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Et que ces grands mots, rayons, parfums, attraits, ne vous fassent songer à rien de solennel. Irène n’avait pas vingt ans, elle était simple comme sa modeste couchette, entourée de rideaux blancs, et quand la rêverie n’inclinait pas la pureté de son front (car elle rêvait souvent, pourquoi le cacher?) elle avait la pétulante gaieté des enfants espiègles et heureux.

Le métier d’Irène était installé tout auprès de la fenêtre ouverte. Parmi les laines et les soies qui lui servaient de palette pour peindre à l’aiguille, il y avait une lettre décachetée portant le timbre bleu de la province. Les yeux d’Irène rencontraient cette lettre à chaque instant. Cela mettait de la tristesse dans son sourire et il lui arrivait parfois de murmurer:

– Pauvre père! Toujours cette idée qui l’a enterré vivant! Les assassins qui le poursuivent! La mort suspendue sur sa tête…

À en juger par l’adresse de la lettre, le père d’Irène, pour un maçon, avait une fort belle écriture.

Irène était assise, le dos tourné à la ville. Quand elle levait les yeux, ce qui frappait son regard, c’était la colline de Montreuil, coupée par le retour du pavillon.

Ce retour avait une croisée à chaque étage. Celle qui se trouvait de niveau avec la chambre d’Irène gardait ses persiennes fermées.

Les grands yeux d’Irène interrogeaient fréquemment cette croisée.

Elle regardait aussi, mais moins souvent, du côté du cimetière voisin, dont la verdure sonore bruissait au vent du soir.

D’ordinaire, cette partie des bosquets longeant le chemin des Poiriers était déserte et silencieuse.

Irène ne voyait jamais personne visiter la tombe de marbre blanc, ornée d’une inscription en lettres d’or.

C’était pourtant vers cette tombe que son regard allait avec une certaine impatience et comme s’il eût interrogé le cadran d’une horloge marchant trop lentement au gré de son désir.

– Quand l’or des lettres mire le soleil, murmura-t-elle, c’est l’heure où il revient…

Il… qui? Ce n’était certes pas le soleil.

Mais une teinte plus rosée monta aux joues de la jeune fille. Sur le poli des lettres, des étincelles allaient s’allumant.

«C’est singulier, pensa-t-elle encore, on dirait des pas et des voix sous le couvert. Depuis trois jours, j’entends ainsi marcher et parler dans ce lieu qui était toujours solitaire… Que m’importe cela!»

Elle cessa de travailler. Machinalement, sa main s’étendit vers la lettre qu’elle ouvrit pour en parcourir les lignes fines et serrées.

– Reynier! murmura-t-elle, quand son regard rencontra ce nom en parcourant la lettre, et involontairement ses yeux se portèrent au loin, vers les maisons de Saint-Mandé qu’on apercevait dans la lumière poudroyante du soir.

Puis ses paupières se fermèrent à demi sur une larme qui brilla entre ses longs cils.

– Reynier! répéta-t-elle, sans savoir qu’elle parlait, je comptais les mois et les jours autrefois, pendant qu’il était à Rome. Mes grandes joies c’était de lire ses lettres, adressées à mon père, mais où il ne parlait que de moi. Notre cœur est-il donc si loin de nous que nous ne sachions jamais distinguer sa vraie voix?

Dans la lettre, la ligne où était le nom de Reynier disait:

«Tu ne me parles plus de lui jamais, jamais…»

– Et quand il revint de Rome reprit-elle, ce fut la meilleure fête de ma vie. Je le trouvais si mâle et si beau! Et je lisais une tendresse si profonde dans ses yeux! Je voulus apprendre à peindre pour être avec lui plus souvent, et pendant toutes les vacances je fus son élève. Il admirait mes progrès; tout ce que je faisais était bien, et mon père disait: «Il t’aime trop.»

