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– Par qui?

– Par lui! répéta Vincent dont le doigt crispé montrait le tableau de la galerie Biffi. Par l’assassin! J’ai vu cela. Je te dis que j’ai vu cela! Hier!

Reynier baissa les yeux. Il était navré. L’idée que son père était fou entrait de plus en plus avant dans son esprit.

Mais Vincent devina cette pensée à travers les paupières closes de son fils d’adoption et dit en lui serrant le bras fortement:

– J’ai toute ma raison, regarde-moi bien. Seulement, je ne parle plus comme ceux qui vivent et qui espèrent, parce que je suis condamné à mort. Tu dois tout connaître, je n’ai rien à te cacher. J’ai vendu un jour notre tranquillité pour un espoir insensé. Je dis insensé, car c’est là qu’est ma folie. Ma folie durait depuis six ans. Hier, je me suis réveillé de cette démence, ou du moins, j’ai vu qu’elle était en moi, ce qui est presque revenir à la sagesse. Sois tranquille, je ne te cacherai rien. Tu sauras tout, mais auparavant, réglons nos affaires.

Il prit dans la poche de sa redingote un portefeuille, d’où il retira plusieurs billets de banque, qu’il remit à Reynier, en ajoutant:

– Tu auras besoin de cela pour elle, pour toi, peut-être pour moi. Reynier attendait. Au bout d’une longue minute, pendant laquelle Vincent avait paru se recueillir, il demanda:

– Tu l’aimes bien, n’est-ce pas?

– Si je l’aime!… s’écria le jeune peintre, dont l’âme entière éclata dans ses yeux. Vincent l’interrompit du geste et fit cette autre question:

– As-tu quelquefois vu le colonel Bozzo-Corona?

– Jamais, répondit Reynier.

– Tu le verras, prononça tout bas l’architecte, et tu le reconnaîtras. Ne me regarde pas ainsi: j’ai ma raison. Il faut bien que la parole soit étrange quand il s’agit de faits inouïs. J’ai été poussé par une fatalité. Chaque fois que je voulais me distraire ou que j’essayais d’oublier, le hasard plaçait devant mes yeux un mémento solennel. Tu as servi la destinée, toi aussi, en copiant ce tableau dans la galerie du comte Biffi; tu l’as servie encore et davantage en me racontant l’histoire de la nuit, passée dans la campagne de Sartène. Te souviens-tu comme j’écoutais? La légende est diabolique, mais vraie.

«Il y a un homme éternel qui ressuscite dans le sang comme le phénix revit dans l’incendie. Tu reconnaîtras le colonel, quoique tu ne l’aies jamais vu.

– Père, dit Reynier, je crois que vous avez toute votre raison; mais pourquoi me parler en énigmes?

Les yeux de Vincent erraient dans le vague.

– Mon chien César est mort, murmura-t-il. La balle est entrée au centre de la patère et s’est fichée dans le bâton qu’elle a fendu. Tiens-toi prêt à partir au premier signe. J’irai loin, le plus loin possible. Tu m’amèneras Irène. Je te confie Irène. Quand je vous saurai tous les deux en sûreté, je commencerai la guerre. Tout seul, entends-tu? Les Compagnons du Trésor n’ont pas droit. Moi, j’ai droit. Un homme qui posséderait de pareilles richesses pourrait faire le bien comme la grandeur même de Dieu!

Il s’était redressé de toute sa hauteur. Reynier ne savait plus que croire, parce que le souvenir évoqué de la nuit de Sartène le prenait par un côté où sa pensée était faible comme une superstition. Il attendait toujours une phrase, un mot qui fît la lumière. Vincent consulta brusquement sa montre et dit: – Tu sauras tout, et tu seras seul à tout savoir. Prends ma voiture qui est à la porte, fais-toi conduire aux Messageries générales de la rue Notre-Dame-des-Victoires… celle-là, tu comprends?… et non pas d’autres. Tu arrêteras une place de coupé pour Strasbourg, à mon nom, départ de ce soir. Et tu donneras des arrhes. Va, je t’attends ici, je parlerai à ton retour. Tu sauras tout.

XXXVII L’orage

Reynier avait obéi à l’ordre de son père d’adoption. Vincent était seul dans l’atelier.

Il poussa un tabouret devant le tableau de la galerie Biffi qu’il avait de nouveau découvert, et s’y assit.

Son regard était cloué sur les deux personnages du lugubre drame le jeune homme et le vieillard -, par une véritable fascination.

Pour lui, ces deux faces vivaient terriblement.

Ses yeux étaient blessés comme s’ils eussent bravé l’éclat du soleil.

À la fin, une parole monta jusqu’à ses lèvres et y mourut en un murmure indistinct.

Il dit:

– Reynier ressemble au comte Julian.

Un quart d’heure s’était écoulé, la fièvre de Vincent Carpentier avait augmenté, comme c’est l’effet ordinaire de l’attente et de la solitude.

Il avait cessé de regarder le tableau parce que ses paupières le brûlaient.

Il tenait ses deux coudes sur ses genoux et sa tête entre ses mains.

– Trois directions, pensait-iclass="underline" Brest, Lyon et Strasbourg. Avec d’autres, ce serait un jeu puéril. À six heures ce soir, on pourra vérifier que je ne suis sur aucune des trois routes. Mais je les connais, ou plutôt, je le connais. Ses informations sont plus rapides que celles de la police. Il va hésiter devant ce problème évidemment posé à plaisir. Sa première conclusion sera celle-ci: puisque Carpentier nous appelle à l’ouest, au midi et à l’est, il doit courir au nord.

Il sourit d’un air satisfait.

– Sa seconde pensée, poursuivit-il, croisera et gênera la première. Il se dira: n’est-ce point plutôt pour rester tout uniment à Paris que Carpentier nous donne ces trois différents changes?

– Cela devrait être ainsi! reprit-il avec une sorte d’emportement soudain. Rester à Paris, voilà le vrai de la situation. Opérer en moi, comme le scélérat l’a fait lui-même, une transformation de pied en cap, entrer dans la peau d’un autre, puis, percer les murs, creuser la terre fût-ce avec mes ongles, pratiquer un trou de taupe ou de lézard – ou de serpent -, m’y cacher, m’y couler, avancer toujours en prolongeant le boyau de mine et parvenir enfin jusqu’au trésor que je viderais peu à peu comme un mince siphon peut dessécher, avec la patience et le temps, la plus profonde, la plus large des cuves!

Il sauta sur ses pieds en s’écriant:

– Je le ferai! c’est décidé, je le ferai! Dussé-je rester des semaines et des mois enfoui dans une tombe!

Mais il s’interrompit et ses deux bras s’affaissèrent, tandis qu’il ajoutait:

– César est mort! Le carreau a été troué par une balle à quelques pieds de mon crâne! Je n’aurais pas le temps. Ils sont nombreux, ils sont partout. À l’heure qu’il est, ils ont peut-être déjà trouvé ma trace. La mort me guette. Il faut fuir, fuir, fuir! Je voudrais l’épaisseur entière du globe entre ce misérable et moi!

Ses yeux épouvantés roulaient maintenant tout autour de lui comme s’il eût craint de voir un guet-apens surgir quelque part dans l’atelier même.

La face blanche et noire du parricide éclairée par un reflet de soleil semblait en ce moment sortir du tableau.

Vincent recula. Sa main se plongea sous le revers de son vêtement et il bondit sur l’assassin en poussant un rugissement sauvage.

La toile rendit un son sec.