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— Parce que cette invitation a un rapport avec Wennerström ? demanda-t-il.

— Non, répondit Frode. Mais Henrik Vanger ne fait pas exactement partie du cercle des amis de Wennerström et il a suivi le procès avec un grand intérêt. C'est néanmoins pour une tout autre affaire qu'il veut vous voir.

— Affaire dont vous ne voulez pas me parler.

— Dont il ne m'appartient pas de parler. Nous avons fait en sorte que vous puissiez passer la nuit chez Henrik Vanger. Si cela ne vous convient pas, nous pouvons faire une réservation au Grand Hôtel en ville.

— Ben, je retournerai peut-être à Stockholm avec le train de ce soir.

A l'entrée de Hedeby, le Village donc, le chasse-neige n'était pas encore passé, et Frode força la voiture à avancer dans d'anciennes traces de roues gelées. Il y avait là un petit noyau de vieilles maisons en bois dans le style des anciennes agglomérations minières le long du golfe de Botnie. Alentour, on voyait des villas modernes plus grandes. Le Village commençait sur la terre ferme et se poursuivait au-delà d'un pont sur une île — Hedebyön — au relief accidenté. Côté continent, une petite église en pierre peinte en blanc se dressait tout près du pont et en face scintillait un panneau lumineux vieillot qui annonçait Pains et pâtisseries. Café Susanne. Une fois le pont franchi, Frode continua tout droit sur une centaine de mètres et s'engagea sur une esplanade dégagée devant un bâtiment en pierre. Le lieu était trop petit pour être qualifié de manoir, mais considérablement plus grand que les autres constructions, et il s'agissait de toute évidence du domaine du maître.

— Voici la maison Vanger, fit Dirch Frode. Autrefois l'animation y régnait, mais aujourd'hui seuls Henrik et une gouvernante habitent là. Ce ne sont pas les chambres d'amis qui manquent.

Ils descendirent de la voiture. Frode pointa le doigt vers le nord.

— La tradition veut que celui qui dirige le groupe Vanger habite ici, mais Martin Vanger — le petit-neveu de Henrik — voulait quelque chose de plus moderne et il s'est fait construire une villa au bout du promontoire.

Mikael regarda autour de lui et se demanda à quelle folie il avait succombé en acceptant l'invitation de maître Frode. Il se promit d'essayer à tout prix de retourner à Stockholm le soir même. Un escalier en pierre montait vers l'entrée et, avant qu'ils aient eu le temps d'y arriver, la porte s'ouvrit. Mikael reconnut immédiatement Henrik Vanger dont il avait vu des photos sur Internet.

Les photos le présentaient plus jeune, mais il avait l'air étonnamment vigoureux pour ses quatre-vingt-deux ans ; un corps musculeux, un visage bourru et buriné et des cheveux gris fournis, coiffés en arrière, qui prouvaient que ses gènes ne le destinaient pas à la calvitie. Il portait un pantalon sombre, soigneusement repassé, une chemise blanche et un tricot marron et usé. Il avait une fine moustache et des lunettes cerclées d'acier.

— Je suis Henrik Vanger, salua-t-il. Merci d'avoir accepté de venir me voir.

— Bonjour. J'avoue avoir trouvé l'invitation surprenante.

— Entrez au chaud. J'ai fait préparer une chambre d'amis ; vous voulez peut-être vous rafraîchir un peu ? On passera à table plus tard. Voici Anna Nygren qui s'occupe de moi.

Mikael serra brièvement la main d'une petite femme d'une soixantaine d'années qui prit son manteau qu'elle rangea dans une penderie. Elle proposa à Mikael des chaussons pour protéger ses pieds des courants d'air au sol.

Mikael la remercia, puis se tourna vers Henrik Vanger :

— Je ne suis pas sûr de rester jusqu'au repas. Ça dépend un peu du but de ce petit jeu.

Henrik Vanger échangea un regard avec Dirch Frode. Il y avait entre les deux hommes une connivence que Mikael n'arrivait pas à interpréter.

