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Les voitures et le mobilier industriel d’un maraîcher encombraient les trois quarts du terrain. Le reste était pris par la carrosserie d’un laitier dont les carrioles, percées d’une multitude de trous ronds, montraient par tous ces sabords leur cargaison de boîtes de fer-blanc.

Au fond, à gauche, on entendait beugler des vaches, et un énorme porc (sauf respect), à demi sorti de son refuge, musait paresseusement, la hure dans la boue.

Au droit de la porte cochère, quand on avait traversé la cour, à tous risques et périls, on trouvait une voûte qui passait sous une maison à cinq étages qui, vue de l’extérieur, ressemblait à un crible, tant ses fenêtres étaient nombreuses et petites.

Vous eussiez respiré mieux par les trous des charrettes du laitier.

Trente ménages étouffaient là-dedans, moyennant trente redevances modiques, il est vrai, mais usuraires, payées à un philanthrope bien connu, qui faisait les cités ouvrières.

Je crois qu’on est en train de mettre ordre à ces lugubres gaietés, en forçant les propriétaires, amis du peuple, à ne l’asphyxier qu’à moitié.

J’affirme qu’en 1843 justement, j’ai connu un bienfaiteur des pauvres qui coupait une chambre en quatre dans le double sens de sa surface et de sa hauteur «pour loger les malheureux à meilleur marché».

C’était son mot.

Il gagnait cent pour cent par ce procédé horriblement charitable.

Il est maintenant dans une boîte plus étroite encore. Que Dieu lui fasse miséricorde!

Au-delà de la voûte, c’était un jardin, planté d’arbres fruitiers et de lilas rabougris. Ce jardin était divisé en compartiments de quelques pieds carrés, séparés l’un de l’autre par des treillages à hauteur d’appui, formant damier.

Chacune des cases de ce damier était à l’usage privé d’un locataire.

On citait un de ces vergers en miniature qui était fort envié. Une année de cocagne il avait eu trois cerises.

Au-delà encore et toujours en s’éloignant de la rue s’élevait un pavillon d’assez bon style qui contrastait avec le reste de la propriété. Deux énormes tilleuls l’ombrageaient du côté du jardin et masquaient sa façade, ornée de sculptures mythologiques.

C’était un débris du vieux temps, ce pavillon, égaré au milieu de ces masures toutes neuves qui semblaient déjà plus décrépites que lui. Au-dessus de la porte d’entrée, on voyait encore un écusson, soutenu par deux sauvages, coiffés de plumes et ornés de massues.

Il avait été autrefois villa, évidemment, ou même, qui sait «petite maison» enfouie dans de mystérieux bosquets, consacrés au culte des Grâces.

Maintenant, on en louait les chambres, les unes entières, les autres écartelées comme il a été dit ci-dessus, aux ouvriers des deux sexes qui abondent dans ce laborieux quartier.

Car la misère habite maintenant ce coin de Paris, ancien paradis d’amour, et c’est à peine si on y rencontre encore de loin en loin, quelques-unes de ces «folies» qui ont donné leur nom à tant de rues et qui se cachent désormais parmi les usines et les maisons de rapport.

Encore faut-il regarder de près pour reconnaître, sous le masque de leur décadence, ces petits temples où messieurs de la finance faisaient assaut de luxe et de galanterie avec messieurs de la noblesse.

Excepté au Père-Lachaise, où l’orgueil posthume se rattrape, le travail honnête et nécessiteux a remplacé là presque partout les fastueuses extravagances de l’argent bien ou mal acquis.

On nommait le pavillon du fond le Château-Gaillaud.

Je ne sais pas s’il y eût des Gaillaud aux croisades; mais il s’en trouva, certes, dans la finance, et personne n’ignore que Turcaret achetait des armoiries avec les pistoles d’autrui.

Le Château-Gaillaud avait trois étages. Ses dernières fenêtres donnaient précisément sur le Père-Lachaise, dont il se rapprochait beaucoup plus que de la rue des Partants.

Grâce à l’immense cour de ferme, aux deux bâtiments profonds et au jardin en échiquier, le pavillon n’était séparé du cimetière que par le chemin des Poiriers, où aucune maison n’avait encore été bâtie.

Nous demandons pardon au lecteur de l’avoir conduit si loin de chez lui et par une route si tortueuse, mais c’est au troisième étage du pavillon, dit le Château-Gaillaud que va se renouer notre drame.

On y entrait par une porte cintrée, située, sous les grands tilleuls et donnant accès à un escalier dont les degrés étaient fort endommagés par le temps, mais qui gardait encore une certaine physionomie, grâce à sa rampe de fer forgé.

Sur le carré du troisième étage, trois portes s’ouvraient, deux du côté du cimetière, une du côté de la cour.

Il y avait, en outre, une petite galerie conduisant à un logement de garçon dont le plan formait équerre avec la façade du pavillon.

La première porte, située à droite de l’escalier, avait pour enseigne un petit carton où l’on pouvait lire ces mots, tracés d’une main élégante et hardie:

Mlle Irène, brodeuse La clef était à la serrure de la seconde porte à gauche, et à la clef pendait un rond de papier disant:

Chambre à louer

On ne voyait pas la porte, située dans la galerie et qui desservait le logement de garçon.

Enfin, sur la dernière porte du carré, du côté de la cour, une main lourde avait tracé à la craie blanche cette enseigne naïvement vaniteuse:

M. et M me Canada, rentiers, à Paris

C’est là que nous entrons, par une tiède après-dînée de la fin d’août 1843.

La chambre de M. et Mme Canada avait deux fenêtres qui regardaient à travers le feuillage un peu déplumé des tilleuls, l’arrière-façade de la maison, percée comme les charrettes du laitier.

Elle était meublée d’une foule d’objets disparates dont le désordre ne semblait pas être un effet de l’art.

Vis-à-vis du lit sans rideaux qui avait pour couverture un vieux châle tartan aux couleurs criardes, on voyait un petit divan, un peu malpropre et déteint, mais qui n’était pas sans prétention à l’élégance. Au-dessus de ce divan, une guitare pendait avec une clarinette, un tambour de basque et un cor de chasse, le tout surmonté d’un parapluie en coton rouge de taille colossale.

Les autres sièges étaient des chaises de paille, comme à l’église. Le plus large côté de la muraille était pris par une toile tendue comme une tapisserie des Gobelins, mais dont on avait été obligé de replier les quatre marges à cause de sa trop grande étendue.

Cette toile avait dû évidemment servir d’enseigne ou de rideau à quelque théâtre forain, car divers miracles gymnastiques y étaient représentés autour d’un médaillon central tout particulièrement digne de fixer l’attention publique.

Ce médaillon, en forme de cartouche généreusement fleuronné, offrait aux regards une femme de grande et forte taille, couchée sur le dos et montrant avec une entière franchise l’opulente nudité de son ventre, dont le nombril seul était caché, non point par la pudeur, mais par un gros pavé.

À droite et à gauche, deux hercules sauvages se tenaient debout, armés de marteaux de forge, et l’on voyait bien qu’ils se préparaient à broyer le caillou sur le nombril même de la dame.