Выбрать главу

Au revoir. Vous recevrez de mes nouvelles avec les indications nécessaires pour diriger vers moi votre réponse.

Votre amie dévouée,

J…, COMTESSE B. in domino Maria-di-Grazia.»

L’écriture de cette lettre était fine, mais hardie; elle pouvait appartenir à un homme aussi bien qu’à une femme.

Au G du mot Grazia où la plume avait appuyé davantage un cheveu noir et très fin restait collé à l’encre desséchée.

Vincent lut par deux fois le contenu du billet.

Son regard demeurait attaché à l’écriture par une sorte de fascination.

– Qui vous a remis cela? demanda-t-il enfin.

– La personne qui a apporté à Mme la supérieure le pli qui lui annonçait le départ de la mère Marie. Ai-je commis une faute que vous ne me tutoyez plus?

– Non, répondit Carpentier. Puis il ajouta:

– Où est la mèche de cheveux?

Le rouge monta aux joues d’Irène, mais elle atteignit aussitôt son porte-monnaie d’où elle retira un petit papier, contenant une boucle noire.

La main de Vincent tressaillit en la touchant.

Il revit par la pensée cette scène de l’hôtel Bozzo, si terrible dans sa solitaire tranquillité: l’assassin coupant ses cheveux devant l’armoire à glace, à deux pas du cadavre de la victime.

Il les reconnut, ces cheveux de jais, brillants et doux plus que ceux d’une femme.

– Tu n’as pas commis de faute, ma fille, dit-il en remettant à l’enfant la boucle avec la lettre.

Une parole hésita sur sa lèvre.

Il la retint parce qu’il avait dit vrai tout à l’heure: il ne pouvait pas confier son secret à sa fille.

Il y avait autour de sa fille une influence diabolique à laquelle une enfant de quinze ans devait être incapable de résister.

Vincent avait clairement conscience de cela. Il fallait dissimuler près d’elle, pauvre cher cœur dévoué, comme en face du plus cruel ennemi.

Il demanda:

– Le frère de cette personne, tu ne l’as jamais vu?

– Jamais.

– Même en peinture? Irène sourit et répondit:

– Vous m’interrogez comme si vous saviez d’avance mes réponses. En peinture, si fait, je l’ai vu deux fois: d’abord dans un médaillon que la mère Marie-de-Grâce porte à son cou.

– Une miniature?

– Oui, un chef-d’œuvre.

– Et il y a un air de famille entre la mère et le portrait, n’est-ce pas?

– Plus que cela: les deux se ressemblent.

– Beaucoup?

– Comme si la miniature était la mère Marie elle-même – en homme, et plus jeune.

– Et l’autre?

– L’autre, répondit Irène, ce n’est pas un portrait, c’est une ressemblance produite par le hasard. Vous avez pu voir l’autre comme moi, mon père. L’autre est dans l’atelier de notre Reynier.

– Il y a beaucoup de tableaux dans l’atelier de Reynier, dit Vincent.

– Je parle de la grande toile où l’on voit un trésor…

– La copie prise dans la galerie Biffi?

– Oui, la copie du «tableau du Brigand», c’est frappant. Vincent prit les deux mains d’Irène et l’attira contre son cœur.

– Si tu avais seulement deux ans de plus, murmura-t-il comme s’il se fut parlé à lui-même, je te dirais: «Épouse Reynier tout de suite, et je partirais tranquille.»

À ces mots, «épouse Reynier», la jeune fille baissa les yeux. Elle n’y répondit point, mais elle releva la fin de la phrase, disant:

– Vous partez donc, vous aussi, père?

– Pour un long, pour un bien long voyage, et je suis venu te faire mes adieux.

– Quoi! si tôt!

– Écoute! fit Carpentier dont l’accent devint solenneclass="underline" si tu revoyais cette personne, la mère Marie-de-Grâce ou quelqu’un de sa part, pas un mot de moi. Je ne la connais pas, je ne peux pas la connaître, me comprends-tu?

– Je comprends que vous ne voulez pas…

– Il faut comprendre davantage, interrompit Vincent. Il y a là une question de vie ou de mort.

– Pour toi, père chéri! s’écria la fillette, qui se jeta impétueusement à son cou.

– Pour nous deux, répondit Carpentier en la pressant avec passion contre sa poitrine.

XXXVI La fuite

Carpentier s’était levé.

– Tu ne dois pas savoir où je vais, reprit-il, le sais-je moi-même? Je ne t’écrirai pas. Si on t’apportait une lettre de moi, n’y crois pas, ce serait un faux. Tu m’entends? un faux. N’y crois pas; ne crois à rien, sinon à ce que te dira Reynier, parlant lui-même, car on pourrait contrefaire l’écriture de Reynier tout aussi bien que la mienne. Quand Reynier, venant auprès de toi de sa personne, te dira: «Partons!», tu le suivras. C’est ma volonté. Je t’en prie, et, si cela ne suffit pas, je te l’ordonne.

– J’obéirai, mon père, dit Irène, qui était pâle et qui tremblait, je vous promets que j’obéirai; mais ne saurai-je point la nature du danger qui nous menace?

– Tu ne sauras rien, répliqua Vincent. Tu es ici en sûreté, du moins je le pense. Tu y resteras jusqu’à ce que je t’aie appelée à moi par la voix de Reynier… Et maintenant je te dis adieu, ma chère enfant. Mes heures sont comptées. Si tu as du temps encore après les souvenirs et les prières qu’on t’a demandés dans cette lettre, souviens-toi de moi, prie pour moi.

Il voulut s’arracher des bras d’Irène, mais elle le retint, cachant dans son sein son visage baigné de larmes.

– Père! oh! père! balbutia-t-elle. Ne me quitte pas ainsi! tu es fâché contre moi. Je n’ai que quinze ans. Me voilà seule. Je t’en prie, ne me laisse pas dans cette ignorance qui me tue!

Pour la seconde fois Vincent fut sur le point de parler, car il adorait doublement cette enfant, pour elle-même et pour la mémoire bien-aimée de sa mère.

Mais il eut la force de résister.

Un dernier, un long et ardent baiser fut appuyé sur le front d’Irène, et Carpentier s’enfuit après avoir répété:

– Souviens-toi de moi, prie pour moi!

Dans la cour, Vincent retrouva les bonnes religieuses qui le guettaient. Quand elles surent qu’il n’assisterait pas le lendemain au triomphe de sa fille, ce fut un concert de reproches et de supplications.

– Je serai bien près d’arriver à Brest quand vous distribuerez vos récompenses, mesdames, dit Vincent appuyant sur le nom de la ville.

– Voyez le malheur! s’écria la supérieure, la mère Marie-de-Grâce, qui était si bonne pour notre chère Irène, nous manque aussi. Mais en revanche, nous aurons cet homme vénérable, le colonel Bozzo… Il veut absolument couronner sa brillante protégée.

Vincent était déjà dans son cabriolet. Il dit à son cocher:

– À la poste!

À la poste, il renvoya sa voiture et il se fit inscrire au bureau de la malle: départ de six heures pour Lyon, arrhes déposées.

Puis il remonta à la place des Victoires, où il prit un fiacre qui le conduisit rue de l’Ouest, à l’atelier de Reynier.