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LES PROGRAMMES DISNEY de Noël battaient leur plein à la télé, quand Mikael Blomkvist passa voir sa fille Pernilla chez son ex-femme Monica et le nouveau mari de celle-ci dans leur villa à Sollentuna. Il avait apporté des cadeaux pour Pernilla ; après en avoir discuté avec Monica, ils s'étaient mis d'accord pour offrir à leur fille un truc assez coûteux, pas plus grand qu'une boîte d'allumettes, capable de contenir toute sa volumineuse collection de disques.

Père et fille passèrent une heure ensemble dans la chambre de Pernilla à l'étage. Mikael et la mère de Pernilla avaient divorcé quand elle n'avait que cinq ans et deux ans plus tard elle avait eu un nouveau père. Mikael n'avait absolument pas évité le contact ; Pernilla venait le voir quelques fois par mois et chaque année elle faisait plusieurs séjours d'une semaine dans la cabane de Sandhamn pendant les vacances. Monica n'avait pas cherché à les empêcher de se rencontrer et Pernilla n'avait rien contre le fait de se retrouver avec son papa — au contraire, les journées qu'ils passaient ensemble étaient en général de bons moments. Cela dit, Mikael avait laissé à sa fille le soin de décider dans quelle mesure elle souhaitait le voir, surtout depuis que Monica s'était remariée. Il y avait eu quelques années au début de l'adolescence où le contact avait pratiquement cessé et Pernilla n'avait demandé à le voir plus souvent que depuis deux ans.

Sa fille avait suivi son procès avec la conviction absolue que ce que Mikael affirmait était vrai ; il était innocent mais ne pouvait pas le prouver.

Elle parla d'un éventuel petit copain au lycée, et elle le surprit en révélant qu'elle était devenue membre d'une Eglise locale et se considérait comme croyante. Mikael s'abstint de tout commentaire.

On l'invita à rester dîner, mais il déclina l'offre ; il s'était déjà mis d'accord avec sa sœur pour passer le réveillon de Noël avec elle et sa famille dans la villa de la réserve à yuppies de Stäket.

Dans la matinée, il avait aussi été convié à fêter Noël avec Erika et son mari à Saltsjöbaden. Il avait poliment décliné l'invitation, certain qu'il y avait forcément une limite à l'attitude favorable de Lars pour les drames triangulaires et il n'avait aucune envie d'explorer où se trouvait cette limite. Erika avait protesté que c'était justement son mari qui avait proposé de l'inviter et elle l'avait taquiné sur sa frilosité à se prêter aux jeux d'un trio. Mikael avait ri — Erika savait qu'il était un hétérosexuel borné et que l'offre n'était pas vraiment sérieuse — mais la décision de ne pas passer le réveillon en compagnie du mari de sa maîtresse était irrévocable.

Il venait donc frapper à la porte de sa sœur Annika Blomkvist, épouse Giannini. Son mari d'origine italienne, leurs deux enfants et un tas d'autres membres de la famille du mari étaient en train de découper le jambon de Noël. Annika avait fait son droit les doigts dans le nez, puis avait travaillé quelques années comme stagiaire au tribunal d'instance puis comme substitut du procureur avant d'ouvrir son propre cabinet d'avocats, associée à quelques amis et installée dans des bureaux avec vue sur Kungsholmen. Elle s'était spécialisée en droit de la famille et, sans que Mikael s'en rende vraiment compte, sa petite sœur avait commencé à apparaître sur les pages des magazines et dans des débats à la télé comme féministe célèbre et avocate des droits de la femme. Elle représentait souvent des femmes menacées ou harcelées par leurs maris ou ex-petits amis.

Quand Mikael l'aida à sortir les tasses pour le café, elle posa la main sur son bras et lui demanda comment il allait.

— Comme un vrai sac de merde, si tu veux savoir.

— Engage donc un véritable avocat la prochaine fois, dit-elle.

— Dans cette affaire, je pense que le meilleur avocat au monde n'aurait rien changé.

— Qu'est-ce qu'il s'est réellement passé ?

— Une autre fois, petite sœur.

Elle le serra tendrement contre elle et lui planta une bise sur la joue avant qu'ils rejoignent les autres avec le gâteau et le café.

Vers 19 heures, Mikael s'excusa et demanda s'il pouvait utiliser le téléphone dans la cuisine. Il appela Dirch Frode et l'obtint au bout du fil, avec un brouhaha de voix dans le fond.

— Joyeux Noël, salua Frode. Vous vous êtes décidé ?

— Je n'ai rien de spécial à faire et vous avez réussi à éveiller ma curiosité. Je viendrai le 26, si ça vous convient.

— C'est parfait. Si vous saviez combien votre décision m'enchante. Excusez-moi, mais je suis entouré d'enfants et de petits-enfants et j'ai du mal à entendre ce que vous dites. Puis-je vous appeler demain pour fixer une heure ?

MIKAEL BLOMKVIST REGRETTA sa décision avant la fin de la soirée, mais à ce stade cela lui paraissait trop compliqué de revenir sur sa parole et, le matin du 26, il s'installait dans le train en partance pour le Nord. Mikael avait le permis de conduire mais ne s'était jamais donné la peine d'acheter une voiture.

Frode avait raison, le voyage était de courte durée. Il passa Uppsala, puis ce fut le collier clairsemé de petites villes industrielles le long de la côte. Hedestad était l'une des plus petites, à un peu plus d'une heure mi nord de Gävle.

Dans la nuit, il y avait eu de violentes chutes de neige, mais le ciel s'était dégagé et l'air était glacial quand il descendit à la gare. Mikael réalisa immédiatement que ses vêtements n'étaient pas adaptés à l'hiver rigoureux du Norrland. Dirch Frode l'identifia cependant immédiatement, le cueillit avec bonhomie sur le quai et le fit rapidement entrer dans la chaleur d'une Mercedes. En ville, le déblayage de la neige battait son plein, et Frode slaloma prudemment entre les grandes pelles des chasse-neige. La neige formait un contraste exotique avec Stockholm, on se serait dit dans un autre pays, alors qu'on n'était qu'à un peu plus de trois heures de la capitale et de ses marchés de Noël dans la vieille ville. Mikael regardait l'avocat à la dérobée ; un visage anguleux, des cheveux blancs coupés très court et d'épaisses lunettes sur un gros nez.

— Votre première visite à Hedestad ? demanda Frode. Mikael hocha la tête.

— C'est un vieux bourg industriel. Pas bien grand, il n'y a que vingt-quatre mille habitants. Mais les gens s'y plaisent. Henrik habite à Hedeby, la partie ancienne, le Village, comme on l'appelle — c'est juste à l'entrée sud de la ville.

— Vous habitez ici aussi ? demanda Mikael.

— Ça s'est fait tout seul. Je suis né en Scanie, mais j'ai commencé à travailler pour Vanger tout de suite après mon diplôme en 1962. Je suis spécialisé en droit des sociétés et, les années aidant, Henrik et moi sommes devenus des amis. Aujourd'hui, je suis à la retraite, mais Henrik reste encore mon client, le seul. Lui aussi est à la retraite et il n'a pas besoin de mes services très souvent.

— Seulement pour débaucher des journalistes de mauvaise réputation.

— Ne vous mésestimez pas. Vous n'êtes pas le seul à avoir perdu un match contre Hans-Erik Wennerström.

Mikael lorgna Frode, ne sachant pas très bien comment interpréter sa remarque.