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Ces Penn étaient des Virginiens. Ils devaient venir à Paris et habiter l’hôtel, mais on ne savait pas quand.

Me Léon de Malevoy montra le contrat et les quittances.

Les Compagnons du Trésor, y compris le comte Corona, sortirent de l’étude complètement désorientés et navrés.

La grande association des Habits Noirs, ruinée de fond en comble, avait à travailler sur nouveaux frais comme une bande de coquins vulgaires. Il lui fallait gagner le pain du jour.

Cependant, les morts continuèrent de s’accumuler autour de ces introuvables amas de richesses.

Francesca Corona, pauvre belle créature, tomba la première, portant la peine de l’apparente confiance et de la tendresse réelle que le colonel Bozzo lui avait témoignées.

Le colonel, pourtant l’avait trompée comme il avait trompé les autres. Il ne lui avait rien donné, rien confié en mourant. Mais comment croire à une obstination si extravagante? Il y avait une opinion répandue parmi les Habits Noirs, c’est que Fanchette avait reçu de son aïeul le secret de l’association, le fameux scapulaire de la Merci et la clef du trésor.

Le comte Corona fit comme ces enfants qui brisent leurs jouets pour voir ce qu’il y a dedans.

Il tua Francesca, sa femme, et ne sut rien.

Mais les autres crurent qu’il savait, et le comte Corona, à son tour, fut assassiné.

Cet or amoncelé amenait fatalement autour de soi les mœurs des pays d’or. On tuait ici comme dans les placers de la Sonora, comme dans les claims de l’Australie.

Le dernier mort fut M. Lecoq lui-même, le fameux Toulonnais-l’Amitié, qui était devenu le plus important, parmi les Maîtres de la Merci, depuis le décès du colonel Bozzo.

Lecoq fut tué dans une audacieuse expédition, dirigée contre la caisse Schwartz. La faim pousse le loup hors du bois. Les Habits Noirs avaient perdu la prudence.

Après la terrible aventure qui mit fin aux crimes de Lecoq [2], il y eut comme une panique dans l’association. Les principaux Maîtres disparurent et la ténébreuse armée rentra sous terre au moins pour un temps.

Au printemps de l’année qui avait vu ces derniers événements, un soir d’avril, Reynier et, Irène étaient réunis dans la chambrette de cette dernière et causaient de leur prochaine union, car Irène avait enfin consenti à devenir la femme du jeune peintre.

Reynier n’était plus le joyeux enfant d’autrefois. Sa carrière s’était faite difficile aussitôt qu’on n’avait plus senti derrière lui la protection d’un homme arrivé.

Il avait même subi doublement le contrecoup de la chute de son père d’adoption: les riches commandes s’étaient éloignées et il consacrait la majeure partie du peu qu’il gagnait à éteindre les dettes de Vincent Carpentier.

De ce dernier, on était toujours sans nouvelles.

Irène et Reynier s’aimaient. L’amour de Reynier était ardent et profond; dans la tendresse de la jeune fille, il y avait comme une restriction.

Souvent, elle était triste.

Ce soir-là, ils avaient fixé le jour de leurs noces, et Reynier, passionnément heureux, remerciait sa fiancée, lorsque le concierge monta une lettre qui portait un timbre étranger.

Deux lettres, devrais-je dire, car sous la première il y en avait une plus petite, avec le timbre de Paris, et que la jeune fille dissimula après avoir jeté un coup d’œil sur l’adresse.

Irène était toute pâle en déchirant la première enveloppe.

La lettre ne contenait que ces mots, tracés par une main inconnue:

«Vincent Carpentier est mort. Sa tombe est à Stolberg-les-Mines, entre Liège et Aix-la-Chapelle, territoire neutre. Demander le mineur numéro 103.»

Irène tendit le papier à Reynier.

Elle pleurait, mais à travers ses larmes elle glissa un coup d’œil sur la seconde lettre, qui disait:

«Le comte J. demande une entrevue à Mlle Irène Carpentier, pour lui parler de sa sœur Marie-de-Grâce.»

– Marions-nous tout de suite, et partons! dit Reynier. Irène s’essuya les yeux et répondit:

– Nous nous marierons à notre retour, et nous partirons demain.

Deuxième partie Histoire d’Irène

I Monsieur et madame Canada

Il y a, tout auprès du Père-Lachaise, une rue qui porte un nom singulièrement mélancolique. Cette rue s’appelle la rue des Partants.

On dit, du reste, que son nom ne lui vient point de la gare funèbre où s’arrête le dernier voyage.

Bien avant la fondation du cimetière, il y avait déjà là le chemin des Partants, qui coupait à travers champs pour aller des quartiers du Marais, par le hameau de Popincourt, à la route de Metz.

Les Partants, c’étaient les compagnons du tour de France, qui avaient l’invariable coutume de commencer leur excursion par les provinces de l’Est.

Tous ou presque tous, les jeunes fantassins du travail se dirigeaient d’abord vers l’Orient, selon la règle maçonnique.

Ils s’en allaient de la grande ville, le bâton symbolique à la main, le sac sur le dos, les uns seuls, et c’étaient les heureux, car ils ne regrettaient rien, les autres accompagnés de la famille ou des amis qui leur faisaient la conduite, entremêlée de rires fanfarons et de larmes cachées.

Au bout du chemin des Amandiers, à gauche en revenant vers la route de la Roquette, où se font maintenant d’autres adieux, était une pauvre guinguette qu’on appelait le Revoir.

Bon augure, mais qui ne se réalisait pas toujours.

Au Revoir, on buvait un coup qui n’était pas celui de l’étrier, car ces pacifiques soldats n’avaient jamais sous eux que leurs jarrets solides; puis on s’embrassait longuement:

– Au revoir, fils; au revoir, frère, mère! ô mère chérie, au revoir! Et le jeune homme se dirigeait à grands pas vers le chemin des Partants, pendant que lentement, les autres revenaient à la ville.

Il y avait parfois une jeune fille qui continuait de pleurer, même après que les larmes de la mère étaient séchées.

Oh! comme elle avait promis, celle-là, d’aimer et de se souvenir!

Elle avait dit:

– Fallut-il attendre toute une vie, j’attendrai!

Hélas! le voyageur, au retour, n’était attendu, bien souvent, que par la solitude.

Il avait fait une route si longue! des fils d’argent couraient dans la forêt de ses cheveux noirs. On lui montrait une tombe quand il demandait sa mère.

Et Louise?

– C’est moi! répondait quelque blonde fillette de dix ans: tout le portrait de celle qui avait promis d’attendre…

En 1843, les champs avaient depuis longtemps disparu sous les maisons, le chemin des Partants était rue, et même une assez grande rue, méprisant, depuis un bout jusqu’à l’autre, l’alignement si cher à nos édiles, et peuplée comme une fourmilière.

À cinq ou six cents pas du boulevard extérieur et un peu en avant du coude qui lance la direction vers le nord-est, une porte cochère s’ouvrait, semblable à celle des fermes de la campagne parisienne.

Elle donnait entrée sur une cour de considérable étendue, mais mal pavée, boueuse, pleine de pigeons, de poulets et aussi de canards, auxquels l’eau sale ne manquait jamais.

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[2] Voir Les Habits Noirs, premier volume de la série.