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– Quel mot?

– Mourir, c’est vivre! Répète.

– Mourir, c’est vivre.

– Bien… Et tu ajouteras: La nuit qui vient, il fera grand jour. Répète.

– La nuit qui vient, il fera grand jour.

– Bien! Tu ne sais pas comme je t’aime. Tu le sauras demain.

La comtesse Francesca se leva.

– Pas encore, dit le mourant, attends, je n’ai pas fini. Pendant toute cette journée, et la nuit prochaine qui sera ma dernière nuit, c’est toi qui commanderas ici. Ne crains rien. Ils n’oseront pas désobéir à mes ordres. Ils ne relèveront pas la tête avant de m’avoir vu cloué, avec des clous solides, entre les planches de mon cercueil. Tu diras ma volonté hautement, et nul n’ira contre ma volonté. Le feras-tu?

– Je le ferai.

– Tu diras: «Les derniers jours du Père ont été tourmentés par une crainte. Il a mis tant d’années à mourir qu’il doute de la mort. La mort peut hésiter en le frappant et s’y reprendre à plusieurs fois. Cela s’est vu, surtout pour les vieillards qui dépassent la limite ordinaire de l’âge. – Et le Père a plus de cent ans! – Le Père veut, pour éviter la torture d’une inhumation prématurée, ou d’autres dangers qu’il ne spécifie pas, il veut que son corps soit isolé de toute approche, la nuit de son décès et le jour qui suivra. Son corps sera gardé et veillé par l’homme qu’il a choisi, lequel est un prêtre, chargé seul de prier auprès du lit funèbre et de procéder aux soins de l’ensevelissement, après avoir fait les épreuves convenues entre lui et le Père.» Te souviendras-tu.

– Je me souviendrai.

– Va donc, et qu’on fasse entrer tous mes chers bons amis pour la dernière fois.

La comtesse Francesca Corona sortit. Les maîtres des Habits Noirs entrèrent. Le colonel voulut leur toucher la main à tous.

Vers midi, Francesca revint avec le jeune vicaire, qui était un homme d’apparence ascétique. Le colonel dit aux Maîtres des Habits Noirs:

– Laissez-moi, mes enfants bien-aimés, et obéissez à ma petite Fanchette, comme si c’était à moi-même, jusqu’à l’heure de mon enterrement. Sans cela…

Il n’acheva pas, mais son œil qui déjà s’éteignait eut un éclair aigu. Il ajouta pourtant:

– Mon testament cacheté vous sera remis par l’abbé Franceschi une heure après mes funérailles.

Le colonel Bozzo-Corona rendit le dernier soupir ce même jour à quatre heures après-midi.

Selon sa volonté impérieusement exprimée l’abbé Franceschi veilla seul auprès de ses restes mortels.

Cependant ses amis n’abdiquèrent point leur devoir. Pendant la nuit et le jour qui suivirent, aucun des Maîtres ne quitta l’hôtel de la rue Thérèse, et dans la pièce voisine de la chambre mortuaire une chapelle fut installée où une religieuse demeura en prière jusqu’à la levée du corps.

Mme la comtesse de Clare, seule, manquait parmi les Maîtres réunis à l’hôtel Bozzo.

Depuis l’heure du décès jusqu’à la nuit, on put ouïr le jeune prêtre récitant périodiquement les oraisons latines indiquées par le rituel.

À la nuit, les Maîtres se réunirent dans la salle à manger où l’on fit un repas triste – véritablement triste, car chacun était inquiet.

Le prêtre, dans la chambre funèbre, la religieuse, dans la chapelle, restèrent seuls.

La religieuse crut alors entendre chez le colonel des bruits singuliers, – quoique l’abbé Franceschi ne cessât point de réciter à haute voix les prières voulues.

Nous ne prétendons point excuser le fait, mais la religieuse mit l’œil au trou de la serrure.

Ce fut en vain, la serrure était hermétiquement bouchée.

Le bruit était une sorte de remue-ménage, comme si l’on eût accompli de l’autre côté de la porte un travail nécessitant des mouvements nombreux. Il y avait des pas qui s’étouffaient sur le tapis. Et le lit criait.

Au lieu de prier, la religieuse semblait en proie maintenant à une sorte de fièvre.

Elle souleva un instant, pour mieux entendre, le voile épais de son ordre qui cachait presque entièrement son visage, et si quelqu’un fût entré en ce moment, il aurait reconnu, derrière les plis de la serge noire, les traits hautains et charmants de la comtesse Marguerite de Clare.

Chacun faisait la guerre à son compte, en ce lieu.

Vers minuit quelqu’un entra. C’était Francesca Corona qui venait méditer et prier. Celle-là portait dans son cœur un vrai deuil, et sa piété n’était pas une comédie.

La religieuse avait eu le temps de rabattre son voile. Les deux femmes, pendant toute la nuit, n’échangèrent que de rares paroles.

Le bruit continuait dans la chambre du mort.

Au jour, Francesca Corona se retira.

Restée seule, la comtesse de Clare se rapprocha de la porte avec vivacité, comme si on eût rompu le lien qui la retenait agenouillée devant le prie-dieu.

Elle n’essaya plus de regarder par la serrure. Sa main se plongea dans la poche de sa robe et en ressortit, armée d’un objet que rarement les religieuses portent sur elles, une petite vrille toute neuve.

À l’aide de cet instrument, elle attaqua le battant de la porte avec adresse et précaution.

Pour une comtesse, elle avait une remarquable habileté de main. En quelques minutes un trou fut percé.

Mme la comtesse de Clare y appliqua d’abord ses lèvres pour rejeter au-dehors la poussière produite par le jeu de la vrille.

Puis elle y mit son œil avide qui darda un regard dans la chambre du mort.

Malgré le jour naissant, la chambre était très sombre, parce qu’on avait rabattu les tentures des croisées, et pourtant la comtesse vit du premier coup une chose qui la frappa d’étonnement.

Juste en face du trou percé par elle il y avait une porte ouverte – une porte qu’elle ne connaissait pas.

Cette porte était située au pied du lit et devait, quant on la fermait, disparaître complètement dans la boiserie.

Elle donnait sur un escalier également inconnu à la comtesse Marguerite, et dont on apercevait la rampe tournante.

En s’orientant, la comtesse calcula que cet escalier devait descendre au rez-de-chaussée, dans l’avant-dernière des pièces donnant sur le jardin de la rue des Moineaux.

Outre la porte, on ne voyait que le pied du lit, un demi-mètre de muraille et le coin d’un canapé sur lequel un homme était assis.

L’homme se trouvait coupé par le rebord circulaire du trou de la vrille.

On voyait seulement ses jambes.

Cela suffisait pour se convaincre qu’il ne portait point de costume ecclésiastique.

Qui dont était cet homme? et que faisait-il en ce lieu?

Le pied du lit, d’un autre côté était plat.

On eût dit qu’il n’y avait rien sous la couverture.

Pendant que la fausse religieuse regardait de tous ses yeux, cherchant le prêtre et le corps, qui seuls auraient dû être là et qui tous deux manquaient, une tête apparut au haut de l’escalier.