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C’était bien le front mystique et déjà dépouillé à demi de l’abbé Franceschi.

Il portait un fardeau, qui devint visible lorsqu’il eut monté les dernières marches de l’escalier.

Ce fardeau, c’était le cadavre du colonel.

La comtesse Marguerite retenait son souffle et restait bouche béante.

Elle voyait, mais elle ne croyait pas, tant ce spectacle était invraisemblable et bizarre.

D’où venait l’abbé? Pourquoi faire voyager ainsi un cadavre?

On l’avait descendu puisqu’on le remontait. Encore une fois, pourquoi?

L’idée que le cadavre vivait vint à la comtesse. Cela expliquait tout. On avait transporté le colonel au rez-de-chaussée pour qu’il pût donner des indications exactes au sujet du trésor et frustrer ainsi l’association des Habits Noirs.

C’était probable, c’était certain…

Mais non! le cadavre était rigide jusqu’à sembler déjà sec et momifié. L’abbé Franceschi le portait avec une facilité extrême.

Il le jeta sur le lit où le corps resta inerte et roide – comme celui d’un animal empaillé.

Et c’était bien le colonel, il n’y avait pas à s’y méprendre.

Par hasard, sa tête était au pied du lit et restait dans le champ du trou. On la voyait en plein.

C’était le colonel en chair et en os…

À cet instant, l’homme du canapé se leva. La comtesse de Clare étouffa dans sa gorge un cri de stupeur qui voulait jaillir.

Nous nous souvenons que la comtesse Marguerite, aujourd’hui déguisée en religieuse, avait joué une fois un autre rôle, celui de poseuse, pour s’introduire dans l’atelier de Reynier et avoir des explications au sujet de cette mystérieuse toile: le tableau de la galerie Biffi.

Eh bien! les deux personnages du tableau étaient là, devant les yeux de la comtesse: le vivant et le mort, le jeune homme et le vieillard.

C’était le jeune homme du tableau qui venait de se lever du canapé, cette tête imberbe et blanche qui semblait sculptée dans de l’albâtre.

C’était le vieillard qu’on avait jeté mort sur le lit.

XL Où l’on entend parler de Vincent Carpentier

Un trait de lumière éblouit la pensée de Marguerite.

Le mot de l’énigme était là.

Elle n’eut pas même l’idée d’appeler ses compagnons pour leur faire part de sa découverte. Ici, nous l’avons dit, chacun combattait pour soi. Toute association pareille suppose trahison.

Le trésor unissait les efforts, mais séparait profondément les passions. C’était à la fois le lien et la pomme de discorde.

Tous ces amoureux de l’or étaient comme des bêtes fauves autour d’une prise.

Frère, pour eux, voulait dire ennemi; car la proie, comme une tontine, devait échoir au dernier vivant.

En amour, il n’y a qu’un mot odieux, c’est partage.

La comtesse Marguerite garda pour elle seule son secret. Ils étaient trop nombreux, les Compagnons du Trésor.

Ici, de l’autre côté de la porte, il n’y avait que deux associés seulement: le jeune homme et le prêtre.

La comtesse passa à l’ennemi: à l’héritier qui venait de sortir de terre.

Elle laissa finir la veillée, clouer la bière, porter le cercueil dans le char empanaché des pompes funèbres.

Jusqu’au Père-Lachaise elle suivit le convoi.

Pendant toute la cérémonie ses yeux ne quittèrent pas l’abbé Franceschi.

Et le soir, tandis que les autres Maîtres de la Merci tenaient conseil, maudissant le vieux diable qui les jouait encore du fond de son tombeau, la comtesse Marguerite montait l’escalier sombre d’une pauvre maison du passage Saint-Roch.

L’abbé Franceschi occupait dans cette maison un petit logement, au troisième étage.

La comtesse frappa.

On ne lui répondit pas.

La clef était dans la serrure.

La comtesse se dit:

– Il y a peut-être un couteau pour moi derrière cette porte… Elle était brave, elle entra tout de même.

Derrière la porte, il y avait, en effet, un couteau, mais qui n’était pas pour la comtesse Marguerite.

La chambre, très pauvre et ne contenant que des objets de piété, s’éclairait faiblement aux lueurs d’une bougie qui se mourait dans un bougeoir de cuivre.

Au moment ou la porte s’ouvrait, Marguerite crut qu’il n’y avait personne dans la chambre, mais dès le premier pas, son pied s’embarrassa dans un vêtement qui était la soutane de l’abbé Franceschi.

Le jeune prêtre était étendu tout de son long sur le carreau. Le sang faisait mare sous lui. On avait dû le poignarder par-derrière pendant qu’il allumait cette chandelle qui allait maintenant finissant.

Marguerite fut frappée, mais non point d’étonnement.

– Déjà! fit-elle.

Elle sortit et referma la porte.

Dans l’escalier, elle pensa:

– L’autre est seul, maintenant. Ce sera un duel entre nous… un duel à mort!

Le lendemain, à la première heure, tous les Compagnons du Trésor se rencontrèrent en l’étude de Me Léon de Malevoy, notaire, qui faisait depuis longtemps les affaires du colonel Bozzo.

Ils avaient tous eu la même idée sans se concerter: acheter l’hôtel de la rue Thérèse.

À vrai dire, personne n’avait de certitude, mais chacun croyait que le Trésor de la Merci, transporté peu à peu de l’île de Corse à Paris, devait être caché soit dans les caves, soit dans le jardin de l’hôtel.

On se fit fête. Chacun feignait d’être enchanté de rencontrer là ses collègues. Le comte Corona seul avait pris une attitude des plus réservées parce qu’il était héritier direct et légal – du chef de Francesca, sa femme.

Me Léon de Malevoy était un notaire-gentilhomme dont la courtoisie et la probité passaient en proverbe.

Il se fit un vrai plaisir de donner tous les renseignements demandés.

Le colonel Bozzo avait eu, en effet, chez lui, des dépôts de valeurs tant mobilières qu’immobilières, représentant des valeurs très considérables. M. Lecoq de la Périère était l’intermédiaire habituel entre le colonel et lui, Me Malevoy.

Mais le colonel était venu lui-même, en personne, quelques mois auparavant, retirer la totalité de ses titres.

Me de Malevoy eut la bonté de montrer quatre cartons vides qui portaient encore le nom du colonel Bozzo et qui ne contenaient que des états détaillés, au bas desquels il y avait décharge, de la propre main du colonel Bozzo.

Quant à l’hôtel de la rue Thérèse, Me Léon de Malevoy fut plus explicite encore.

L’hôtel ne faisait point partie de la succession, pour la bonne raison que l’hôtel avait été vendu au commencement du printemps, à une famille américaine du nom de Penn – nom fort illustre, comme le fit remarquer Me Léon de Malevoy.

Il n’avait pas l’avantage de connaître personnellement cette famille Penn, pour le compte de laquelle il avait encaissé plusieurs mandats chez M. J.-B. Schwartz, afin de verser le prix de l’immeuble, 385 000 francs, entre les mains du regretté colonel Bozzo.