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Le comte Julian n’avait pas le trésor. Il eût été perdu si âme qui vive avait deviné cela.

Les regards d’une association à la fois intime et hostile étaient fixés sur lui jalousement.

Le moindre pas ostensible qu’il eût fait à la recherche du trésor, le plus petit sondage, la fouille la plus insignifiante, dénoncés par hasard aux compagnons schismatiques, auraient dévoilé le défaut de sa cuirasse.

Et par ce défaut de cuirasse, dix couteaux auraient passé aussitôt.

Il était tout-puissant, c’est vrai, mais son pouvoir ne tenait qu’à un fil.

Le colonel avait dépensé des prodiges d’astuce et d’audace, nous dirions presque des miracles de génie pour retenir ce pouvoir sans cesse miné et menacé.

Le comte Julian, pour arriver au même résultat, avait plus à faire encore, puisqu’il marchait, embarrassé par sa supercherie originelle, puisqu’il n’avait en main que le fourreau du glaive d’or, brandi par son prédécesseur.

Il ne faudrait pas penser pourtant qu’il eût en face de lui l’impossible.

Il possédait sur le colonel plusieurs avantages dont on doit tenir compte, entre autres la jeunesse et la force physique.

En outre, le fait de n’avoir pu encore conquérir l’usage matériel du Trésor de la Merci n’était pas, en réalité, si radicalement malheureux qu’on pourrait le croire.

Dans toute question d’argent, l’apparence sauve.

Si, demain, les caves de la Banque de France étaient saccagées, la Banque de France ne perdrait pas un atome de son crédit, pour peu qu’elle réussît à cacher sa mésaventure.

Ces immenses réserves métalliques ne valent que comme article de foi. On n’y touche jamais, donc elles ne servent à rien. Des tas de sablons produiraient exactement le même effet, si on pouvait porter les gens à croire que sous le sablon les lingots dorment.

C’est le Crédit, conception à la fois élémentaire et subtile, au moyen de laquelle le monde moderne a enflé démesurément ses finances.

Le tout est de ne jamais laisser naître un doute au sujet des lingots, qui sont comme la femme de César et ne doivent point être soupçonnés.

Or, les lingots ici étaient dans la cave, et il n’y avait au monde qu’un seul homme capable d’en trouver le soupirail.

On ne doit donc point s’étonner qu’avant même de chercher la cave, le comte Julian concentrât tous ses efforts sur l’ennemi unique qui pouvait déménager ses réserves.

Après avoir réfléchi quelques minutes, il quitta la chambre de Vincent Carpentier et redescendit l’escalier. Sa dernière parole fut celle-ci:

– Je suis le colonel Bozzo, et mon banquier m’avancerait, si je voulais, de quoi acheter la moitié de Paris.

Quand il arriva sous le vestibule, boitant et peinant à plaisir, Giam-Pietro s’élança pour lui offrir l’aide de son bras.

– Bon, bon! fit le prétendu colonel, je ne suis pas encore impotent, ma vieille. Une canne me vaudrait autant que toi… Ce marchepied m’a l’air plus haut qu’à l’ordinaire… Dis à Giovan-Battista de me mener chez mon banquier.

– Lequel? demanda Giam-Pietro.

– Lequel? répéta le vieillard en feignant l’impatience. On ne cherche qu’à me contrarier. Sangodémi! quelque beau matin je ferai maison nette! Chez qui ai-je été la dernière fois, bêta?

Giam-Pietro referma la portière et dit à Giovan Batista:

– À la banque J.-B. Schwartz et Cie.

La voiture partit au grand trot, tandis que le colonel se frottait les mains tout doucement, disant:

– J.-B. Schwartz! une bonne maison! Je vais remplir ma cassette pour un mois, et puis nous verrons.

Pendant cela, Vincent Carpentier travaillait aussi.

En dix minutes, juste, comme le comte Julian l’avait dit à Roblot, son coupé, bien attelé, arriva au ministère des Finances, porte Monthabor.

Vincent descendit avec son paquet et prit le chemin des bureaux du Grand-Livre.

Mais au lieu d’entrer dans les bureaux, il enfila les galeries, comme le comte Julian l’avait prévu encore, et après avoir voyagé dans ces rues administratives qui bordent tant d’inutiles cellules, il ressortit par la porte principale, sous les arcades Rivoli.

Ici prit fin la partie véridique des prédictions du comte Julian.

Carpentier, en effet, ne prit sa course ni vers la place du Palais-Royal, ni vers les Champs-Élysées, ni vers la station plus voisine de la rue du Monthabor, il se jeta tout uniment dans un omnibus de Passy qui revenait.

Il quitta l’omnibus au coin de la rue de Rohan, et suivit à pied la rue Saint-Honoré, pour gagner la cour des Messageries Laffite, Caillard et Cie.

Là, il retint une place de coupé pour Brest, départ du soir, ce jour même.

Il donna son vrai nom et des arrhes.

Dans la cour même, il trouva un cabriolet libre, qui venait d’amener un voyageur; il y monta et se fit conduire rue de Picpus, au couvent des Dames de la Croix, où il demanda sa fille Irène.

Pendant qu’on allait chercher cette dernière, les bonnes religieuses, enfiévrées par l’approche de leur distribution de prix, qui devait avoir lieu le lendemain, tombèrent sur lui et l’accablèrent de leurs remerciements.

On ne pouvait trop rendre grâce à son amabilité: malgré ses occupations, il était venu pour donner le coup d’œil du maître aux préparatifs.

Vincent Carpentier ne s’en défendit point. Il eut la force et le sang-froid de visiter en détail la cour transformée en salle couverte; il approuva, il blâma, il fut charmant.

On le vit pâlir seulement quand sa fille, qui était arrivée en courant, se fut jetée à son cou.

Voici quelle était la cause de cette pâleur.

Irène, en l’embrassant, lui avait dit d’une voix altérée:

– Père, oh! père chéri, je t’en prie! Je n’ai rien objecté l’autre jour; mais depuis, j’ai tant pleuré! Prends-moi avec toi pendant les vacances. Je t’en prie, ne me laisse pas seule ici!

XXXV Père et fille

Il y avait des traces de fatigue sur le gracieux visage d’Irène.

Vincent la regarda longuement; Irène baissait les yeux sous ce regard et son sein agité soulevait l’étoffe noire de sa robe.

Aujourd’hui, dans sa physionomie, son père découvrait quelque chose qui n’était plus d’un enfant.

Parmi le grand trouble qu’éprouvait l’esprit de Vincent, un élément nouveau se glissa: il eut peur pour sa fille.

Peut-être eut-il peur de sa fille.

Il prit son bras et l’entraîna vers le jardin.

– Irène, dit-il, dès qu’ils furent seuls, l’autre jour tu avais l’air content de rester dans cette maison.

– Tu n’as pas cru cela, père, répliqua Irène, sans relever les yeux.

– Si fait, je l’ai cru, et je m’en suis étonné, peut-être même affligé. Sois franche avec moi… Elle n’est plus ici?

Irène eut un tressaillement si violent que son bras échappa à celui de son père.

– Elle qui? balbutia-t-elle sur le ton de la stupéfaction. Puis avec volubilité.