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Elle s’arrêta. Irène était immobile et droite sur son siège.

La lumière de la bougie les éclairait toutes les deux, charmantes au degré suprême, mais si différemment que la fantaisie d’un poète n’eût pu trouver un plus parfait contraste.

La physionomie de la comtesse était, comme sa parole, douce, affectueuse, mais gravement protectrice. Les traits d’Irène exprimaient un respect impatient, et leur jeu muet réclamait énergiquement le mot de l’énigme proposée.

La comtesse dit, comme pour répondre à cette fougue de curiosité, contenue par une discrétion courtoise:

– Irène, je pourrais être votre mère. Il y a vingt ans que je rencontrai Vincent Carpentier pour la première fois, et j’étais déjà une jeune fille de votre âge. Il n’était pas encore marié. Il n’était pas encore maçon. Il avait de belles ambitions et de grands espoirs. Si j’avais su, je vous aurais aimée plus vite, mais j’ai appris hier seulement que vous étiez la fille d’un compagnon de ma jeunesse.

– Mon père a été bien malheureux, prononça tout bas Irène. Il ne m’a jamais confié entièrement le secret de son malheur.

– Il serait plus à plaindre encore, répondit la comtesse également à voix basse, s’il savait que sa fille souffre et ne reconnaît plus son propre cœur; s’il savait qu’elle n’hésite même plus entre le fiancé, ami de ses premières années et un inconnu, un étranger…

– Madame! madame! interrompit Irène, dont la voix tremblait, qui vous a dit cela? Comment pouvez-vous connaître un secret que je n’ai confié à âme qui vive?

La comtesse lui prit les deux mains et l’attira plus près d’elle, en répétant:

– Irène, je pourrais être votre mère… vous ne niez pas! J’espérais pourtant que vous auriez nié. Reynier est un noble et cher cœur. Il ne vous accuse pas. Il cesserait de croire en Dieu avant de perdre la foi qu’il a en vous.

– Je n’oublierai jamais Reynier, dit Irène, j’ai pour lui la tendresse d’une sœur.

La comtesse lâcha la main qu’elle tenait, et prononça tout bas:

– Nous sommes toutes les mêmes, ma fille. C’est avec ce mot-là que nous tuons ceux qui nous ont donné leur âme.

– Reynier vous a-t-il donc fait ses confidences? interrogea Irène avec une nuance d’ironie, qui avait sa source dans l’effort qu’elle faisait pour contenir sa colère.

Au lieu de répondre, la comtesse Marguerite continua:

– Notre roman, à nous autres femmes, varie peu. Les détails changent, le fond reste le même. Nous frappons Reynier avec une impitoyable dureté, parce qu’il nous aime, mais l’autre nous le rend au centuple, parce que…

– Madame, interrompit encore Irène dont les joues étaient couvertes de rougeur.

– Parce que, acheva la comtesse, l’autre ne nous aime pas.

– Lui! s’écria Irène, ne pas m’aimer!

Elle s’arrêta. Un sourire orgueilleux éclata autour de ses lèvres. La comtesse la regardait et souriait aussi, mais avec tristesse.

– Je ne sais pas, dit-elle d’une voix où il y avait de l’affection beaucoup et un peu de pitié, si j’ai jamais vu une jeune fille aussi belle que vous. Vous êtes encore plus belle que je n’étais à votre âge. C’est une chose glorieuse, mais fatale. Nous sommes des proies. Et à votre insu, vous êtes proie deux fois, car, derrière votre beauté, il y a une immense fortune.

XI Le fiacre

Ces deux mots «immense fortune» ne produisirent pas sur Irène l’effet que Mme la comtesse de Clare en avait peut-être attendu.

Le regard de la jeune fille n’interrogea point cette fois et reprit au contraire toute sa tranquillité.

– Mon père est pauvre, dit-elle.

– Vous le croyez, fit Marguerite.

– Fût-il très riche, le cavalier Mora nous croit pauvres, et d’ailleurs a-t-il besoin de la fortune d’autrui?

La comtesse baissa les yeux pour cacher l’éclair de son regard.

– Il a donc fait depuis peu un bien bel héritage? murmura-t-elle.

Irène rougit, mais elle ne répondit pas.

– Vous avez dit: «nous croit pauvres», continua la comtesse Marguerite. Vous avez donc confié au cavalier Mora le secret que vous vouliez me cacher tout à l’heure. Il sait que Vincent Carpentier existe encore?

– Il aime mon père comme il m’aime, prononça tout bas la jeune fille. Il s’intéresse à sa cruelle maladie.

– Et c’est à Paris seulement qu’on trouve des médecins capables d’entreprendre une pareille cure? dit vivement Marguerite. Le cavalier Mora vous a conseillé de faire venir votre père à Paris!

– Il est vrai, fit Irène dont le cœur était serré malgré elle.

Elle ajouta en faisant appel à tout son courage:

– N’est-ce pas tout simple dans la position où nous sommes?

– En effet, répliqua la comtesse d’un ton sec et dur dans la position où vous êtes, c’est tout simple.

– Madame, dit Irène en se redressant, je suis sûre que vous n’êtes pas venue chez moi pour m’insulter!

La comtesse Marguerite eut un singulier sourire et repartit:

– Vous avez raison, mon enfant, c’est presque vous outrager que de répéter vos propres paroles.

– Avez-vous quelque chose à me dire contre le cavalier Mora? s’écria Irène. Parlez! Rien ne me surprendra. Je sais qu’il est entouré d’ennemis cruels qui ne reculent pas devant la calomnie.

La comtesse garda un instant le silence, puis répondit d’un ton dégagé:

– Non, je n’ai rien à dire contre le cavalier Mora. Je vous répète, mon enfant, que j’ai besoin de votre chambre. Je suis venue pour cela.

Irène répliqua:

– La première fois que vous me l’avez dit, j’ai cru avoir mal entendu. Il m’est difficile de comprendre comment Mme la comtesse de Clare…

Elle s’interrompit parce que Marguerite lui tendit la main en disant:

– N’essayez pas de feindre une défiance qui n’est pas en vous, ma fille. Vous êtes irritée contre moi, vous voudriez vous venger par un soupçon, mais le soupçon refuse de naître.

C’était rigoureusement vrai. Irène avait pensé au premier moment que Mme la comtesse de Clare était là peut-être pour le cavalier Mora lui-même, mais cette idée n’avait pas tenu, tout uniment parce que la volonté de Marguerite était qu’elle ne tînt pas.

On eût dit qu’il y avait en cette femme un invincible don. Son regard était un talisman qui persuadait mieux que l’éloquence elle-même.

Elle consulta la petite montre d’un travail exquis mais très simple, qui était passée dans sa ceinture.

– Pas encore neuf heures, dit-elle, nous avons du temps devant nous. C’est pour la nuit seulement que je viens vous demander votre logis…