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Pour Armanskij, c'était une solution pratique qui profitait à l'entreprise, à lui-même et à Salander. Il put restreindre le pénible service des ESP à un seul employé fixe, un collaborateur plus tout jeune qui faisait des boulots routiniers corrects et qui s'occupait des renseignements sur la solvabilité. Toutes les missions compliquées et douteuses, il les laissa à Salander et à quelques autres free-lances qui — si les choses tournaient mal — étaient leurs propres patrons et dont Milton Security n'avait pas à répondre. Comme il lui confiait souvent des missions, elle bénéficia d'un revenu confortable. Revenu qui aurait pu être considérablement plus élevé, mais elle travaillait seulement quand elle en avait envie selon le principe que si cela ne plaisait pas à Armanskij, il n'avait qu'à la virer.

Armanskij l'accepta telle qu'elle était, à la condition qu'elle ne devait pas rencontrer les clients. Les exceptions à cette règle étaient rares et l'affaire qui se présentait aujourd'hui en était malheureusement une.

CE JOUR-LÀ, LISBETH SALANDER était vêtue d'un tee-shirt noir avec une image d'E. T. exhibant des crocs de fauve, souligné d'un I'am also an alien. Elle portait une jupe noire dont l'ourlet était défait, un court blouson de cuir noir râpé, ceinture cloutée, de grosses Doc Martens et des chaussettes aux rayures transversales rouges et vertes, montant jusqu'aux genoux. Son maquillage indiquait qu'elle était peut-être daltonienne. Autrement dit, elle était extrêmement soignée.

Armanskij soupira et posa son regard sur la troisième personne présente dans la pièce — un visiteur d'allure vieux jeu affublé de lunettes aux verres épais. L'avocat Dirch Frode avait soixante-huit ans et il avait insisté pour rencontrer personnellement le collaborateur auteur du rapport pour lui poser des questions. Armanskij avait essayé d'empêcher la rencontre au moyen de faux-fuyants, disant que Salander était grippée, qu'elle était en déplacement et accaparée par d'autres boulots. Frode avait répondu avec insouciance que ce n'était pas grave — l'affaire n'était pas urgente et il pouvait sans problème attendre quelques jours. Armanskij avait juré tout bas mais, au bout du compte, il n'avait pas trouvé d'autre solution que de les réunir, et à présent maître Frode observait Lisbeth Salander avec une fascination manifeste. Salander répondit avec un regard furibond, sa mine indiquant clairement qu'elle n'avait aucune sympathie pour lui.

Armanskij soupira encore une fois et regarda le dossier qu'elle avait posé sur son bureau, barré du titre CARL MIKAEL BLOMKVIST. Le nom était suivi d'un numéro de sécu, méticuleusement écrit sur la couverture. Il prononça le nom à voix haute. Cela sortit maître Frode de son envoûtement et il tourna les yeux vers Armanskij.

— Eh bien, que pouvez-vous me dire sur Mikael Blomkvist ? demanda-t-il.

— Voici donc Mlle Salander qui a rédigé le rapport. Armanskij hésita une seconde et poursuivit ensuite avec un sourire destiné à mettre Frode en confiance mais qui véhiculait surtout des excuses désemparées : Ne soyez pas étonné par sa jeunesse. Elle est incontestablement notre meilleur limier.

— J'en suis persuadé, répondit Frode d'une voix sèche qui sous-tendait le contraire. Racontez-moi ce qu'elle a trouvé.

Manifestement, maître Frode n'avait pas la moindre idée du comportement à adopter avec Lisbeth Salander et il cherchait à fouler un terrain plus sûr en posant la question à Armanskij, comme si elle ne se trouvait pas dans la pièce. Salander saisit l'occasion et fit une grosse bulle avec son chewing-gum. Avant qu'Armanskij n'ait eu le temps de répondre, elle se tourna vers son chef comme si Frode n'existait pas.

— Peux-tu vérifier avec le client s'il désire la version longue ou courte ?

Maître Frode réalisa sur-le-champ qu'il avait gaffé. S'ensuivit un bref silence pénible, puis il se tourna vers Lisbeth Salander et essaya de réparer les dégâts en adoptant un ton gentiment paternel.

— Je vous serais très reconnaissant, mademoiselle, si vous pouviez me résumer de vive voix ce que vous avez trouvé.

Salander avait l'air d'un cruel fauve des savanes envisageant de croquer Dirch Frode pour son déjeuner. Son regard était empli d'une haine si intense et si inattendue que Frode en eut des frissons dans le dos. Tout aussi rapidement, son visage s'adoucit. Frode se demanda s'il avait imaginé le regard. Quand elle se mit à parler, son ton était celui d'un fonctionnaire de l'Etat.

— Permettez-moi donc de dire pour commencer que cette mission n'a pas été spécialement compliquée, mis à part le fait que la description des tâches à accomplir était assez vague. Vous vouliez qu'on aille fouiner partout pour trouver un max sur lui, mais vous avez omis d'indiquer si vous cherchiez quelque chose en particulier. Raison pour laquelle nous en sommes arrivés à une sorte d'échantillon de sa vie. Le rapport comporte cent quatre-vingt-treize pages, mais cent vingt ne sont en fait que des copies d'articles qu'il a écrits ou des coupures de presse dans lesquelles il figure. Blomkvist est un personnage public avec peu de secrets et il n'a pas grand-chose à cacher.

— Mais il a donc des secrets ? demanda Frode.

— Tout le monde a des secrets, répondit-elle imperturbable. Il s'agit simplement de découvrir lesquels.

— Je vous écoute.

— Mikael Blomkvist est né le 18 janvier 1960, ce qui lui fait bientôt quarante-trois ans. Il est né à Borlânge, mais n'y a jamais habité. Ses parents, Kurt et Anita Blomkvist, avaient dans les trente-cinq ans quand ils l'ont eu, aujourd'hui ils sont décédés tous les deux. Son père était installateur de machines et devait se déplacer pas mal. Sa mère n'a jamais été que femme au foyer, pour autant que j'ai pu comprendre. La famille a déménagé à Stockholm quand Mikael a commencé l'école. Il a une sœur de trois ans sa cadette, elle s'appelle Annika et elle est avocate. Il a aussi quelques oncles et cousins. Il vient, ce café ?

Cette dernière réplique était destinée à Armanskij, qui sans tarder ouvrit le thermos qu'il avait commandé pour la réunion. D'un geste, il invita Salander à continuer.

— En 1966, donc, la famille a déménagé pour Stockholm. Ils habitaient Lilla Essingen. Blomkvist a suivi l'école primaire et secondaire à Bromma, puis il est allé au lycée à Kungsholmen. Ses notes au bac étaient excellentes, vous trouverez des copies dans le dossier. Du temps où il était au lycée, il faisait de la musique, il jouait de la basse dans un groupe de rock, les Bootstrap, qui a même sorti un single qui passait à la radio au cours de l'été 1979. Après le lycée, il a travaillé comme vigile dans le métro, a mis de l'argent de côté pour voyager à l'étranger. Il est parti un an et semble s'être surtout baladé en Asie — l'Inde, la Thaïlande et un petit tour en Australie. Il a commencé ses études de journalisme à Stockholm quand il avait vingt et un ans, mais les a interrompues au bout d'un an pour faire son service militaire dans le corps des chasseurs légers à Kiruna. Une sorte d'unité macho dont il est sorti avec 10-9-9, ce qui est une bonne notation. Après le service militaire, il a terminé sa formation de journaliste et il travaille depuis. Vous voulez que je pousse les détails jusqu'où ?