— Ça te plaît, la douleur ? demanda Lisbeth Salander.
Sa voix était rêche comme du papier de verre. Tant que Mikael vivrait, il n'oublierait jamais son visage quand elle passa à l'attaque. Elle montra les dents comme un fauve. Ses yeux étaient noirs et brillants. Elle se déplaçait aussi vite qu'une araignée et semblait entièrement concentrée sur sa proie quand elle balança le club de golf et toucha Martin Vanger droit dans les côtes.
Il trébucha sur la chaise et s'étala. Le pistolet tomba par terre devant les pieds de Lisbeth. Du pied, elle le poussa hors d'atteinte.
Puis elle frappa une troisième fois, juste quand Martin Vanger essayait de se relever. Un claquement indiqua qu'elle l'avait touché à la hanche. Un son épouvantable monta de la gorge de Martin Vanger. Le quatrième coup le toucha par-derrière, sur l'omoplate.
— Lis... errth..., croassa Mikael. Il était en train de perdre connaissance et la douleur dans ses tempes était quasi insupportable.
Elle se tourna vers lui et vit que son visage était rouge tomate, que ses yeux étaient écarquillés d'épouvante et que sa langue était en train de sortir de sa bouche.
Elle jeta un rapide coup d'œil autour d'elle dans la pièce et vit le couteau par terre. Ensuite elle regarda brièvement Martin Vanger qui s'était mis à genoux et qui essayait de s'éloigner d'elle, un bras pendant mollement. Il ne constituerait pas un très gros problème pendant les secondes à venir. Elle lâcha le club de golf et ramassa le couteau. Si le bout était acéré, le tranchant était émoussé. Elle se mit sur la pointe des pieds et essaya fébrilement de couper la courroie. Il fallut plusieurs secondes avant que Mikael puisse enfin s'affaisser par terre. Mais le nœud coulant était bloqué autour de son cou.
LISBETH SALANDER JETA encore un regard sur Martin Vanger. Il avait réussi à se mettre debout, mais se tenait plié en deux. Elle l'ignora et chercha à introduire ses doigts entre le lacet et le cou de Mikael. Au début elle n'osa pas utiliser le couteau mais se décida quand même à glisser la pointe et égratigna la peau en essayant de défaire le nœud coulant. Celui-ci finit par céder et dans un râle Mikael aspira quelques goulées d'air.
Un bref instant, Mikael éprouva la merveilleuse sensation de l'union du corps et de l'esprit. Sa vision devint parfaite et il put distinguer le moindre grain de poussière dans la pièce. Son ouïe devint parfaite et il nota chaque respiration et chaque froissement de vêtements comme s'ils sortaient de haut-parleurs directement dans ses oreilles, et il sentit l'odeur de la transpiration de Lisbeth Salander et l'odeur du cuir de son blouson. Puis ce fut un éclair lumineux lorsque le sang afflua de nouveau vers sa tête et que son visage retrouva sa teinte normale.
Lisbeth Salander tourna la tête au moment où Martin Vanger s'enfuyait par la porte. Elle se leva d'un bond et ramassa le pistolet — vérifia le magasin et enleva le cran de sûreté. Mikael nota qu'elle semblait familiarisée avec les armes. Elle regarda autour d'elle et ses yeux s'arrêtèrent une demi-seconde sur les clés des menottes bien en vue sur la table.
— Je m'en charge, dit-elle en se ruant vers la porte. Elle saisit les clés au vol et les lança d'un revers par terre à côté de Mikael.
Mikael essaya de lui dire d'attendre mais il ne réussit à proférer qu'un son éraillé alors qu'elle avait déjà disparu par la porte.
LISBETH N'AVAIT PAS OUBLIÉ que Martin Vanger possédait un fusil quelque part et elle s'arrêta, prête à faire feu avec le pistolet braqué devant elle, en arrivant dans le passage entre le garage et la cuisine. Elle tendit l'oreille, mais aucun bruit ne révélait où se trouvait sa proie. Instinctivement elle se dirigea vers la cuisine et elle y était presque lorsqu'elle entendit la voiture démarrer.
Elle fit demi-tour et sortit par la petite porte du garage. Depuis l'allée d'accès, elle vit les feux arrière d'une voiture qui passa devant la maison de Henrik Vanger et tourna en direction du pont, et elle se précipita à sa poursuite aussi vite que ses jambes le pouvaient. Elle glissa le pistolet dans la poche de son blouson et ne s'encombra pas du casque quand elle démarra sa moto. Quelques secondes plus tard elle franchissait le pont.
Il avait peut-être quatre-vingt-dix secondes d'avance quand elle arriva à l'échangeur d'accès à l'E4. Elle ne le voyait pas. Elle freina et coupa le moteur.
Le ciel était lourd de nuages. A l'horizon pointait un soupçon d'aurore. Puis elle entendit le bruit d'un moteur et aperçut la voiture de Martin Vanger sur l'E4 en direction du sud. Lisbeth redémarra, enclencha la première et passa sous le viaduc. Elle roulait à 80 kilomètres à l'heure quand elle surgit après le virage de la bretelle d'accès. Devant elle, une ligne droite. Elle ne vit aucune circulation, mit les gaz à fond et s'envola. Lorsque la voie décrivit une courbe le long d'une crête, elle était à 170 kilomètres à l'heure, ce qui était environ le maximum que sa petite cylindrée débridée par ses soins pouvait atteindre en descente. Deux minutes plus tard, elle vit la voiture de Martin Vanger à environ quatre cents mètres devant elle.
Analyse des paramètres. Qu'est-ce que je fais maintenant ?
Elle ralentit aux plus raisonnables 120 kilomètres à l'heure et roula à la même vitesse que lui. Elle le perdit de vue quelques secondes quand ils passèrent quelques virages. Puis ils arrivèrent dans une longue ligne droite. Elle était à environ deux cents mètres derrière lui.
Il avait dû voir le phare de sa moto et accéléra après un long virage. Elle poussa sa bécane à fond mais perdit du terrain dans les courbes.
De loin, elle vit les lumières du poids lourd. Martin Vanger les avait vues aussi. Soudain il accéléra encore davantage et passa sur la file de gauche cent cinquante mètres avant la rencontre. Lisbeth vit le poids lourd freiner et lancer des appels de phares frénétiques, mais en quelques secondes il avait avalé les mètres et la collision frontale fut inévitable. Martin Vanger lança sa voiture droit sur le camion dans un fracas épouvantable.
Lisbeth Salander freina instinctivement. Puis elle vit le semi-remorque se coucher sur sa voie. A la vitesse qu'elle tenait, il lui fallut deux secondes pour rejoindre les lieux de l'accident. Elle accéléra, roula sur le bas-côté et évita l'arrière du semi-remorque d'un mètre quand elle passa. Du coin de l'œil, elle vit des flammes surgir à l'avant du camion.
Elle continua sur encore cent cinquante mètres avant de s'arrêter et de se retourner. Elle vit le conducteur du poids lourd sauter à terre du côté passager. Alors elle remit les gaz. A Åkerby, deux kilomètres plus au sud, elle prit à gauche et suivit la vieille nationale vers le nord, parallèle à l'E4. Elle passa le lieu de l'accident en hauteur et vit que deux voitures s'étaient arrêtées. L'épave était totalement aplatie et coincée sous le poids lourd, entourée d'énormes flammes. Un homme tentait d'éteindre le feu avec un petit extincteur.