Выбрать главу

L’instant d’après il était chauve comme Socrate.

– On dit que les paysannes de Bretagne, murmura-t-il, vendent leurs chignons en foire pour cent sous. Le mien me rapportera davantage, à moins que…

Il s’interrompit et grommela en essuyant son rasoir:

– Vincent Carpentier n’est pas mort! Qu’a-t-on fait de lui? J’ai eu un instant l’idée qu’il pouvait être ici, mais c’est absurde. S’il eût été ici, le Père l’aurait lancé contre moi, et j’aurais reçu une balle dans le crâne au moment où j’ouvrais la porte.

Il plongea de nouveau la main dans la poche de sa redingote et en retira un paquet, enveloppé.

– Ce gaillard-là est de trop, reprit-il. Quel besoin ai-je de l’interroger? Je chercherai tout seul et je trouverai, j’ai le temps. Il faut qu’il disparaisse et que le secret soit enterré avec lui. Voilà le principal!

Le paquet contenait tout simplement une perruque, car le comte Julian avait pris ses mesures à l’avance. Il se plaça devant la glace, à mille lieues qu’il était de penser que son soliloque pouvait avoir un auditeur, et commença à disposer ses faux cheveux sur la nudité factice de son crâne.

Ce fut bientôt, exactement, le derrière de la tête du colonel.

Vincent qui avait maintenant un pied de libre, agitait en lui-même la question de savoir si l’heure était propice pour entamer une bataille décisive.

Le jour avait grandi, et bien que le silence régnât toujours au-dehors, dans la ville endormie, les lueurs de la lampe étaient déjà vaincues par la lumière qui arrivait du dehors.

Vincent se dit:

– Il est jeune, il est fort; tout mon corps est brisé, mes membres sont meurtris, je ne suis pas moi-même. Je me défendrai, s’il le faut, je n’attaquerai pas. On peut risquer sa vie, mais risquer ce trésor! C’est un duel sans pardon ni pitié. J’ai le droit de choisir mon heure, et mon terrain… Ici, d’ailleurs, en tuant, j’endosserais la responsabilité du premier crime. J’aurais deux cadavres sur les bras, sans garder comme lui la ressource de ce déguisement qui le fait maître de la maison et chef d’une association puissante – si toutefois ce déguisement est une chose possible: nous allons voir!

Il n’acheva pas ces derniers mots et l’étonnement faillit lui arracher un cri.

Le comte Julian venait de se retourner et lui montrait, non plus son visage, mais celui du colonel Bozzo.

L’illusion eût été complète sans la proximité du mort lui-même dont les traits se voyaient dans la glace.

Et malgré cette proximité, la copie ressemblait si parfaitement à l’original que Vincent resta comme abasourdi.

Le comte Julian s’était retourné parce qu’il n’avait accompli que la première partie de sa tâche.

Pour l’achever, il reprit le mort dans ses bras et l’étendit de tout son long sur le parquet.

Dans cette position, il lui enleva d’abord sa douillette, puis son gilet, puis enfin son pantalon.

Le mort resta en chemise et en caleçon, pauvre débris humain, qui montrait à nu sa maigreur extraordinaire et semblait n’avoir plus de chair entre la peau et les os.

Vincent avait la poitrine serrée. Le comte Julian, lui, sifflotait tout bas un air d’opéra italien.

– Il y a aussi ce Reynier, murmura-t-il en ôtant son habit. Sa figure m’a frappé, la première fois que je l’ai aperçu. Et la première impression est toujours la bonne. La petite me servira doublement: elle m’ouvrira les portes de la maison de son père, elle me dira l’histoire de ce Reynier… Je n’ai pas besoin de mes cheveux pour jouer là-bas, au couvent, le rôle de ma sœur. Mon béguin ne s’en collera que mieux à mon crâne.

Il parlait très bas, Vincent saisissait çà et là quelques mots, mais le sens général des phrases restait pour lui énigmatique.

Le comte enleva lestement son gilet, son pantalon et ses bottes qu’il remplaça par les pantoufles et les vêtements du vieillard.

Il était de la même taille que le mort et sa force physique se cachait sous une apparence assez frêle.

Quand il eut achevé sa toilette, il se planta devant la glace, dans cette posture à la fois gaillarde et cassée que le colonel prenait à ses heures de gaieté.

Vincent suivait désormais tous ses mouvements avec une véritable admiration. Il pensait:

– La supercherie réussira. J’y aurais peut-être été trompé moi-même. Il s’est mis dans la peau du vieux. C’est un chef-d’œuvre!

Tel était aussi l’avis du comte Julian, car il s’envoya un baiser à lui-même dans le miroir.

Ce geste enfantin et vieillot était si bien dans les mœurs du mort qu’un sourire s’ébaucha sur les lèvres de Vincent, tandis qu’un frisson lui courait dans les veines.

Rien ne peut dire la lugubre gaieté de ce carnaval parricide.

L’assassin contrefaisait sa victime avec un art consommé. Tout y était, le port chancelant, le tremblement des jambes, la bonhomie un peu féline et la petite pointe de raillerie.

Tout, jusqu’à la voix, car le comte Julian parla, et Vincent chercha des yeux le cadavre pour voir si la bouche remuait.

Le comte Julian dit:

Bonjour, mes biribis chéris, petit bonhomme vit encore, eh! L’Amitié? Docteur, je n’ai que cent sept ans, il faudra soigner ce rhume qui me fait paraître plus que mon âge. Ça nuit à mon succès auprès des dames. Ah! mes pauvres trésors, quand vous ne m’aurez plus, vous me regretterez…

Il s’interrompit pour ajouter de sa voix naturelle:

– Il n’y a que Fanchette qui m’embarrasse. Celle-là l’aimait véritablement. On a de la peine à tromper ceux qui aiment.

XXX À dodo!

Le soleil levant teintait de rose les cheminées des maisons, voisines de l’hôtel Bozzo, quand ce remarquable comédien, le comte Julian, jouant son rôle même dans la coulisse pour se faire la main, se posa devant la glace pour donner le dernier tour à son déguisement.

Il n’eut même pas l’idée de commencer dès à présent la recherche du trésor. Son plan était tout autre, nous le savons déjà.

Il avait le temps. Il était chez lui, et il était le colonel Bozzo-Corona.

Le colonel avait tous les droits possibles pour réparer, bouleverser et même jeter bas son hôtel.

Si bien caché qu’il fût, le trésor ne pouvait échapper au colonel, puisqu’il était maître absolu dans la maison et qu’il avait le temps.

Le parricide n’agissait pas ici selon une inspiration soudaine. Il mettait à exécution, en commençant par le commencement, une série de stratagèmes dès longtemps médités et combinés.

Bien des fois déjà, dans le petit appartement qu’il avait loué rue Picpus, tout à l’autre bout de la ville, et qui communiquait avec le couvent des Dames de la Croix, bien des fois, disons-nous, quand il rentrait après avoir rôdé comme un loup autour de l’hôtel Bozzo, il s’était assis devant sa glace pour multiplier les répétitions de la scène que nous venons de lui voir jouer.

Il savait à fond son rôle.

Dans sa chambre à coucher de la rue Picpus, les sujets de piété abondaient, car cette nonne romaine à l’apparence austère, la mère Marie-de-Grâce, ne pouvait être entourée d’estampes mondaines, mais il y avait certaine armoire, toujours fermée, pleine d’habits destinés au sexe masculin, où notre ami Reynier eût été bien surpris de trouver une copie réduite du fameux tableau de la galerie Biffi.