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– Mais moi, madame, interrompit la jeune fille, tout naïvement, cette fois, où irais-je si je sortais d’ici?

La comtesse Marguerite avait repris son air d’affectueuse protection. Au lieu de répondre elle demanda:

– Vous causerais-je du chagrin ou de la joie en vous disant que M. Reynier est à Paris?

– Je ne savais pas que Reynier eût quitté Paris, répondit Irène.

– Ah! fit Marguerite avec étonnement. Et vous ne cherchiez même pas à savoir pourquoi il ne se présentait plus chez vous?

– La dernière fois que Reynier s’est présenté chez moi, il avait été convenu entre nous que sa visite ne se renouvellerait pas.

Comme Marguerite l’interrogeait d’un regard de plus en plus surpris, elle ajouta:

– Reynier avait une autre liaison, madame.

Cette fois la comtesse fronça le sourcil et baissa la voix pour dire:

– Reynier ne vous a jamais accusée d’avoir tendu le piège où il a failli perdre la liberté et la vie, mademoiselle!

Les yeux d’Irène s’ouvrirent tout grands. Elle répéta comme quelqu’un qui ne comprend pas:

– La liberté… la vie!

– Pouvez-vous donc ignorer ce qui s’est passé ici même! s’écria Marguerite.

Irène détourna les yeux d’elle, et dit comme si ces paroles lui eussent coûté un douloureux effort:

– Oui, madame, je l’ignore… et je voudrais le savoir… maintenant.

Elle ajouta parce que la comtesse, incrédule, hésitait:

– On m’a dit seulement qu’il était venu, un jour que j’étais bien malade, et que… et que les voisins m’avaient protégée.

– Vous! contre lui! contre Reynier! et vous l’avez cru?

– Non… ou du moins, il y avait là quelque chose d’incompréhensible pour moi. J’ai souvent interrogé…

– Qui?

– Tous ceux qui pouvaient savoir.

– Le cavalier Mora, surtout?

– Oui… le cavalier Mora, comme les autres.

– Et c’est lui qui a accusé Reynier?

– Jamais, madame. C’est lui plutôt qui a fait le silence autour de moi. Le cavalier Mora est un bon, un noble cœur.

Elles étaient pâles toutes deux, et entre elles une sourde colère couvait. Mais au fond du courroux d’Irène il y avait de la terreur. Elle sentait que sur sa tête un secret funeste était suspendu.

– Je n’étais pas venue pour cela, dit la comtesse Marguerite après un silence, mais je vais vous apprendre ce que vous désirez savoir. Dans votre dernière entrevue, Reynier vous avait dit: «je reviendrai une fois encore pour vous remettre les papiers de notre père.» Est-ce vrai?

– C’est vrai.

– Reynier revint comme il l’avait promis. Il vous trouva évanouie.

– Ce doit être vrai, car je ne le vis pas.

– Il ne remporta pas les papiers de votre père. Les avez-vous?

– Non.

– Votre père n’est pas fou, ma fille, prononça la comtesse avec énergie. Votre père mourra assassiné!

– Pourquoi me dites-vous cela, madame? balbutia Irène prête à se trouver mal, tant l’épouvante lui étreignait fortement le cœur.

– Parce qu’un autre a les papiers, parce que ces papiers prouvent ou du moins laissent voir que votre père possède un secret mortel…

– Le trésor!

Ce mot s’échappa comme une plainte des lèvres de la jeune fille.

Elle ne vit pas l’éclair qui s’alluma dans les yeux de Mme la comtesse de Clare.

Celle-ci laissa passer le mot sans le relever, et prenant l’accent qui convient à l’exposé d’un fait, elle raconta brièvement et clairement la scène étrange que nous connaissons déjà par le récit d’Échalot.

Irène l’écoutait, plongée dans une stupéfaction profonde.

Quand la comtesse parla du poignard qu’on avait trouvé sur le plancher aux pieds de Reynier terrassé, maintenu par les deux inconnus, aidés de vingt badauds, et des pistolets chargés qui sortaient des poches de son pantalon, le rouge monta aux joues d’Irène.

La comtesse n’avait pas prononcé une seule fois le nom du cavalier Mora.

Elle arriva à l’arrestation de Reynier.

– C’était donc là leur but! s’écria Irène désolée; ils voulaient le traîner devant les tribunaux!…

– Non interrompit Marguerite, les tribunaux n’auraient rien valu puisque vous auriez témoigné. Les gens qui ont joué cette comédie infâme ne voulaient pas aller jusqu’au palais de justice. Attendez, vous allez voir; il y avait la route à faire: la route entre la maison où nous sommes et le palais.

«On avait mis Reynier dans un fiacre, entre deux agents qui avaient eu peine à le protéger contre les gens du voisinage.

«Le pauvre jeune homme était paralysé par la stupeur.

«Tout ce qui lui arrivait depuis la querelle incompréhensible que vous lui aviez faite la veille, était pour lui un rêve douloureux plein de surprises navrantes.

«C’est lui-même qui m’a raconté tout cela.

«Le fiacre descendit à Paris par la rue de la Roquette; la nuit tombait quand il traversa la place de la Bastille. Les agents étaient des gaillards solides.

«Comme Reynier n’avait plus d’armes, on lui avait retiré ses liens.

«Vous verrez que ce n’était pas par miséricorde.

«Dans la rue Saint-Antoine, un des agents fut pris de secousses brusques qui ressemblaient à des convulsions.

«- Tonnerre! dit son camarade, nous voilà bien! Il faut mettre les menottes au prisonnier, et vite, car si tu as ta crise, il aurait beau jeu contre nous!… Voyons! Malou! Malou! Malou! tiens-toi bien!

«Malou ne répondit pas. Sa bouche grimaçait, ses yeux roulaient dans leurs orbites, et ses deux mains crispées essayaient de s’accrocher au coussin.

«L’autre agent sortit des cordes de sa poche et se précipita sur Reynier pour lui lier les poignets.

«Reynier ne fit aucune résistance; mais l’agent n’eut pas le temps d’accomplir sa besogne.

«Malou, qui avait fait effort pour se lever, retomba comme une masse, et presque aussitôt après, se débattit en proie à une furieuse attaque d’épilepsie.

«L’agent lâcha Reynier pour revenir à son camarade.

«Il disait:

«- Malou! Malou! tiens-toi bien! Tu pourras gigoter tant que tu voudras quand nous serons à la préfecture. Que diable! on ne reste pas au service quand on a des infirmités comme ça! Heureusement que le prisonnier est bien tranquille…

«Le prisonnier était plus que tranquille. Jusqu’alors sa pensée avait sommeillé lourdement. Il était comme mort.

«Mais ces paroles l’éveillèrent à demi.

«Il faut que vous compreniez: elles étaient prononcées dans le but de l’éveiller.

«La comédie continuait. Le guet-apens marchait en même temps que le fiacre.

«Malou et son camarade étaient des acteurs.

«Reynier fit un effort pour voir clair dans la nuit de sa cervelle. Il n’y trouva qu’une pensée: le désir passionné de vous rejoindre pour combattre l’odieuse, l’absurde accusation qui l’écrasait.