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Le hasard sans doute faisait qu’il n’y avait plus aucun ouvrier à l’étage supérieur.

Le rasoir glissa en grinçant sur son autre joue.

À ce moment, le carreau qui était à sa gauche, demi-caché sous le biais du rideau, tinta d’un bruit sec, comme s’il eût été heurté par un fort grêlon ou un petit caillou.

Un autre bruit d’une nature toute différente sembla faire écho au fond de la chambre.

Ce fut comme un coup de marteau, suivi d’un craquement court.

Cela venait du côté de l’alcôve. Vincent se retourna vivement, croyant que quelqu’un était dans la chambre.

Il n’y avait personne. Le bruit ne se renouvela pas.

Vincent était en train déjà de se gourmander lui-même au sujet de la puérile frayeur que cet incident lui avait causée, lorsque César, le beau danois, se leva péniblement sur ses quatre pattes, étrangement écartées et qui tremblaient.

Ses poils se hérissaient comme ceux d’un chat en colère.

Il frissonnait si fort que la trépidation communiquée aux pieds du guéridon choquait plats et assiettes les uns contre les autres.

Sous lui, le tapis n’était plus qu’un lambeau.

Tout à coup, il essaya d’aboyer et ne put.

Sa gueule et son cou faisaient les mouvements, mais aucun son ne sortait.

Il étranglait. Tout animal qui se sent mourir veut fuir. Le danois fit un grand effort pour bondir en avant, mais il ne put que tourner sur lui-même avec une rapidité qui donnait le vertige.

Sa gueule s’entourait maintenant d’une mousse rougeâtre.

Quand il s’arrêta, il tomba raide mort.

XXXIII Le fond de la tasse

C’était une noble race que ces grands chiens danois et je les regrette surtout en voyant les ignobles bêtes que certaines dames portent dans leurs bras comme des enfants.

Notre vieux scélérat de monde, en vérité, semble aussi tournoyer sur lui-même avant de tomber empoisonné.

Vincent Carpentier était resté immobile à contempler ce spectacle: l’agonie de César, puis sa mort.

Ses cheveux se dressaient sur son crâne et la sueur froide ruisselait le long de ses tempes.

Il pensait:

C’est moi qui devrais être ainsi. Le potage était pour moi.

Quand le danois ne bougea plus, Vincent s’essuya le front et prit en main la tasse qui avait contenu le potage.

– Ici, pas de milieu, dit-iclass="underline" mourir de faim ou être tué.

Il poussait du pied César, qui n’était plus qu’une masse inerte.

– Et bien tué, ajouta-t-il. Raide mort!

Il s’assit auprès du guéridon et mit sa tête entre ses mains, disant encore:

– Moi, qui ne craignais que la nuit!

Tout à coup, un tressaillement secoua son corps et le mit debout.

Il rasa la muraille pour n’être point vu du dehors et s’approcha de la fenêtre où naguère il se faisait la barbe.

– Le bruit venait de là! murmura-t-il en soulevant le rideau de gauche, mais sans avancer la tête et en restant abrité par le mur.

Son regard avide interrogea la partie du carreau cachée derrière la draperie. Le souffle s’arrêta dans sa poitrine pendant qu’il balbutiait:

– J’en étais sûr!

Dans la partie gauche du carreau, à deux pieds de l’endroit où se trouvait tout à l’heure la tête de Vincent pendant qu’il se rasait, il y avait un trou rond, nettement tranché, comme si on l’eût percé à l’aide d’un diamant promené circulairement sur la vitre.

À peine voyait-on à l’entour quelques petites fentes en forme de rayons.

Le trou avait juste le diamètre d’une balle ordinaire.

Le rideau, examiné, présentait une déchirure correspondante.

– J’en étais sûr! répéta Vincent qui était plus blême qu’un cadavre.

Il laissa retomber les deux pans de la draperie et gagna le fond de la chambre d’un pas de malade.

Arrivé auprès de l’alcôve, il s’orienta, cherchant la ligne qui, du point lumineux marqué par le trou du rideau, devait correspondre à la boiserie du fond.

– C’est là! dit-il en montrant du doigt la muraille en dehors et au-dessus de la patère soutenant la draperie de l’alcôve.

Il ne vit rien d’abord, mais bientôt une exclamation s’étouffa dans sa gorge.

La patère en palissandre elle-même était percée juste à son milieu, et le bâton qui la soutenait, pris dans le sens de sa longueur, avait éclaté.

La balle était là, dans le bois, et pourtant vous eussiez dit que Vincent l’avait reçue en pleine poitrine.

Il restait écrasé sous le poids d’une indicible terreur.

Depuis une heure qu’il était hors de sa couche, on avait essayé deux fois de l’assassiner.

Ce n’était plus la guerre lente et circonspecte comme la menait le vieux colonel, c’était une bataille fougueuse, engagée du premier coup à toutes armes.

Le présent annonçait l’avenir.

L’ennemi ne s’embarrassait de rien et ne gardait aucune mesure: il frappait des deux mains à la fois.

Le poison et le plomb avaient manqué leur office.

Le fer allait venir, et le feu, que sais-je, on allait miner la maison peut-être ou précipiter les plafonds.

La mort menaçait de tous côtés, au-dehors comme au-dedans sans doute.

Un instant, l’imagination de Vincent Carpentier la vit si proche et si certaine qu’il s’affaissa dans un engourdissement découragé.

Il perdit jusqu’à la pensée de lutter ou de résister, tant la lutte lui parut inégale et la résistance impossible.

Mais il était brave de nature – et amoureux.

Non point d’une femme, fi donc! L’amour d’une femme l’aurait laissé vaincu sous l’épouvante qui l’accablait.

Il était amoureux d’un éblouissement, – d’un Dieu!

La pensée du trésor le releva fiévreux, mais intrépide. Son sang glacé se réchauffa dans ses veines aux rayons de l’or.

– Deux fois, dit-il, c’est vrai. J’ai été frappé deux fois, mais deux fois j’ai échappé. Quelque chose me protège. Depuis vingt-quatre heures, je vis par un miracle. Le trésor m’a vu, puisque je l’ai vu. Il m’a choisi peut-être. Je suis prédestiné!

C’était comme une folie. Il eut la force de réagir contre elle, de même qu’il avait réagi contre l’écrasement de sa première terreur.

La réflexion naissait dans le milieu vrai qu’il faut tenir pour combiner le plan d’un combat ou d’une fuite.

Il baigna sa tête dans l’eau froide, puis il arpenta la chambre d’un pas ferme, éloignant les calculs hâtifs qui voulaient envahir sa pensée.

Au bout de quelques minutes, il était lucide et presque gai.

– Voilà! dit-il en soulevant un petit coin du rideau pour regarder la maison en construction où, du haut en bas, les maçons étaient maintenant à l’ouvrage, les beaux esprits se rencontrent. M. le comte et moi, nous avons eu la même idée; seulement, outre l’idée, M. le comte avait le fusil à vent, car je n’ai pas entendu la moindre détonation. Il a eu le premier feu, le second m’appartient, et quand je prendrai mon tour, j’essayerai de mieux tirer que lui.