PAR HASARD, MIKAEL BLOMKVIST tomba sur son antagoniste, l'ancien reporter d'économie William Borg. Ils se croisèrent à la porte du Moulin, où Mikael, Erika Berger et Christer Malm passaient une soirée de la Sainte-Lucie copieusement arrosée avec les autres employés aux frais de la princesse. Borg était accompagné d'une fille ivre morte de l'âge de Lisbeth Salander.
Mikael s'arrêta net. William Borg avait toujours fait remonter en lui ses pires penchants et il fut obligé de se maîtriser pour ne pas dire ou faire quelque chose de mal placé. Lui et Borg se mesurèrent du regard sans prononcer un mot.
L'aversion de Mikael pour Borg était physiquement tangible. Erika avait interrompu ces manières de machos en revenant sur ses pas, prenant Mikael sous le bras et le guidant à travers le bar.
Mikael décida de demander à Lisbeth Salander de procéder sur Borg, quand l'occasion se présenterait, à l'une de ses si subtiles enquêtes sur la personne. Rien que pour la forme.
PENDANT TOUTE LA TEMPÊTE MÉDIATIQUE, la personne principale du drame, le financier Hans-Erik Wennerström, resta pratiquement invisible. Le jour où l'article de Millenium fut publié, le magnat de la finance avait commenté le texte dans une conférence de presse déjà prévue sur un tout autre sujet. Wennerström déclara que ces accusations étaient sans fondement et que la documentation citée était fausse. Il rappela que le même reporter avait été condamné pour diffamation un an auparavant.
Ensuite, seuls les avocats de Wennerström répondirent aux questions des médias. Deux jours après que le livre de Mikael Blomkvist avait été distribué, une rumeur tenace commença à faire valoir que Wennerström avait quitté la Suède. Les journaux du soir utilisèrent le mot « fuite » dans leurs titres. Lorsque, au cours de la deuxième semaine, la police des finances essaya d'entrer en contact officiel avec Wennerström, on constata qu'il ne se trouvait plus dans le pays. Mi-décembre, la police confirma que Wennerström était recherché et, la veille de la Saint-Sylvestre, un avis de recherche formel fut lancé via les organisations policières internationales. Le même jour, l'un des conseillers proches de Wennerström fut arrêté alors qu'il essayait de prendre un avion pour Londres.
Plusieurs semaines plus tard, un touriste suédois rapporta qu'il avait vu Hans-Erik Wennerström monter dans une voiture à Bridgetown, la capitale de la Barbade aux Petites Antilles. Comme preuve de ce qu'il avançait, le touriste envoya une photo prise d'assez loin montrant un homme blanc portant des lunettes de soleil, en chemise blanche déboutonnée et pantalon clair. L'homme ne pouvait pas être identifié avec certitude, mais les journaux du soir envoyèrent des reporters qui sans succès essayèrent de pister Wennerström dans les îles antillaises. Ce fut le début d'une traque photographique du milliardaire en fuite.
Six mois plus tard, la chasse fut interrompue. On avait retrouvé Hans-Erik Wennerström mort dans un appartement à Marbella en Espagne, où il résidait sous le nom de Victor Fleming. Il avait été tué de trois balles dans la nuque tirées à bout portant. La police espagnole suivit l'hypothèse qu'il était tombé sur un cambrioleur.
LA MORT DE WENNERSTRÖM ne fut pas une surprise pour Lisbeth Salander. Elle soupçonna, sur de bonnes bases, que son décès avait un rapport avec le fait qu'il n'avait plus accès à l'argent d'une certaine banque aux îles Caïmans, dont il aurait eu besoin pour payer quelques dettes en Colombie.
Si quelqu'un s'était donné la peine de demander l'aide de Lisbeth Salander pour trouver Wennerström, elle aurait pu dire presque quotidiennement exactement où il se trouvait. Elle avait suivi via Internet sa fuite désespérée à travers une douzaine de pays, et elle avait noté une panique croissante dans son courrier électronique dès qu'il branchait son ordinateur portable quelque part. Mais même Mikael Blomkvist n'aurait pas cru l'ex-milliardaire fuyard crétin au point de traîner avec lui le même ordinateur qui avait été si minutieusement piraté.
Après six mois, Lisbeth s'était lassée de suivre Wennerström. La question à laquelle il fallait répondre maintenant était de savoir jusqu'où allait son propre engagement. Wennerström était sans le moindre doute un fumier de grande envergure, mais il n'était pas son ennemi personnel et elle n'avait pas d'intérêt propre à intervenir contre lui. Elle pourrait tuyauter Mikael Blomkvist, mais il se contenterait probablement de publier une bonne histoire. Elle pourrait tuyauter la police, mais la probabilité que Wennerström soit prévenu et qu'il ait le temps de disparaître était relativement importante. De plus, par principe elle ne parlait pas avec la police.
Mais il restait d'autres dettes à régler. Elle pensait à la serveuse de vingt-deux ans dont on avait maintenu la tête sous l'eau.
Quatre jours avant qu'on retrouve Wennerström mort, elle s'était décidée. Elle avait allumé son téléphone portable et appelé un avocat à Miami, Floride, qui semblait être l'une des personnes que Wennerström cherchait le plus à éviter. Elle avait parlé avec une secrétaire et lui avait demandé de transmettre un message sibyllin. Un nom : Wennerström, et une adresse à Marbella. C'était tout.
Elle coupa les infos à la télé à la moitié du reportage sur le décès de Wennerström. Elle brancha la cafetière et se prépara une tartine de pâté de foie aux cornichons.
ERIKA BERGER ET CHRISTER MALM s'occupaient des préparatifs habituels pour Noël pendant que Mikael, assis dans le fauteuil d'Erika, buvait du vin chaud en les regardant. Tous les collaborateurs et beaucoup des free-lances indépendants réguliers reçurent un cadeau pour Noël — cette année, une sacoche avec le logo de Millenium, Après avoir préparé les paquets, ils se mirent à la corvée d'écrire plus de deux cents cartes de Noël pour l'imprimerie, des photographes et des collègues, et d'y coller des timbres.
Mikael essaya presque jusqu'au bout de résister à la tentation, mais pour finir, il se laissa aller. Il prit une toute dernière carte de Noël et écrivit Joyeux Noël et bonne année. Merci pour ton impressionnante contribution au cours de cette année.
Il signa de son nom et adressa la carte à Janne Dahlman, aux bons soins de la rédaction de Finansmagasinet Monopol.
Quand Mikael rentra chez lui le soir, un avis de passage du facteur l'attendait dans sa boîte. Il alla chercher son paquet le lendemain matin et l'ouvrit une fois arrivé à la rédaction. Le paquet contenait un stick antimoustique et une demi-bouteille de Reimersholm Aquavit. Mikael ouvrit la carte et lut le texte : Si tu n'as rien d'autre à faire, sache que je serai ancré à Arholma pour la Saint-Jean. C'était signé de son ancien copain de classe Robert Lindberg.