Elle soupira. La lettre continuait:

«Est-ce que tu ne l’aimes plus? ou serait-ce lui? T’aurait-il abandonnée depuis que tu es malheureuse?» Le front d’Irène se pencha sur sa poitrine.

– Lui! fit-elle, tandis que son regard furtif allait encore une fois vers la maison de Saint-Mandé. Oh! j’ai vu de mes yeux, j’en suis bien sûre, et si mon père savait ce que j’ai vu, il ne me condamnerait pas. J’ai vu… mais ai-je cru?

Il y avait à gauche de la fenêtre une petite table supportant des cartons, des godets à couleurs et tout ce qu’il faut pour laver une aquarelle.

Irène se leva. Elle alla vers la table et ouvrit un carton qui contenait plusieurs ébauches, parmi lesquelles était un portrait du patron d’Échalot, le cavalier Mora frappant de ressemblance, mais embelli et rajeuni, parce que, peut-être, le peintre le voyait ainsi, à travers un prestige.

Irène contempla ce portrait avec une émotion douloureuse.

– Celui-là est tout pour moi, murmura-t-elle. Je lui ai avoué que mon père vivait, malgré l’ordre, malgré la prière de mon père. Si je savais le secret de mon père, ce secret dont il parle sans cesse comme de la blessure mortelle qui le tuera, je l’aurais confié peut-être à Julian. Ne m’a-t-il pas dit le sien? N’a-t-il pas confié à moi seule au monde et son vrai nom et ses splendides espérances?

Irène s’arrêta, regardant toujours le portrait, et prononça tout bas:

– Suis-je une ambitieuse? Est-ce pour cela que je l’aime?

Son regard limpide comme celui d’un ange, répondit à cette question qui était un scrupule.

Elle revint à sa place, toute rêveuse. Le portrait fut mis à côté de la lettre.

– Non, fit-elle, ce n’est pas pour cela. Il y a en moi une énigme. Quand mon cœur s’élançait vers Marie-de-Grâce, autrefois, il me semblait qu’elle me regardait avec les yeux de Reynier, et c’est ma tendresse pour Marie-de-Grâce qui m’a poussée vers son frère Julian. Reynier! Julian! tous deux si différents et si semblables! Il y a des moments où, pour moi, ce portrait ressemble à Reynier plus encore qu’à Julian…

Pendant qu’elle parlait, sa main jouait avec les fines soies dont elle se servait pour sa broderie.

Elle avait défait un écheveau de couleur brune, dont elle brouilla les fils en les roulant entre ses doigts.

Cela produisit quelque chose comme ce travail en cheveux que les coiffeurs appellent du «crêpé» et qui sert à faire la fausse barbe des gens de théâtre.

Irène qui souriait d’un air pensif, fit jouer ses ciseaux et coupa ce qu’il fallait de cette soie pour disposer une sorte de barbe autour des joues et sur la lèvre du portrait.

Quand cette besogne d’enfant fut achevée, elle ne souriait plus et son regard, une fois encore, se porta vers les maisons de Saint-Mandé.

Ses sourcils étaient froncés maintenant. Elle pensa tout haut:

– Serait-ce possible! J’en ai eu soupçon… mais non, c’est impossible!

Elle n’en dit pas plus long parce qu’un mouvement qui se fit dans les feuillages ramena son regard à la partie du cimetière située sous sa fenêtre.

Une femme très élégamment vêtue et qu’on devinait belle sous l’épaisse dentelle de son voile, sortit tout à coup des massifs et s’approcha de la tombe isolée.

– Mme la comtesse! murmura Irène avec étonnement.

Elle cacha en même temps sa tête blonde derrière les fleurs de la croisée.

La femme qui venait de se montrer dans le cimetière, Mme la comtesse, puisque tel était son titre, darda vers la fenêtre en retour, dont les persiennes étaient closes, la fenêtre du cavalier Mora, un regard furtif, mais tellement aigu qu’Irène devint toute pâle.