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– Larsonneur! solide!… kikirrriki… ah! mais oui! solide! kuick!

– J’en étais là, poursuivit M. Buin en revenant à Clotilde, je disais justement que les journaux allaient faire grande vente ce soir, quand je vous ai montré la fenêtre du condamné, mais je n’avais pas encore expliqué pourquoi. Voici l’explication… Mais vous êtes bien jeune pour avoir entendu parler des Habits Noirs, vous, ma fille?

– Ah! qu’ils m’ont fait trembler, ceux-là! s’écria Clotilde, quand j’étais petite! Il y avait une histoire: un mendiant qui abordait un grand seigneur, et qui lui touchait le dedans de la main en disant: «Fera-t-il jour demain?…»

– Le fameux Fera-t-il jour demain? s’écria M. Buin.

– Et alors, continua Clotilde, le grand seigneur répondait: «Oui, si c’est la volonté du Père, à minuit comme à midi.» Et le grand seigneur descendait de son équipage pour suivre le mendiant… Je ne sais plus où par exemple… dans un endroit où il n’y avait qu’un fauteuil pour s’asseoir. Le mendiant y prenait place, le grand seigneur restait debout, disant: «Que voulez-vous de moi, maître?» Ce que le mendiant voulait, c’était la mort d’une femme, et cette femme, le grand seigneur l’aimait justement d’amour… Et il fallait obéir!

– Des bêtises! grommela Jaffret. Adèle et Comayrol jouaient en silence.

– Vous, mon bon ami, dit le directeur, vous n’avez jamais cru aux Habits Noirs, mais voilà! il y a un million de Parisiens qui ne sont pas de votre avis, et le ministère public a laissé entendre que la bande Cadet n’était qu’une section de cette grande armée du mal qui a effrayé tour à tour les capitales de l’Europe!

– Des bêtises! répéta Jaffret: ça inquiète le commerce ces choses-là!

– Moi, je crois aux Habits Noirs, dit Comayrol, qui était pâle.

– Parbleu! appuya Mme Jaffret, dont les vieilles mains, rudes comme celles d’un homme, tremblaient un peu en remuant les dominos.

En ce moment, une psalmodie criarde monta du dehors; des marchands de «canards», qui débouchaient par la rue Saint-Antoine, s’engageaient entre la prison et les démolitions, criant à pleines voix enrouées:

– Achetez ce qui vient de paraître: Horrible assassinat du cinq janvier, rue de la Victoire; cinq accusés, deux victimes! La bande Cadet, renaissance des Habits Noirs; condamnation de Clément, dit le Manchot; tous les détails, avec portraits d’après nature, un sou!

– Théodore, commanda Mme Jaffret à son mari, allez m’acheter cela.

Jaffret n’eut même pas le temps de se lever. La porte s’ouvrit, et maître Souëf (Isid.), successeur de son père, passa le seuil tenant sous le bras sa serviette de notaire, une des plus respectables qui fût à Paris. Il était propre, agréable à voir, et tout confit en solennelle aménité. Dans sa main gauche, il agitait un chiffon de papier mal imprimé.

– Ne vous dérangez pas, dit-il, voilà le texte et les gravures: le portrait de Clément-le-Manchot et le portrait du papa Cadet, le vrai chef de la bande.

– Il est mort celui-là, dit Adèle en riant bruyamment.

– Non pas, répliqua maître Souëf. C’est imprimé là-dedans: il a pris du service dans les Habits Noirs et se promène à travers Paris, déguisé en vieille comtesse. Est-ce comique? Moi, je le trouve, et je m’y connais!

V Rideaux verts

Bien des gens doivent voir encore, par le souvenir, la prison de la Force, telle qu’elle apparut un jour aux regards des Parisiens, quand on éventra l’îlot situé entre les rues Pavée et Culture-Sainte-Catherine, dans la rue Saint-Antoine, vis-à-vis de Saint-Paul. Personne, excepté les repris de justice, ne connaissait bien cet étrange paquet de constructions, formé par les hôtels de la Force et de Brienne, auxquels les besoins administratifs avaient ajouté tant de rallonges. C’était énorme; c’était surtout aménagé en dépit de tout bon sens architectural. Un profane, perdu dans cet espace de cinq cents toises carrées, y aurait pu faire deux lieues sans jamais trouver ce qu’il cherchait.

