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Mme Canada lui donna un baiser distrait, mais elle dit en s’adressant à Échalot:

– Toi, je te repincerai. Et saquedié! quand je devrais te râper comme de la chapelure, j’aurai la fin de l’histoire. La fin et le fin!

VIII La chambre d’Irène

Nous traversons maintenant le carré, et nous prenons la liberté de pousser la porte sur laquelle était tracé en jolie écriture anglaise le nom de mademoiselle Irène, brodeuse.

Il pouvait être sept heures du soir. Le jour ne baissait pas encore, mais le soleil, voilé par les chaudes vapeurs du couchant jetait obliquement ses rayons plus vermeils.

Il y avait des rubis dans l’air, et le large paysage qu’on apercevait par la croisée grande ouverte se teignait de nuances pourprées.

C’était d’abord, au premier plan, sous la frange de fleurs qui ornait la fenêtre et cachait la marge poudreuse du chemin des Poiriers, un parc splendide, le plus beau assurément, des parcs renfermés dans l’enceinte de Paris: le Père-Lachaise avec ses mouvements de terrains alpestres et ses opulents ombrages.

Par un hasard singulier, le mot parc peut être ici employé et compris à la rigueur. De la fenêtre d’Irène on ne voyait qu’une verte forêt d’arbres touffus aux essences variées et groupées selon l’art le plus heureux. À part cette sépulture stupéfiante qui s’aperçoit de partout et où les étrangers, cherchant le nom d’un demi-dieu, lisent en se frottant les yeux celui d’un marchand de chandelles, le cimetière dissimulait partout ses croix et ses urnes pour ne montrer que de riantes perspectives.

Encore ne voyait-on pas beaucoup la ronde pyramide qui étonne si fort les Anglais, accoutumés à jauger la gloire d’un mort par la hauteur de son sépulcre.

Ce monument de l’innocente vanité bourgeoise montrait seulement son sommet en pomme de chaise au-dessus des feuillages, interposés décemment. Il fallait le deviner pour en être incommodé.

Tout le reste était parc, jardin anglais, l’abbé Delille y eût cueilli de pleines corbeilles de vers descriptifs, et certain petit mausolée grec, encadré dans la verdure qui faisait face justement à la croisée fleurie où souriait Irène, avait l’air d’être placé là pour égayer le paysage.

Tous les jardins aimés par l’abbé Delille avaient de jolis tombeaux, indispensables au même degré que «la grotte», la petite rivière et «le pont rustique.»

Elle était bien là cette sépulture modeste, mais élégante et qui semblait toute neuve. Elle faisait rêver doucement et froidement, comme une page de Rousseau, émaillée de mots limpides.

Celui qui dormait ici dans la fraîcheur des gazons, sous l’ombre gracieuse des acacias et des cityses, avait été sans doute un ami passionné de la nature.

Son nom, le nom d’un poète peut-être, était écrit en lettres d’or sur la table de marbre blanc que surmontait un frontispice corinthien.

La distance empêchait de lire, excepté à un certain moment de la soirée où le soleil, tirant une étincelle de chaque lettre, renvoyait vers la fenêtre d’Irène ce nom tracé en caractères de feu.

À gauche de la fenêtre, la vue était bornée par un retour du pavillon percé d’une croisée que nous connaissons bien pour une de celles qui éclairaient le logis du «patron» d’Échalot.

L’autre croisée du cavalier Mora donnait sur le cimetière.

Au-delà de l’aile, en retour, on voyait les pauvres terrains de Charonne, couronnés par les hauteurs de Montreuil.

De face, par les percées du parc funèbre, quelques maisons de Saint-Mandé et le bois de Vincennes se montraient à perte de vue.

À droite, c’était la ville, précédant la vallée de la Seine et où se détachaient la colonne de la Bastille, les bosquets du Jardin des Plantes, le Panthéon et, tout en bas, le noir vaisseau de Notre-Dame de Paris.

C’était très beau et cela contrastait grandement avec le boueux labyrinthe qu’on était obligé de traverser pour arriver de la rue des Partants au pavillon Gaillaud.

Mais il y avait quelque chose de plus beau que le paysage, ardemment doré par le regard du couchant: c’était la jeune fille assise devant son métier, auprès de la fenêtre et mêlant d’un doigt habile les laines éclatantes qui figuraient, sur le velours tendu, les émaux d’un double écusson.

Celle-là, dans sa petite robe de toile, serrée négligemment autour de sa taille adorable, était jolie, mais jolie à mettre dans l’ombre les plus brillantes étoiles de notre firmament parisien.

Je ne sais pas si vous aimez les femmes-affiches qui sautent aux yeux comme les annonces d’un magasin de nouveautés, ou les femmes dont la beauté se lit comme un texte, prolongeant à plaisir le charme de la première vue et découvrant de minute en minute – une à une – à mesure qu’on les détaille, d’innombrables et mystérieuses séductions.

Irène Carpentier était belle à la façon des unes et des autres, mais plutôt encore de la seconde manière. Bien que son aspect attirât invinciblement par l’harmonie des lignes et le charme franc de l’expression, le regard s’obstinait et cherchait encore après avoir trouvé.

C’était une blonde aux cheveux abondants, mais légers, de cette nuance discrète qui ne va pas vers l’or, mais qui jette, sur un fond fauve, des reflets cendrés ou perlés.

Elle était grande, presque longue, et il fallait à l’œil trompé le riche témoignage de sa poitrine aux merveilleux contours pour ne pas favoriser la pensée de faiblesse qui voulait naître dans l’esprit.

Cela tenait à l’aisance exquise de ses mouvements. Son travail rapide semblait paresseux tant elle en éloignait l’effort.

Vous l’eussiez trouvée un peu pâle, malgré les rouges lueurs qui ruisselaient de l’Occident. Cette pâleur, démentie par la juvénile vaillance de ses yeux noirs, tout pétillants d’intelligence et de bonté, allait bien à la délicatesse aquiline de ses traits. Sa bouche était rose comme une fleur. Quand elle s’épanouissait dans le sourire, c’était autour d’elle un rayonnement soudain.

Je ne suis pas un superstitieux de la «race» ce mot étant pris dans le sens que les Anglais applique à l’élève des chevaux; j’ai vu pour cela trop de grandes dames qui, en fait de distinction, cédaient le pas à leurs chambrières.

Et pourtant le mot existe et la chose aussi, par conséquent, puisqu’il n’y a point de fumée sans feu.

Parfois, dans ces longues rues mélancoliques du faubourg Saint-Germain, on aperçoit au fond d’un équipage, haut suspendu, traîné par de grands chevaux, une tête de vierge qui traduit le mot et démontre la chose.

Mais c’est un mode de la beauté, tout uniment, car dix autres carrosses, timbrés de blasons tout aussi gothiques, voiturent des demoiselles insignifiantes ou platement communes.

Irène était la fille d’une ouvrière et d’un maçon.

La race vient de notre mère Ève.

Ce n’était pas riche chez elle, ce n’était pas pauvre non plus, et tout y avait je ne sais quel parfum d’honnête propreté qui allait presque jusqu’à l’élégance.

Le rayon intime et doux de sa jeunesse éclairait les objets qui l’entouraient. À cet égard, on trouve encore des créatures qui sont fées. Tout ce qu’elles touchent participe au lumineux attrait que Dieu répand autour d’elles.