plus que par ses liens, restait inerte, concentrant toute son âme dans sa faculté d’entendre et de voir.

Le comte Julian prit un siège qu’il plaça à côté de celui du colonel. Et il s’assit.

De sorte que le mort et le vivant se tenaient côte à côte, car le vieillard déjà roide, ne fléchissait point.

Tous les deux ils tournaient le dos à Vincent, qui regardait de tous ses yeux et qui, dans la position où il était, ne pouvait apercevoir dans la glace que le visage du colonel, livide, jauni, mais peu changé en définitive.

Ce visage était éclairé très vivement par la lampe, posée sur le guéridon, que le comte Julian avait roulé entre les deux sièges et la glace.

Il semblait à Vincent que le colonel dont les yeux restaient grands ouverts, regardait fixement la glace, et que la glace répercutait ce regard, de manière à le braquer sur lui, Vincent, fixement aussi et en directe ligne.

La sueur froide lui venait aux tempes.

Il ne devinait pas encore le but de cet arrangement sacrilège.

En lui, cette ignorance ne fut pas de longue durée. Le comte Julian avait tiré de sa poche un objet qui ressemblait à une trousse.

Il l’ouvrit et commença aussitôt une besogne au sujet de laquelle on ne pouvait se méprendre.

Nul n’arrive à l’âge de Vincent Carpentier sans avoir vu la loge d’un comédien ou la toilette d’une femme, d’une femme qui s’arrange.

C’est un art. Il y a la palette et les pinceaux, les pastels aussi, et les crayons et les estampes.

C’est un art compliqué, subtil, un art qui compte des écoliers très maladroits et des maîtres presque sublimes.

À suivre les mouvements rapides et délibérés du comte Julian, on pouvait inférer qu’il connaissait à fond le métier.

De temps à autre, non content de suivre son modèle dans la glace, il se penchait pour regarder certains détails de plus près, j’allais dire sur le vif, mais c’était sur le mort.

En ces moments, Vincent pouvait apercevoir son profil dans la glace.

Ce profil ressemblait assez bien à l’ébauche d’un tableau.

Vincent se disait, car il commençait à comprendre:

– Il va me laisser seul pour monter dans les appartements et entamer le premier acte de sa comédie. Je vais être libre, à moins qu’il ne me trouve en cherchant un coin pour cacher le cadavre.

Éperonné par cette crainte, il fit jouer le couteau activement, et parvint à dégager son bras gauche, au prix d’une souffrance poignante, car la corde était comme encastrée dans les chairs.

Puis le couteau grinça tout bas en sciant les liens des jambes.

Le comte Julian était désormais trop occupé pour que son oreille pût saisir les bruits presque imperceptibles venant de l’alcôve.

Il en avait fini avec son masque, mais comme il ne se penchait plus pour étudier de près son modèle, Vincent ne pouvait juger encore le résultat définitif de son travail.

Julian avait pris dans sa trousse une longue paire de ciseaux qui grinçaient en fourrageant les mèches épaisses de ses cheveux noirs.

Le parquet, autour de lui, fut bientôt couvert de boucles brunes.

– J’en serai quitte pour mettre une perruque, pensa-t-il entre haut et bas, si j’ai encore à faire le personnage de la mère Marie-de-Grâce. Et cela se pourrait, car je ne tiens pas le Vincent Carpentier.

Vincent n’entendit que son nom et dressa l’oreille. Le comte Julian ajouta:

Cette petite Irène sera splendidement belle! Est-ce que je l’aime?

Pour la troisième fois, Vincent cessa de travailler pour écouter mieux, mais le comte Julian ne parlait plus.

Il s’était levé, coiffé maintenant à la puritain, et passait sa main sur son crâne qui rendait un bruit de brosse.

– Allons jusqu’au bout, se dit-il avec une gaieté visiblement contrainte.

Il n’y avait pas beaucoup de femmes pour avoir des cheveux comme les miens. Il faudra deux ans, au moins, pour qu’ils rattrapent leur longueur.

Il agitait un pinceau à barbe dans une coupe destinée assurément à un autre usage.

Sa tête se couvrit de neige mousseuse, et le rasoir cria en raclant son cuir chevelu.