Pendant les réparations de la cour du Palais de Justice, les deux corps de logis encadrant, à l’ouest et au sud, le préau dit la cour de la Dette, remplacèrent un instant la Conciergerie et servirent de prison préventive aux accusés traduits devant le jury. Il y avait là de fort sombres cabanons; il y avait aussi aux étages supérieurs, des cellules assez bien aérées, objet d’envie pour les malheureux hôtes des cachots.

Une surtout, la «chambre sans corbeille», autrement dite la «chambre au baron», jouissait d’une réputation légendaire.

Au beau milieu de cet enfer de la Force, cette chambre était le paradis.

Nous l’avons aperçue déjà du salon Jaffret, à travers la jumelle de mademoiselle Clotilde: c’était celle dont la fenêtre, par une exception unique, était ornée de rideaux verts, et, certes, il fallait que cet officier supérieur de la bande Cadet, Pierre Tardenois ou Clément-le-Manchot, comme il vous plaira de l’appeler, eût des protecteurs d’une certaine importance pour avoir obtenu semblable faveur.

L’absence de corbeille (on nomme ainsi l’auvent renversé qui empêche les prisonniers de communiquer avec le dehors) s’expliquait par la position exceptionnelle de la fenêtre, masquée de partout, excepté dans une ligne étroite que les démolitions avaient ouverte, juste en face du petit salon des Jaffret; mais les rideaux, cela pouvait passer pour un luxe insolent!

C’était une cellule étroite, mais profonde, qui avait bien cinq mètres sur deux; on pouvait presque s’y promener, et, par une coulée que le hasard laissait entre les maisons, la vue, bornée partout, pouvait s’échapper jusqu’à l’horizon, pour contempler un coin large comme la main des hauteurs de Villejuif, une véritable fente par où la pensée fuyait, rêvant la campagne ouverte, les arbres et la liberté.

L’ameublement ne pouvait point passer pour somptueux, assurément; mais en le comparant à celui des autres cellules, vous l’auriez trouvé presque confortable. Il y avait une couchette bien garnie, une table, une petite commode et un fauteuil, un vrai fauteuil, dans lequel le prisonnier entendit, en même temps que les Jaffret, les vendeurs de canards tournant l’angle de la rue Saint-Antoine.

Avez-vous remarqué que c’est là une industrie morte? Depuis la guerre, je crois être bien sûr de n’avoir plus jamais entendu ces pauvres gens qui criaient avec un zèle de sauvage: «Voilà ce qui vient de paraître.»

Les renseignements que M. le directeur nous a donnés sur le prisonnier étaient exacts, quant à son âge et à l’infirmité qui ne lui laissait qu’un bras; mais, dans ce signalement, un mot dépassait peut-être le but: Clément n’était pas laid, malgré l’énorme cicatrice qui brisait la régularité de ses traits, malgré les cheveux incultes et la barbe épaisse qui couvraient les trois quarts de son visage. C’était une tête énergique, toujours pensive, souvent railleuse, et que parfois le sourire éclairait de douceurs inattendues. Il n’agissait qu’avec sa main gauche, dont il faisait tout ce qu’il voulait; son bras droit, ou du moins ce qui en restait, rentrait sous sa jaquette, dont la manche droite était vide.

De corps, il était bien fait, grand, et semblait remarquablement agile. Dans sa chambre, il marchait beaucoup et faisait même de la gymnastique, au dire des surveillants du couloir. Le reste du temps, il lisait ou écrivait. On lui apportait les journaux et des livres. Le directeur lui-même pensait bien que toutes ses lettres ne passaient pas par les bureaux.