— D'accord, mais Harriet n'était pas toi. Gottfried est mort en 1965, avant qu'elle ait eu le temps de faire quoi que ce soit. C'est logique. A la mort de Gottfried, Isabella a envoyé Martin à Uppsala. Il rentrait peut-être à la maison pour Noël et certaines vacances, mais au cours de l'année qui a suivi il n'a pas croisé Harriet très souvent. Elle a pu prendre un certain recul.
— Et elle s'est mise à étudier la Bible.
— Et à la lumière de ce que nous savons aujourd'hui, ça n'a pas forcément été pour des raisons religieuses. Elle voulait peut-être tout simplement comprendre ce qu'avait fabriqué son père. Elle a réfléchi jusqu'à la fête des Enfants en 1966. Et là, brusquement, elle voit son frère débouler dans la rue de la Gare et elle comprend que cela va recommencer. Nous ne savons pas s'ils ont parlé et s'il a dit quelque chose. Quoi qu'il en soit, Harriet a estimé urgent de rentrer vite à la maison pour parler à Henrik.
— Et ensuite elle a disparu.
UNE FOIS REPASSÉ AINSI LE DÉROULEMENT des événements, le puzzle fonctionnait. Mikael et Lisbeth firent leurs bagages. Avant de partir, Mikael appela Dirch Frode et expliqua que Lisbeth et lui devaient quitter Hedeby un certain temps, mais qu'il voulait absolument saluer Henrik Vanger avant de partir.
Mikael voulut savoir ce que Frode avait raconté à Henrik. La voix de l'avocat semblait si stressée que Mikael se fit du souci pour lui. Il fallut un moment à Frode pour avouer qu'il avait seulement raconté que Martin était mort dans un accident de voiture.
Mikael se garait devant l'hôpital de Hedestad quand le tonnerre gronda de nouveau dans un ciel rempli de lourds nuages de pluie. Il sentit les premières gouttes sur le parking et il hâta le pas.
Henrik Vanger était en robe de chambre, assis à une table devant la fenêtre de sa chambre. La maladie l'avait sans aucun doute marqué, mais le vieil homme avait retrouvé des couleurs et il semblait être en voie de rétablissement. Ils se serrèrent la main. Mikael demanda à l'infirmière particulière de les laisser quelques minutes.
— Tu n'es pas venu me voir, dit Henrik Vanger.
Mikael hocha la tête.
— C'était exprès. Ta famille refuse de me voir ici, mais aujourd'hui tout le monde est auprès d'Isabella.
— Pauvre Martin, dit Henrik.
— Henrik. Tu m'as demandé de trouver la vérité sur ce qui est arrivé à Harriet. T'attendais-tu à ce que la vérité soit indolore ?
Le vieil homme le regarda. Puis ses yeux s'élargirent.
— Martin ?
— Il fait partie de l'histoire.
Henrik Vanger ferma les yeux.
— Maintenant il faut que je te pose une question.
— Laquelle ?
— Tu tiens toujours à savoir ce qui s'est passé ? Même si ça va faire mal et même si la vérité est pire que ce que tu as pu imaginer ?
Henrik Vanger regarda Mikael longuement. Puis il hocha la tête.
— Je veux savoir. C'est le but de ta mission.
— D'accord. Je crois savoir ce qui est arrivé à Harriet. Mais il me manque un dernier morceau du puzzle avant que j'aie fini.
— Raconte.
— Non. Pas aujourd'hui. Ce que je veux que tu fasses maintenant, c'est continuer à te reposer. Le docteur dit que l'alerte est passée et que tu es en voie de guérison.
— Ne me traite pas comme un enfant.
— Je n'ai pas encore fini mon enquête. En ce moment je n'en suis qu'à des suppositions. Je vais me lancer à la poursuite du dernier morceau du puzzle. La prochaine fois que tu me verras, je te raconterai toute l'histoire. Cela peut prendre un peu de temps. Mais je veux que tu saches que je reviendrai et que tu sauras la vérité.
