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Mais tous les deux autour des flammes De l’âtre en or du souvenir, Mais tous les deux blottissons-nous, Les mains au feu et les genoux.
Contre les deuils à craindre ou à venir, Contre le temps qui fixe à toute ardeur sa fin, Contre notre terreur, contre nous-mêmes, enfin, Blottissons-nous, près du foyer, Que la mémoire en nous fait flamboyer.
Et si l’automne obère À grands pans d’ombre et d’orages plânants, Les bois, les pelouses et les étangs, Que sa douleur du moins n’altère L’intérieur jardin tranquillisé, Où s’unissent, dans la lumière, Les pas égaux de nos pensées.
Le don du corps, lorsque l’âme est donnée N’est rien que l’aboutissement De deux tendresses entraînées L’une vers l’autre, éperdûment.
Tu n’es heureuse de ta chair Si simple, en sa beauté natale, Que pour, avec ferveur, m’en faire L’offre complète et l’aumône totale.
Et je me donne à toi, ne sachant rien Sinon que je m’exalte à te connaître, Toujours meilleure et plus pure peut-être Depuis que ton doux corps offrit sa fête au mien.
L’amour, oh! qu’il nous soit la clairvoyance Unique, et l’unique raison du cœur, À nous, dont le plus fol bonheur Est d’être fous de confiance.
Fût-il en nous une seule tendresse, Une pensée, une joie, une promesse, Qui n’allât, d’elle-même, au devant de nos pas?
Fût-il une prière en secret entendue, Dont nous n’ayons serré les mains tendues Avec douceur, sur notre sein?
Fût-il un seul appel, un seul dessein, Un vœu tranquille ou violent Dont nous n’ayons épanoui l’élan?
Et, nous aimant ainsi, Nos cœurs s’en sont allés, tels des apôtres, Vers les doux cœurs timides et transis Des autres: Ils les ont conviés, par la pensée, À se sentir aux nôtres fiancés, À proclamer l’amour avec des ardeurs franches, Comme un peuple de fleurs aime la même branche Qui le suspend et le baigne dans le soleil; Et notre âme, comme agrandie, en cet éveil, S’est mise à célébrer tout ce qui aime, Magnifiant l’amour pour l’amour même, Et à chérir, divinement, d’un désir fou, Le monde entier qui se résume en nous.
Le beau jardin fleuri de flammes Qui nous semblait le double ou le miroir, Du jardin clair que nous portions dans l’âme, Se cristallise en gel et or, ce soir.
Un grand silence blanc est descendu s’asseoir Là-bas, aux horizons de marbre, Vers où s’en vont, par défilés, les arbres Avec leur ombre immense et bleue Et régulière, à côté d’eux.
Aucun souffle de vent, aucune haleine. Les grands voiles du froid, Se déplient seuls, de plaine en plaine, Sur des marais d’argent ou des routes en croix.
Les étoiles paraissent vivre. Comme l’acier, brille le givre, À travers l’air translucide et glacé. De clairs métaux pulvérisés À l’infini, semblent neiger De la pâleur d’une lune de cuivre. Tout est scintillement dans l’immobilité.
Et c’est l’heure divine, où l’esprit est hanté Par ces mille regards que projette sur terre, Vers les hasards de l’humaine misère, La bonne et pure et inchangeable éternité
S’il arrive jamais Que nous soyons, sans le savoir, Souffrance ou peine ou désespoir, L’un pour l’autre; s’il se faisait Que la fatigue ou le banal plaisir Détendissent en nous l’arc d’or du haut désir; Si le cristal de la pure pensée De notre amour doit se briser,
Si malgré tout, je me sentais Vaincu pour n’avoir pas été Assez en proie à la divine immensité De la bonté; Alors, oh! serrons-nous comme deux fous sublimes Qui sous les cieux cassés, se cramponnent aux cimes Quand même. – Et d’un unique essor L’âme en soleil, s’exaltent dans la mort.

(1896)