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— Je le sais et Harriet le sait aussi. Tu es franc du collier.

— Mais dis-lui aussi que tout ce qu'elle fait à partir de maintenant peut apparaître dans les pages du journal si elle ne prend pas garde. Le groupe Vanger ne sera pas exempt de surveillance.

— Je la préviendrai.

Mikael quitta Henrik Vanger quand celui-ci finit par s'assoupir. Il fourra ses affaires dans deux valises. Il ferma la porte de la maison des invités pour la dernière fois, hésita ensuite un instant, puis il alla frapper à la porte de Cécilia Vanger. Elle n'était pas là. Il sortit son agenda de poche, en arracha une page et griffonna quelques mots. Pardonne-moi. Je te souhaite une bonne vie. Il laissa le bout de papier avec sa carte de visite dans la boîte aux lettres. La villa de Martin Vanger était vide. Un bougeoir de Noël électrique était allumé à la fenêtre de la cuisine.

Il rentra à Stockholm avec le train du soir.

ENTRE NOËL ET LE NOUVEL AN, Lisbeth Salander se déconnecta du monde environnant. Elle ne répondit pas au téléphone et elle n'alluma pas son ordinateur. Elle consacra deux jours au lavage de ses vêtements, au ménage et au rangement de l'appartement. Des cartons de pizzas et des journaux vieux d'un an furent empaquetés et jetés. En tout, elle porta au tri sélectif six gros sacs de plastique noirs et une vingtaine de sacs en papier avec des journaux. Il lui semblait avoir pris la décision de commencer une vie nouvelle. Elle avait l'intention d'acheter un appartement — quand elle aurait trouvé quelque chose qui lui convenait — mais jusque-là, son appartement actuel serait plus rutilant qu'elle ne se souvenait de l'avoir jamais vu.

Ensuite elle resta comme paralysée à réfléchir. Jamais auparavant dans sa vie elle n'avait ressenti une telle envie. Elle voulait que Mikael Blomkvist sonne à sa porte et... et quoi ? Qu'il la soulève dans ses bras ? Qu'il l'entraîne passionnément dans la chambre et lui arrache ses vêtements ? Non, en fait elle désirait simplement sa compagnie. Elle voulait l'entendre dire qu'il l'aimait pour ce qu'elle était. Qu'elle était spéciale dans son monde et dans sa vie. Elle voulait qu'il lui donne un geste d'amour, pas seulement d'amitié et de camaraderie. Je suis en train de devenir dingue, pensa-t-elle.

Elle doutait d'elle-même. Mikael Blomkvist vivait dans un monde peuplé de gens avec des métiers respectables, qui avaient des vies rangées et plein de capacités d'adultes. Les amis de Mikael faisaient des choses, paraissaient à la télé et créaient de gros titres.A quoi je te servirais ? La plus grande terreur de Lisbeth Salander, tellement grande et noire qu'elle prenait des proportions phobiques, était que les gens rient de ses sentiments. Et tout à coup elle eut l'impression que tout son amour-propre si laborieusement construit s'écroulait.

Alors elle se décida. Elle mit plusieurs heures à mobiliser le courage nécessaire, mais elle était obligée de le voir et de lui dire ce qu'elle ressentait.

Tout le reste était insupportable.

Il lui fallait un prétexte pour venir frapper à sa porte. Elle ne lui avait pas fait de cadeau de Noël, mais elle savait ce qu'elle allait acheter. Dans une brocante elle avait vu une série de panneaux publicitaires en tôle des années 1950, avec des personnages en relief. L'un des panneaux représentait Elvis Presley, guitare sur la hanche, et une bulle disant Heartbreak Hôtel. Elle n'avait aucun sens de la décoration mais elle comprenait que ce panneau irait parfaitement dans la cabane de Sandhamn. Il coûtait 780 couronnes et par principe elle marchanda le prix et le baissa à 700. On lui fit un paquet, elle le prit sous le bras et s'en alla à pied vers l'appartement de Mikael dans Bellmansgatan.

Dans Hornsgatan, elle jeta un regard vers le Bar-Café et vit soudain Mikael en sortir avec Erika Berger sur les talons. Il dit quelque chose et Erika rit et passa le bras autour de sa taille et lui planta une bise sur la joue. Ils disparurent le long de Brännkyrkagatan en direction de Bellmansgatan. Leur langage corporel ne laissait aucune place pour de fausses interprétations — ce qu'ils avaient en tête était évident.

La douleur fut si immédiate et détestable que Lisbeth s'arrêta net, incapable de bouger. Une partie d'elle voulut courir les rattraper. Elle voulut prendre le panneau en tôle et utiliser le bord tranchant pour couper la tête à Erika Berger. Elle n'en fit rien, tandis que les pensées fusaient dans sa tête. Analyse des conséquences. Elle finit par se calmer.

Salander, quelle conne tu fais, c'est nul, se dit-elle à voix haute.

Elle tourna les talons et rentra à son appartement rutilant. Elle passait Zinkensdamm quand la neige commença à tomber. Elle jeta Elvis dans un conteneur à ordures.