LISBETH COUVRIT LA MOTO d'une bâche, la laissa du côté ombragé de la maison et s'installa avec Mikael dans sa voiture d'emprunt. L'orage avait redoublé de vigueur et, au sud de Gävle, ils essuyèrent une averse si forte que Mikael distinguait à peine la route devant lui. Il préféra jouer la prudence et s'arrêta à une station-service. Ils prirent un café en attendant que la pluie se calme, et ils n'arrivèrent à Stockholm que vers 19 heures. Mikael donna à Lisbeth le code de son immeuble et la déposa à une station de métro. Son appartement lui parut étranger quand il y entra.
Il joua de l'aspirateur et du chiffon pendant que Lisbeth passait voir Plague à Sundbyberg. Elle frappa chez Mikael vers minuit et consacra dix minutes à examiner le moindre recoin de l'appartement. Puis elle resta un long moment devant les fenêtres à regarder la vue sur Slussen.
Des placards et des étagères de chez Ikea servaient de séparation au côté chambre du loft. Ils se déshabillèrent et dormirent quelques heures.
QUAND ILS ATTERRIRENT A GATWICK vers midi le lendemain, ils furent accueillis par la pluie. Mikael avait réservé une chambre à l'hôtel James près de Hyde Park, un excellent hôtel comparé à tous les taudis de Bayswater où il s'était toujours retrouvé lors de ses autres visites à Londres. La facture passa sur le compte frais fixes de Dirch Frode.
A 17 heures, un homme d'une trentaine d'années les retrouva au bar de l'hôtel. Il était presque chauve, avait une barbe blonde et il était vêtu d'une veste trop large, d'un jean et de chaussures de pont.
— Wasp ? demanda-t-il.
— Trinity ? fit-elle. Ils se saluèrent d'un hochement de tête. Il ne demanda pas comment Mikael s'appelait.
Le partenaire de Trinity fut présenté comme Bob the Dog. Il attendait dans un vieux Combi Volkswagen au coin de la rue. Ils montèrent par la porte latérale et s'assirent sur des strapontins. Tandis que Bob louvoyait dans la circulation londonienne, Wasp et Trinity discutèrent.
— Plague m'a dit qu'il s'agit d'un crash-bangjob.
— Ecoute téléphonique et contrôle des e-mails dans un ordinateur. Cela peut être très rapide ou bien prendre quelques jours, ça dépend de la pression qu'il mettra. Lisbeth agita le pouce en direction de Mikael. Vous y arriverez ?
— Les chiens ont-ils des puces ? répondit Trinity.
ANITA VANGER HABITAIT une petite maison dans une rangée proprette de St. Albans au nord de Londres, un trajet en voiture d'un peu plus d'une heure. Du Combi, ils la virent arriver et ouvrir sa porte à 19 heures. Ils attendirent qu'elle se soit douchée, qu'elle ait mangé un morceau et se soit installée devant la télé, avant que Mikael sonne à la porte.
Une copie pratiquement conforme de Cécilia Vanger ouvrit, le visage formant un point d'interrogation poli.
— Bonjour Anita. Je m'appelle Mikael Blomkvist. Henrik Vanger m'a demandé de passer vous voir. Je suppose que vous avez entendu la nouvelle concernant Martin.
Son visage passa de la surprise à la vigilance. Dès qu'elle entendit le nom, elle sut exactement qui était Mikael Blomkvist. Elle était en contact avec Cécilia Vanger, qui avait vraisemblablement exprimé une certaine irritation vis-à-vis de Mikael. Mais le nom de Henrik Vanger signifiait qu'elle était obligée d'ouvrir la porte. Elle invita Mikael à s'installer dans le salon. Il regarda autour de lui. L'intérieur d'Anita Vanger était meublé avec goût par une personne qui avait de l'argent et une vie professionnelle mais qui restait assez discrète. Il remarqua une lithographie signée Anders Zorn au-dessus d'une cheminée transformée en radiateur à gaz.