— Bon, j'en profite pour vous laisser, dit Dirch Frode. Il faut que je rentre chez moi sévir un peu avant que mes petits-enfants démolissent toute la maison.

Il se tourna vers Mikael.

— J'habite à droite de l'autre côté du pont. Vous y êtes en cinq minutes à pied ; c'est après la pâtisserie, la troisième villa côté plage. Si vous avez besoin de moi, passez-moi un coup de fil.

Mikael glissa la main dans sa poche et enclencha un magnétophone. Parano, moi ? Il n'avait aucune idée de ce que voulait Henrik Vanger, mais après le pétrin de l'année passée avec Hans-Erik Wennerström, il tenait à garder un témoignage précis de toutes les choses bizarres qui se passaient dans son entourage, et cette soudaine invitation à Hedestad appartenait définitivement à cette catégorie.

L'ancien industriel tapota l'épaule de Dirch Frode en guise d'au revoir et ferma la porte d'entrée, avant de reporter son intérêt sur Mikael.

— Dans ce cas je ne vais pas y aller par quatre chemins. Ce n'est pas un jeu. Je voudrais parler avec vous, mais ce que j'ai à dire exige un long entretien. Je vous demande d'écouter ce que j'ai à dire et de ne vous décider qu'ensuite. Vous êtes journaliste et je voudrais vous engager pour une mission. Anna a servi le café dans mon cabinet de travail à l'étage.

HENRIK VANGER MONTRA le chemin et Mikael le suivit. Ils entrèrent dans un cabinet de travail tout en longueur, de près de quarante mètres carrés, situé au bout de la maison. Un des murs était dominé par des rayonnages de livres de dix mètres de long, du sol au plafond, un mélange incroyable de romans, biographies, livres d'histoire, manuels de commerce et de pêche et dossiers A4. Les livres étaient rangés sans classement visible mais apparemment consultés régulièrement, et Mikael en tira la conclusion que Henrik Vanger était un homme qui lisait. Le mur en face était occupé par un bureau en chêne sombre, placé de façon que son utilisateur soit tourné vers la pièce. Au mur était accrochée une importante collection de fleurs pressées disposée en alignements méticuleux.

Par la fenêtre sur le petit côté, Henrik Vanger pouvait observer le pont et l'église. Il y avait un canapé et des fauteuils, avec une table basse sur laquelle Anna avait disposé des tasses, un thermos et des pâtisseries maison.

Henrik Vanger fit un geste pour inviter Mikael à s'asseoir, geste que Mikael fit semblant de ne pas voir, ce qui lui permit de faire un petit tour des lieux. Il observa d'abord la bibliothèque puis le mur avec les encadrements. Le bureau était rangé, à part quelques papiers empilés. Au bout du plateau il y avait une photographie encadrée d'une jeune et belle fille brune au regard espiègle ; une demoiselle qui fera des dégâts, pensa Mikael. C'était manifestement une photo de première communion, décolorée, qui donnait l'impression d'être là depuis de nombreuses années. Mikael se rendit soudain compte que Henrik Vanger l'observait.

— Tu te souviens d'elle, Mikael ? demanda-t-il.

— Comment ça ? Mikael leva les sourcils.

— Oui, tu l'as rencontrée. Tu t'es même déjà trouvé dans cette pièce. Mikael regarda autour de lui et secoua la tête.

— Non, comment pourrais-tu t'en souvenir ? J'ai connu ton père. J'ai engagé Kurt Blomkvist à plusieurs occasions dans les années 1950 et 1960 pour installer des machines et s'occuper de leur entretien. C'était un homme doué. J'ai essayé de le persuader de poursuivre ses études et de devenir ingénieur. Toi, tu étais ici au cours de l'été 1963, quand nous avons changé le parc de machines dans l'usine à papier ici, à Hedestad. On avait du mal à trouver un logement pour ta famille et nous avons solutionné le problème en vous installant dans la petite maison en bois de l'autre côté de la route. Tu peux la voir de la fenêtre.