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Georges se leva aussitôt, disant:

– Vous voyez bien, madame, je ne m’appartiens pas. La belle veuve lui tendit la main et prononça tout bas:

– Georges, vous n’irez pas seul. Il demanda:

– Qui donc m’accompagnera, ma mère?

– Moi… J’y suis déterminée, je le veux!

– Est-ce le docteur qui a réglé cela ainsi?

– Non, mais je sais, je sens que c’est mon devoir.

– Madame la duchesse, dit Georges, je suis ici le fils aîné, le chef de la famille par conséquent. S’il fallait exprimer ma volonté, je le ferais. Mon désir est d’aller seul.

Elle l’attira sur son cœur, et dit:

– Cher, cher enfant! comment me sera-t-il possible de m’acquitter jamais envers vous!

Georges devint très pâle et baissa les yeux à son tour.

– Madame, dit-il avec effort, ceci n’est pas bien parler: vous ne me devez rien, et moi, je vous dois tout.

Tardenois rentrait en ce moment, Georges lui fit signe de le suivre, salua respectueusement celle qu’il appelait sa mère et sortit.

Mme de Souzay laissa tomber sa tête entre ses mains.

À peine la porte par où Georges avait disparu s’était-elle refermée, qu’une autre porte s’ouvrit, donnant passage à une tête de jeune homme souffrante et amaigrie.

Celui-là était Albert, le secrétaire, dont nous avons déjà tant parlé. Il promena son regard tout autour de la chambre, et voyant que Mme de Souzay était seule, il entra.

D’un pas lent, qui était muet sur le tapis, il vint jusqu’à elle et, tout essoufflé des quelques pas qu’il venait de faire, il s’assit à ses pieds.

– Mère! ô mère! dit-elle, tu ne penses qu’à moi, et c’est lui qui va risquer sa vie!

Elle lui jeta ses deux bras autour du cou, et ses larmes jaillirent en abondance, bien différentes de celles qui coulaient de ses yeux naguère en présence de Georges.

– C’est vrai, dit-elle, c’est trop vrai! et Dieu me punira; jamais je n’ai pensé qu’à toi!

Elle sourit, parce que les baisers d’Albert essuyaient ses pleurs.

– Pourquoi, demanda-t-il doucement, ne veux-tu pas au moins que je l’embrasse? Il le souhaitait, mère, et je l’aime bien.

Elle prit du temps avant de répondre. Les sanglots étranglaient sa voix.

– Je ne peux pas vous voir ensemble, balbutia-t-elle à la fin, en le pressant passionnément contre sa poitrine. Albert, mon pauvre enfant, il est ce que tu étais il y a un an, plein de vie, d’audace, de force, et toi…

– Et moi, je me meurs, interrompit Albert. Ah! tu ne sais pas, tu ne sais pas à quel point il est plus heureux que moi, et de quel prix je payerais le danger qu’il va courir!

XII La main gantée

Les événements de cette soirée avaient marché très vite, il n’était pas encore neuf heures du soir quand la voiture attelée vint attendre Georges au bas du perron.

– J’aurais parié un franc qu’il allait sortir dès ce soir, s’écria Mme Mayer, quand le cheval battit du pied le sable de l’allée. En voilà un qui ne perd pas de temps à embrasser sa maman! Moi j’aime ces garçons-là qui vont dépenser dehors le sang qu’ils ont de trop dans les veines: ça fait rouler l’argent et l’amour!

Elle entrouvrit la porte de l’office pour guetter le départ de son jeune maître, mais elle eut le temps de s’impatienter: la toilette de Georges était loin d’être achevée.

Au moment où Mme Mayer commençait sa faction, notre échappé de la Force venait de se mettre entre les mains de Tardenois. Ce n’était pas pour que ce dernier remplît à proprement parler les fonctions ordinaires d’un valet de chambre, car Georges avait abattu lui-même toute sa barbe en un tour de main, ne gardant que sa fine moustache coquettement retroussée; il s’était ensuite rasé de près et coiffé avec la même prestesse, après quoi, il avait fait disparaître les derniers et imperceptibles vestiges de la cicatrice.

Il n’avait pas menti tout à l’heure en disant que le bras qui lui restait était bon.

C’était une chambre élégante, mais sans luxe. On y voyait le portrait de Mme de Souzay, celui d’Albert et une troisième toile, représentant un homme jeune et beau, portant le costume d’officier général.

– Je suis sûr que tu venais ici quelquefois pendant mon absence, Jean, dit Georges qui achevait de disposer sa coiffure.

– J’y venais souvent, répondit le vieillard.

– Et Albert?

– Il y est venu une fois, et Mme la duchesse l’a grondé.

– Pourquoi?

– Elle a eu raison: il est sorti d’ici plus malade. M. le duc a bon cœur.

– Aide-moi, maintenant, dit Georges, et faisons vite!… Oui, certes, il a bon cœur. J’en suis sûr.

Tardenois avait disposé d’avance les diverses pièces d’un costume habillé. Auprès de lui, sur un guéridon était une boîte assez grande et de forme oblongue qui fermait à clef.

Il l’ouvrit.

Elle contenait une main gantée qui sortait d’une manche de chemise, munie de sa manchette: le tout n’avait pas tout à fait la longueur d’un avant-bras ordinaire.

Georges était maintenant complètement dépouillé du côté droit; il se tenait près de son lit dont le rideau, ramené à dessein, tombait au-devant de son épaule. C’était, en vérité, une noble créature. Sa poitrine, son cou, celui de ses bras qui se pouvait voir, tout avait une beauté sculpturale.

Tardenois prit dans la boîte l’objet que nous avons décrit, et qui rendit un bruit métallique. Les doigts de la main gantée pendirent. À l’autre bout de l’avant-bras factice, il y avait des ferrures et des courroies. Tardenois dit:

– Le docteur l’a encore perfectionné, vous allez voir. Il dit que c’est un chef-d’œuvre.

Ses deux mains disparurent avec l’objet sous le rideau pendant que lui-même passait derrière son jeune maître, qui pâlit au bout d’un instant, et appuya fortement son mouchoir sur sa bouche pour étouffer un cri.

On entendit encore ce grincement de métal.

– Dites si je vous blesse! fit Tardenois, dont la voix tremblait.

– Plus maintenant, c’est fini, répliqua Georges, aux joues de qui les couleurs remontaient.

Le vieux valet resta une minute encore derrière le rideau, et cria presque gaiement:

– Fait!

En même temps, il passa par-dessus la tête de Georges une fine chemise de batiste, et rejeta le rideau. La glace de la toilette qui faisait face renvoya un torse d’Apollon en déshabillé.

Georges se mit à rire.

– Je n’étais plus habitué, murmura-t-il, j’ai cru que j’allais pleurer comme un petit enfant. Dépêchons.

Les doigts de la main gantée ne pendaient plus et semblaient vivre.

– Tâtez un peu voir, fit Tardenois, en bouclant le pantalon sur la chemise bien tirée.

La main gauche de Georges toucha sa droite, et il eut comme un mouvement de frayeur.

– Elle n’est plus en fer! murmura-t-il.

– C’est pour si quelqu’un vous donnait une poignée de main, malgré vous, repartit Tardenois. Vous l’avez dit: le docteur est sorcier; c’est une main vivante.