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APRÈS NOËL, MIKAEL BLOMKVIST prit le train pour Hedestad. Il portait des vêtements chauds et de vraies chaussures d'hiver quand Dirch Frode vint le chercher à la gare et le félicita à voix basse de ses succès journalistiques. Il n'était pas retourné à Hedestad depuis le mois d'août et ça faisait presque un an jour pour jour qu'il y était venu la première fois. Ils se serrèrent la main et se parlèrent poliment, mais entre eux il y avait aussi beaucoup de choses qui n'avaient pas été dites et Mikael se sentait mal à l'aise.

Tout avait été préparé, et la transaction chez Dirch Frode ne prit que quelques minutes. Frode avait offert de placer l'argent sur un compte confortable à l'étranger, mais Mikael avait insisté pour qu'il soit versé comme des honoraires ordinaires.

— Je n'ai pas les moyens de m'offrir d'autres formes de paiement, avait-il répondu sèchement comme Frode s'étonnait.

La visite n'était pas uniquement de nature économique. Mikael avait toujours des vêtements, des livres et quelques affaires personnelles dans la maison des invités depuis que lui et Lisbeth avaient précipitamment quitté Hedeby.

Henrik Vanger était toujours fragile depuis son infarctus, mais il avait quitté la maison de santé de Hedestad et était de retour chez lui. Il était perpétuellement accompagné d'une infirmière particulière, qui refusait qu'il fasse de longues promenades, emprunte des escaliers et discute de ce qui pourrait trop l'émouvoir. Ces jours-ci justement, il avait attrapé un petit rhume et avait illico été mis au lit.

— Et en plus, elle coûte cher, se plaignit Henrik Vanger.

Mikael Blomkvist n'était pas spécialement choqué et estima que le vieil homme avait les moyens de payer, eu égard au nombre de couronnes du contribuable qu'il avait détournées dans sa vie. Henrik Vanger le regarda, boudeur, avant de se mettre à rire.

— Merde alors, tu le valais bien, tout cet argent. Je le savais.

— Franchement, je ne pensais pas que j'allais venir à bout de l'énigme.

— Je n'ai pas l'intention de te remercier, dit Henrik Vanger.

— Je ne m'y étais pas attendu, répondit Mikael.

— Tu as été grassement payé.

— Je ne me plains pas.

— Tu as fait un boulot pour moi et le salaire devrait suffire comme remerciement.

— Je suis seulement venu pour dire que je considère le boulot comme terminé.

Henrik Vanger fit la moue.

— Tu n'as pas encore terminé le boulot, dit-il.

— Je le sais.

— Tu n'as pas écrit la chronique de la famille Vanger sur laquelle on s'était mis d'accord.

— Je sais. Je ne vais pas l'écrire.

Ils méditèrent cette rupture de contrat en silence. Ensuite Mikael continua :

— Je ne peux pas écrire cette histoire-là. Je ne peux pas parler de la famille Vanger et laisser sciemment de côté les événements essentiels des dernières décennies — Harriet et son père et son frère, et les meurtres. Comment pourrais-je écrire un chapitre sur la période de Martin comme PDG et faire comme si je ne savais pas ce qu'il y avait dans sa cave ? Et je ne peux pas non plus écrire l'histoire sans détruire une nouvelle fois la vie de Harriet.

— Je comprends ton dilemme et je te suis reconnaissant du choix que tu as fait.

— Donc, je laisse tomber l'histoire.

Henrik Vanger hocha la tête.

— Félicitations, dit Mikael. Tu as réussi à me corrompre. Je vais détruire toutes mes notes et les enregistrements des conversations avec toi.

— Je ne trouve pas que tu aies été corrompu, dit Henrik Vanger.

— C'est l'impression que j'ai. Alors c'est probablement le cas.

— Tu avais à choisir entre ton boulot de journaliste et ton boulot d'être humain. Je suis assez certain que je n'aurais pas pu acheter ton silence et que tu aurais choisi le rôle de journaliste et nous aurais cloués au pilori si Harriet avait trempé dans l'affaire ou si tu m'avais considéré comme un fumier.

Mikael ne dit rien. Henrik le regardait.

— Nous avons mis Cécilia au courant de tout. Dirch Frode et moi aurons bientôt disparu et Harriet va avoir besoin de soutien de quelques membres de la famille. Cécilia va entrer de façon active au CA. Ce seront elle et Harriet qui dirigeront le groupe à l'avenir.

— Comment a-t-elle pris ça ?

— Elle a été choquée, évidemment. Elle est partie à l'étranger quelques semaines. Pendant un temps j'ai cru qu'elle n'allait pas revenir.

— Mais elle est revenue.

— Martin était un des rares de la famille avec qui Cécilia s'était toujours bien entendue. C'a été dur pour elle d'apprendre la vérité sur lui. Cécilia sait aussi maintenant ce que tu as fait pour notre famille.

Mikael haussa les épaules.

— Merci, Mikael, dit Henrik Vanger.

Mikael haussa de nouveau les épaules.

— En plus, ce serait trop pour moi de l'écrire, cette histoire, dit-il. La famille Vanger me donne des nausées.

Ils réfléchirent un peu à cela avant que Mikael change de sujet.

— Comment ça fait d'être PDG de nouveau après vingt-cinq ans ?

— Ce n'est que temporaire, mais... j'aurais voulu être plus jeune. Maintenant je ne travaille que trois heures par jour. Toutes les réunions ont lieu ici dans cette pièce et Dirch Frode a repris sa place d'homme de main personnel si quelqu'un fait des difficultés.

— Que les juniors tremblent. Il m'a fallu un bon moment pour comprendre que Frode n'était pas uniquement un brave conseiller économique mais aussi quelqu'un qui résout les problèmes pour toi.

— Exactement. Mais toutes les décisions sont prises avec Harriet et c'est elle qui est présente au bureau.

— Comment va-t-elle ? demanda Mikael.

— Elle a hérité des parts de son frère et de sa mère. Ensemble nous contrôlons plus de trente-trois pour cent du groupe.

— Ça suffit ?

— Je ne sais pas. Birger est récalcitrant et essaie de lui faire des croche-pattes. Alexander a tout à coup réalisé qu'il a une possibilité de devenir important et il a fait alliance avec Birger. Mon frère Harald a un cancer et ne va pas vivre longtemps. C'est lui qui a le seul gros poste avec sept pour cent d'actions, qui iront à ses enfants. Cécilia et Anita vont faire alliance avec Harriet.

— Alors vous contrôlerez plus de quarante pour cent.

— Jamais auparavant il n'y a eu un tel cartel de voix au sein de la famille. Ils sont suffisamment nombreux, les petits actionnaires à un et deux pour cent qui voteront avec nous. Harriet va me succéder comme PDG en février.

— Elle ne sera pas heureuse.

— Non, mais c'est nécessaire. Il nous faut de nouveaux partenaires et du sang neuf. Nous avons aussi la possibilité de travailler avec son groupe à elle en Australie. Les moyens existent.

— Où est-elle, Harriet, aujourd'hui ?

— Tu n'as pas de chance. Elle est à Londres. Mais elle a très envie de te voir.

— Je la verrai à la réunion du CA en janvier, si elle te remplace.

— Je sais.

— Dis-lui que je ne parlerai jamais de ce qui s'est passé en 1966 avec quelqu'un sauf avec Erika Berger.