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– Le secret du trésor?

– Juste! Le grand secret, le Scapulaire, comme ils disent. Mais si tu ne connais ni monsieur Vincent, ni monsieur Reynier, tu as causé plus d’une fois avec une jeune personne qui est la fille de l’un et qui était la fiancée de l’autre…

– Mademoiselle Irène? s’écria la dompteuse.

– Juste! La brodeuse d’en face.

Les yeux de Mme Canada s’ouvrirent tout grands.

– Celle-là ne m’est de rien, fit-elle. Mais je ne sais pourquoi, la première fois que j’ai vu son regard doux et triste, j’ai pensé à notre Valentine. Elle est bien belle, cette enfant-là! Si j’apprenais que tu lui as fait du mal…

– Bats-moi, Léocadie, interrompit Échalot, qui avait les paupières humides; bats-moi jusqu’au sang; assomme-moi, mais ne me renvoie pas!

III Le cavalier Mora

Il y eut un instant de silence entre Échalot et sa reine. Le regard de Mme Canada était inquiet et dur. Elle dit:

– Ma vieille, j’attends à savoir pour juger. Je suis une honnête femme et nous sommes mariés. Si tu es un coquin, gare à toi!

Échalot voulut se récrier. Elle lui mit la main sur l’épaule et ajouta rudement:

– Vas-y tout droit! Moi, je te promets de ne pas te faire languir!

– Eh bien! fit Échalot, j’aurai eu au moins quelques beaux jours dans ma destinée! si ça finit comme un rêve trompeur, je te confierai le petit et je me ferai sauter le caisson, ne pouvant plus respirer sans ton estime. Tout est venu dans ma répugnance à entamer ton capital. Quand je reçus ta première lettre où tu me disais: «Je traverse l’Océan pour être bien sûre que Maurice et Valentine arriveront sains et saufs dans le Nouveau-Monde, mais la France avant tout! je brûle de revoir ma patrie…»

«Quand je lus ça, je pensai en moi-même: Faut travailler, faut se faire un avoir digne du sien pour ne pas être à ses crochets comme un lâche.

«Voilà. L’intention était bonne. Je ne crois pas avoir fauté en rien, sinon pour m’être rabobiné avec Similor, malgré ta défense, mais c’était dans un bon motif, et loin d’avoir pris du service avec lui dans le Fera-t-il jour demain, mon emploi mystérieux consiste à me glisser dans son intimité pour découvrir les troisièmes dessous des Habits Noirs, par son canal.

– Alors, décidément, tu vas à la rue de Jérusalem? demanda la dompteuse, mais avec moins de colère et plus de mépris.

– Pas de ça, Lisette! répliqua Échalot. Rien du gouvernement! As-tu remarqué notre voisin qu’a un appartement de garçon dans le corridor, sur le chemin des Poiriers et le cimetière?

– Le pâlot qui n’a pas de barbe? M. le cavalier Mora, je crois.?

– Juste! c’est mon patron.

– Quel commerce qu’il fait, celui-là?

– Je ne peux pas te le dire.

– Saquédié! s’écria la dompteuse. Et tu appelles ça te confesser!

– Ne monte pas comme une soupe au lait! Je ne peux pas te le dire, parce que j’en sais rien.

– Enfin, qu’est-ce qu’il te fait faire?

Ça, c’est différent, je vas lever la couverture en grand. Y a un drame, assez conséquent, c’est sûr et certain, et les principaux acteurs de la chose sont dans la maison, sur notre carré. Le cavalier Mora me fait faire que j’ouvre l’œil ici et là dans l’intérêt de son amour.

– De son amour? répéta Mme Canada complètement déroutée.

– Et de sa santé, poursuivit Échalot, car il est seul contre toutes ces racailles de Compagnons du Trésor…

– Ah! fit la dompteuse, ce cavalier Mora est contre les Compagnons du Trésor?

– Léocadie, prononça Échalot avec sentiment, t’as précipité ton opinion à mon égard. J’aurais expiré sous tes yeux par la honte et la douleur, si je n’avais pas espéré que mes explications finiraient par ravoir ton suffrage. Je ne peux pas t’en dire bien long sur le cavalier Mora, dont la position sociale est pour moi un mystère. Il mène la vie d’une demoiselle, n’ayant défaut de fumer, de priser, ni en fait de boisson. Son élocution n’est pas bavarde; il a un petit accent auvergnat, rapport à son origine qu’est l’Italie. Ce n’est pas cossu, chez lui; mais il paie bien.

«Il a pour seule débauche de faire l’œil avec la petite voisine, la brodeuse: je lèverais la main que c’est en tout bien tout honneur. Et ils ont bien de la commodité pour s’entr’échanger des œillades, mélangées de petits bonjours avec mines et risettes, à cause que leurs croisées se regardent…

– Mauvaise figure! murmura la dompteuse qui semblait rêver.

– Plaît-il! fit Échalot. Moi, je le trouve bel homme tout plein.

– Je dis, répliqua l’ancienne maman Léo, qu’il y a bien de la souffrance sur le joli visage de cette pauvre mademoiselle Irène.

– Dame! observa Échalot, elle est folle du patron, et paraît qu’il y a des obstacles au mariage…

– Tu parlais d’un fiancé? interrompit encore la dompteuse; c’est un autre?

Elle prenait évidemment à tout cela un intérêt croissant.

– Mais oui, le beau Reynier, dit Échalot, mon peintre de la rue de l’Ouest, qu’a mangé son pain blanc le premier. Entrons dans l’intérieur de l’anecdote, car nous n’avons fait que tourner autour. Je demeurais ici-dessus, aux mansardes, et je rencontrai une fois le cavalier Mora dans l’escalier.

«Je ne l’avais jamais vu.

«Je poussai un cri de surprise et tu vas bien comprendre pourquoi: son portrait tout craché est dans un tableau de M. Reynier, que j’avais levé une fois la toile qui le cachait là-bas, à l’atelier… un drôle de tableau, mais n’importe… Je le reconnus tout de suite, M. Mora me demanda ce que j’avais à m’écrier de la sorte, et je lui répondis la vérité, que j’avais vu sa ressemblance à l’atelier de M. Reynier.

«- Ah! ah! qu’il fit, vous connaissez ce jeune peintre?

«Je repartis:

«- C’est moi et Similor qu’étions à nous deux le Diomède de son grand tableau, commandé par la comtesse de Clare.

«Il reprit:

«- Vous connaissez aussi la comtesse de Clare?

«Et sur ma réponse affirmative, il reprit:

«- Vous m’avez l’air d’un jeune homme intelligent qui sait ce que parler veut dire. Je cherche une personne comme ça de confiance pour de l’ouvrage très délicate. Si ça ne vous est pas incompatible de gagner un joli appointement fixe, sans se fouler la rate ni pourrir dans un bureau, venez me voir, on s’arrangera.

«À cette époque-là, je m’étais déjà rapproché de Similor par la nécessité de former un tout à nous deux pour le posage. Quand je dis un tout, c’est fictif: il a les mollets, j’ai le thorax, mais faut un troisième particulier pour la binette, ni lui ni moi ne possédant une physionomie à plaquer dans un cadre.

«C’était dans le temps où j’opérais le sevrage de notre petit, à qui il fallait des doudoux, les affaires n’allaient pas, nous en étions réduits, Amédée et moi, à prostituer nos formes respectives, pour quinze sous pièce, auprès de MM. Baruque et Gondrequin-Militaire, dans l’atelier de Cœur-d’Acier, que tu connais bien: alcides, hommes à la perche, bêtes féroces, singes savants et tout ce qui concerne la foire…