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Il était seul dans la voiture. La radio locale diffusa un sujet plus long suintant d'inquiétude pour l'avenir du groupe Vanger et pour les conséquences économiques qu'aurait ce décès pour le groupe.

A midi, une dépêche en provenance de TT, rédigée à la hâte, annonçait « Une région en état de choc » et résumait les répercussions immédiates pour le groupe Vanger. Il n'échappait à personne que, rien qu'à Hedestad, plus de 3 000 des 24 000 habitants étaient employés par le groupe Vanger ou dépendaient indirectement de la bonne santé du groupe. Le PDG du groupe était mort et l'ancien PDG était un vieillard nettement diminué à la suite d'un infarctus. Il manquait un héritier naturel. Tout ceci en une période considérée comme la plus critique dans l'histoire de l'entreprise.

MIKAEL BLOMKVIST AVAIT EU LA POSSIBILITÉ de se rendre au commissariat de Hedestad pour expliquer ce qui s'était passé pendant la nuit, mais Lisbeth Salander avait mis en route un mécanisme. Dans la mesure où il n'avait pas immédiatement appelé la police, il devenait de plus en plus difficile de le faire à chaque heure qui passait. Toute la matinée, il resta plongé dans un silence maussade, allongé sur la banquette de la cuisine, d'où il contemplait la pluie et les gros nuages encombrant le ciel. Vers 10 heures, une nouvelle averse orageuse éclata, mais vers midi, la pluie cessa de tomber et le vent se calma un peu. Il sortit essuyer les meubles de jardin et s'assit avec une tasse de café. Il avait relevé le col de sa chemise.

La mort de Martin étendit évidemment une ombre sur la vie quotidienne au hameau. Des voitures vinrent se garer devant la maison d'Isabella Vanger, indiquant que le clan se rassemblait. Des gens présentaient leurs condoléances. Lisbeth contemplait le défilé sans états d'âme. Mikael restait muet.

— Comment tu te sens ? demanda-t-elle finalement.

Mikael réfléchit un moment avant de répondre.

— Je crois que je suis encore en état de choc, dit-il. Je suis resté totalement sans défense pendant plusieurs heures. J'étais persuadé que j'allais mourir. L'angoisse de mourir me bouffait les tripes et j'étais totalement impuissant.

Il tendit une main qu'il posa sur le genou de Lisbeth.

— Merci, dit-il. Si tu n'étais pas venue, il m'aurait tué.

Lisbeth le gratifia d'un sourire de guingois. Mikael poursuivit :

— Sauf que... je n'arrive pas à comprendre comment tu as pu être assez dingue pour t'attaquer à lui toute seule. Moi, j'étais là par terre en train de prier pour que tu voies la photo et que tu fasses le rapprochement et appelles la police.

— Si j'avais attendu l'arrivée de la police, tu n'aurais sans doute pas survécu. Je ne pouvais pas laisser ce salaud te trucider, quand même.

— Pourquoi tu ne veux pas voir la police ? demanda Mikael.

— Je ne parle pas avec les autorités.

— Pourquoi pas ?

— C'est mes affaires. Mais en ce qui te concerne, je ne pense pas que ce serait très astucieux pour ta carrière si on te présentait comme le journaliste que Martin Vanger, le tueur en série notoire, a foutu à poil. Toi qui n'aimes déjà pas Super Blomkvist, imagine les nouveaux surnoms.

Mikael la regarda intensément, puis abandonna le sujet.

— Nous avons un problème, dit Lisbeth.

Mikael hocha la tête, il voyait à quoi elle faisait allusion.

— Qu'est-il arrivé à Harriet ?

Lisbeth posa les deux photos polaroïd sur la table devant lui. Elle expliqua où elle les avait trouvées. Mikael étudia les photos minutieusement avant de lever les yeux.

— Ça peut être elle, finit-il par dire. Je ne peux pas le jurer, mais la corpulence et les cheveux rappellent toutes les photos d'elle que j'ai vues.

MIKAEL ET LISBETH RESTÈRENT dans le jardin une bonne heure durant, à ajuster les détails du puzzle. Ils découvrirent qu'ils avaient tous les deux, chacun de son côté, identifié Martin Vanger comme le chaînon manquant.

Lisbeth n'avait jamais vu la photo que Mikael avait laissée sur la table de cuisine. Après avoir examiné les images des caméras de surveillance, elle avait tiré la conclusion que Mikael avait entrepris quelque chose d'idiot. Elle s'était rendue à la maison de Martin Vanger par la promenade de la berge et avait regardé par toutes les fenêtres sans voir âme qui vive. Très discrètement, elle avait vérifié toutes les portes et fenêtres du rez-de-chaussée. Pour finir, elle avait grimpé jusqu'à une porte de balcon ouverte à l'étage. Il lui avait fallu du temps, et elle avait opéré avec la plus grande prudence en fouillant la maison pièce par pièce. Pour finir, elle avait trouvé l'escalier menant à la cave. Martin avait été négligent ; il avait laissé la porte de son cabinet des horreurs entrouverte et elle avait immédiatement pigé la situation.

— Et tu l'as écouté parler longtemps ?

— Pas tant que ça. Je suis arrivée quand il t'interrogeait sur ce qui était arrivé à Harriet, juste avant qu'il te suspende comme un cochon. Je vous ai laissés une minute pour monter chercher une arme. J'ai trouvé les clubs de golf dans un placard.

— Martin Vanger n'avait pas la moindre idée de ce qui était arrivé à Harriet.

— Tu le crois ?

— Oui, fit Mikael sans hésitation. Martin Vanger était plus fou qu'un putois enragé... va savoir d'où me vient cette image... mais il a reconnu tous les crimes qu'il a commis. Il parlait librement. J'ai même l'impression qu'il voulait m'impressionner. Mais en ce qui concerne Harriet, il était aussi désespérément en quête de la vérité que Henrik Vanger.

— Et alors... ça nous mène où ?

— Nous savons que Gottfried était derrière la première série de meurtres, entre 1949 et 1965.

— Oui. Et qu'il a initié Martin.

— Tu parles d'une famille tordue, dit Mikael. En fait, Martin n'avait aucune chance.

Lisbeth Salander jeta un regard étrange sur Mikael.

— Ce que Martin m'a raconté — même par bribes —, c'est que son père avait entamé son apprentissage à l'époque de sa puberté. Il a assisté au meurtre de Lea à Uddevalla en 1962. Il avait alors quatorze ans. Il a assisté au meurtre de Sara en 1964. Cette fois-là, il a participé activement. Il avait seize ans.

— Et ?

— Il m'a dit qu'il n'était pas homosexuel et qu'il n'avait jamais touché un homme — à part son père. Cela me fait dire que... eh bien, la seule conclusion qu'on peut en tirer, c'est que son père le violait. Les abus sexuels ont dû se poursuivre longtemps. Il a pour ainsi dire été initié par son père.

— Tu dis des conneries, dit Lisbeth Salander.

Sa voix était soudain dure comme du roc. Mikael la regarda, stupéfait. Le regard de Lisbeth était stable. Il n'y avait pas une once de compassion.

— Martin était en mesure de résister autant que n'importe qui. Il faisait ses choix. Il tuait et violait parce qu'il aimait ça.

— D'accord, je ne te contredis pas. Mais Martin était un garçon brimé, influencé par son père, tout comme Gottfried avait été brimé par son père, le nazi.