Выбрать главу

«Et il se défendit vaillamment, et il attaqua héroïquement, parce qu’il songeait à vous.

«Son poing fermé tomba comme un marteau de forge sur la tête de Malou, au moment où celui-ci reparaissait à la surface pour chercher une lampée d’air.

«L’autre bandit, saisi à la gorge, eut beau appeler son camarade à son aide et frapper encore et frapper toujours, ses coups ne portaient plus.

«Il glissa bientôt, étranglé, au fond de la rivière.

Et Reynier, vainqueur, mais épuisé, surnageant par un reste d’instinct, mais emporté par le courant, comme une épave, vint aborder à l’escalier qui est sur la rive droite, devant le promenoir de Chaillot, où son dernier cri arriva par hasard jusqu’à l’oreille d’un passant.

«À quelques pas de là, dans la rue des Batailles, se trouve la maison de santé du savant médecin aliéniste, le Dr Samuel. Ce fut là que Reynier reçut les soins qui le rappelèrent à la vie…

La comtesse Marguerite se tut. Irène, blanche comme une statue d’albâtre, gardait cette apparence immobile et froide qui est si souvent le symptôme de l’émotion poussée jusqu’au paroxysme.

– Et c’est dans cette maison que se trouve aujourd’hui Reynier? demanda-t-elle après un silence.

– Non, répondit Marguerite, il l’a quittée.

– Pour aller où?

– Chez moi, au château de Clare, où s’est prolongée sa pénible et dangereuse convalescence. Le couteau de Malou avait touché le poumon.

– Vous disiez, reprit Irène, qu’il était maintenant à Paris.

– Je disais vrai.

– Où puis-je lui écrire… ou l’aller trouver?

– Encore chez moi, à l’hôtel de Clare.

XIII La puissance de Marguerite

Au-dehors, tout était silencieux. Le chemin des Poiriers, plus solitaire encore qu’aujourd’hui, sonnait bien rarement alors sous le pied d’un passant, une fois la nuit tombée, et pour erre, dans le cimetière dont toutes les issues étaient fermées depuis longtemps, il ne pouvait y avoir que les chiens de garde – ou peut-être quelques fantômes, bravant le discrédit auquel les philosophes ont réduit leur métier.

Les bonnes gens de Charonne, sceptiques sur beaucoup de points, conservent pourtant de vagues appréhensions touchant «le haut du cimetière», cette partie d’où la vue est si belle et qui confine aux cultures.

On y entend des bruits. Un jour que j’avais été visiter la tombe alors toute neuve de mon ami et maître, Frédéric Soulié – c’était vers la fin de 1847 – en prolongeant ma promenade dans la bizarre campagne qui confine au mur du nord-est, j’eus des renseignements très vagues, il est vrai, sur les spectres du Père-Lachaise.

Ils me furent donnés par une blonde petite fille de dix ans qui gardait une chèvre blanche dans un verger condamné, où déjà des tas de pierres s’amoncelaient pour la bâtisse prochaine.

La brume tombait. L’enfant me demanda l’heure, puis elle détacha brusquement sa chèvre en disant:

– Les marins vont venir.

Je ne garantis pas l’orthographe du mot marin. À mes questions sur ce qu’elle entendait par «les marins» la petite fille répondit:

– Est-ce que je sais, moi? Ils viennent muser tout le long du mur. Muser veut dire regarder par une fenêtre, s’accouder sur un balcon.

– Sont-ils beaucoup? demandai-je.

– Des tas.

– Et que font-ils?

– Puisque je vous dis qu’ils musent.

À ce qu’il semble, ce ne sont des revenants ni très hardis ni très nuisibles. On ne voit que leurs têtes décharnées, fixant des yeux sans regards sur les terrains libres qui sont en dehors de leur prison.

Ma petite fille n’en savait pas davantage.

En l’année où se passe notre histoire, on avait renforcé la garde canine qui rôde en patrouille dans les allées désertes des cimetières parisiens, mais ce n’était ni pour les marins, ni pour les fantômes.

Un fait inouï avait eu lieu qui laissa dans Paris une longue impression d’horreur. Ceux qui sont assez malheureux pour dater de si loin n’ont pas oublié ce monstre, probablement seul de son espèce: l’amoureux des mortes, le sergent Bertrand, dont la hideuse passion violait les sépultures.

Quoique ce sinistre don Juan fréquentât surtout le cimetière Montparnasse, on avait pris des précautions dans tous les autres champs de repos. Un instant les dogues furent en hausse.

Paris qui aime tant à frémir s’éveillait chaque matin, espérant que le sergent vampire aurait fait école.

Mais le pauvre diable mourut enragé, dit-on, emportant avec lui le germe de son épouvantable manie.

Irène et la comtesse Marguerite étaient assises tout près l’une de l’autre. La jeune fille avait les yeux baissés.

On aurait pu la croire très calme sans la pâleur de ses joues et la ligne de bistre qui estompait le dessous de ses paupières.

La comtesse qui ne parlait plus, semblait absorbée dans ses réflexions.

Elle se leva pour écarter la mousseline qui tombait au-devant des carreaux et jeter un regard au-dehors.

La lune était sous un grand nuage qui mettait tout dans l’ombre. C’est à peine si on apercevait vaguement les profils des massifs dans le cimetière du Père-Lachaise.

Seule, la tombe du colonel apparaissait, blanche sur ce fond noir.

Ce n’était pas cela que la comtesse Marguerite voulait voir. Sans tourner la tête, elle darda son regard aigu vers le retour du pavillon Gaillaud où était la fenêtre du cavalier Mora.

Rien ne brillait derrière les persiennes fermées.

– Madame, dit Irène, quand vous êtes entrée chez moi, vous m’avez annoncé que vous me parleriez de mon père.

Rien ne brillait, avons-nous dit. C’est exactement vrai, mais les interstices qui séparaient les tablettes des persiennes, à la croisée du cavalier Mora, n’avaient pas non plus ce noir mat qui dénonce l’absence de toute lumière à l’intérieur.

C’était comme si on eût rabattu d’épais rideaux au-devant de la fenêtre pour faire le sombre.

Marguerite revint vers Irène et répondit:

– Je n’ai pas oublié ma promesse, mais j’attendais, je l’avoue, quelque bonne parole de vous au sujet de Reynier.

– Pour parler il faut penser, murmura Irène.

– Peut-être n’ajoutez-vous pas foi à mon récit, dit la comtesse en se rasseyant.

– Si fait, madame, répliqua Irène, car j’ai le cœur serré. Mais il y a derrière votre récit des choses que je ne connais pas. Vous avez blessé en moi une affection profonde. Vous ne l’avez pas tuée. Je doute…

Elle hésita avant d’ajouter:

– Et cela me donne un remords. Je me reproche mes soupçons.

– Vous êtes une noble créature, dit la comtesse qui lui prit les mains. Je ne me dissimulais pas les difficultés de ma tâche auprès de vous. Peut-être aurais-je dû débuter autrement. Il y a en effet autour de vous un mystère que vous ignorez. Suis-je beaucoup plus savante que vous? C’est une question à laquelle nous répondrons mieux au terme de notre entrevue. Car il me reste bien des choses à vous dire. Voulez-vous que nous procédions par ordre? Dès le point de départ j’aurais dû vous expliquer pourquoi je me suis permis, sans droit aucun, de jeter un regard sur votre vie; car c’est à cause de vous, uniquement à cause de vous, que je me suis occupée de votre père et aussi de votre fiancé, quoique je les connusse tous les deux avant de vous avoir jamais vue.