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Le cas des Frères Rapetout octroya à Mikael le statut incontestable de vedette dont il avait besoin en tant que jeune journaliste débutant. Le revers de la célébrité était que l'autre journal du soir n'avait pu s'empêcher de titrer « Super Blomkvist résout le mystère Rapetout ». Le texte railleur était de la plume d'une rédactrice d'un certain âge et contenait une douzaine de références au héros des romans jeunesse d'Astrid Lindgren. Pour couronner le tout, le journal avait illustré l'article d'une photo floue sur laquelle Mikael, la bouche ouverte et l'index dressé, semblait donner des instructions à un policier en uniforme. En réalité, c'étaient les cabinets d'aisances au fond du jardin qu'il avait indiqués à ce moment.

A DATER DE CE JOUR, à son grand désespoir, il devint pour ses collègues journalistes Super Blomkvist. L'épithète était prononcée avec une taquinerie malicieuse, jamais méchamment mais jamais vraiment gentiment non plus. Il n'avait rien à reprocher à la pauvre Astrid Lindgren — il adorait ses livres et les aventures impliquant le jeune héros détective mais il détestait le surnom. Il lui avait fallu plusieurs années et des mérites journalistiques autrement plus consistants avant que l'épithète commence à s'effacer, et aujourd'hui encore il avait un mouvement de recul chaque fois qu'on utilisait ce surnom pour parler de lui.

Il afficha donc un sourire paisible et regarda l'envoyé du journal du soir droit dans les yeux.

— Bah, tu n'as qu'à inventer quelque chose. C'est ce que tu fais d'habitude pour tes papiers, non ?

Le ton n'était pas acerbe. Ils se connaissaient tous plus ou moins, et les plus acharnés détracteurs de Mikael avaient renoncé à venir. Auparavant, il avait travaillé avec l'un des gars qui se trouvaient là, quant à la Fille de Tv4 présente, il avait failli la draguer à une fête quelques années plus tôt.

— Ils ne t'ont pas loupé, constata Dagens Industrie qui avait apparemment dépêché un jeune remplaçant.

— On peut le dire comme ça, reconnut Mikael. Il pouvait difficilement répondre autre chose.

— Quelle impression ça fait ?

Malgré la gravité de la situation, ni Mikael ni les journalistes confirmés ne purent s'empêcher d'esquisser un sourire en entendant la question. Mikael échangea un regard avec la Fille de Tv4. Quelle impression ça fait ? La question que de tout temps les Journalistes Sérieux ont affirmé être la seule que les Reporters Sportifs sachent poser au Sportif Hors d'Haleine ayant franchi la ligne d'arrivée. Puis il retrouva son sérieux.

— Bien entendu, je ne peux que regretter que le tribunal n'ait pas tiré d'autres conclusions, répondit-il de façon un peu formelle.

— Trois mois de prison et 150 000 couronnes de dommages et intérêts. Ce n'est pas rien, fit la Fille de Tv4.

— Je survivrai.

— Comptes-tu présenter tes excuses à Wennerström ? lui serrer la main ?

— Non, j'ai du mal à l'imaginer. Mon opinion sur la moralité en affaires de M. Wennerström n'a pas beaucoup changé.

— Tu soutiens donc toujours qu'il est un escroc ? demanda vivement Dagens Industri.

Une déclaration coiffée d'un titre potentiellement dévastateur se profilait derrière la question et Mikael aurait très bien pu glisser sur la peau de banane si le reporter n'avait pas signalé le danger en avançant son microphone avec un peu trop d'empressement. Il réfléchit à la réponse pendant quelques secondes.

Le tribunal venait d'établir que Mikael Blomkvist avait calomnié le financier Hans-Erik Wennerström. Il avait été condamné pour diffamation. Le procès était terminé et il n'avait pas l'intention de faire appel. Mais que se passerait-il si par imprudence il réitérait ses accusations à peine sorti de la salle du tribunal ? Mikael décida qu'il n'avait pas envie de savoir.

— J'ai estimé avoir eu de bonnes raisons de publier les informations dont je disposais. Le tribunal a été d'un autre avis et je suis évidemment obligé d'accepter que le processus juridique ait suivi son cours. Nous devons maintenant discuter ce jugement à fond à la rédaction du journal avant de décider de ce que nous allons faire. Je ne peux rien dire de plus.

— Mais tu as oublié qu'en tant que journaliste, on doit pouvoir justifier ses affirmations, dit la Fille de Tv4, un soupçon de causticité dans la voix. Mise au point difficile à contester. Ils avaient été amis. Elle affichait un visage neutre mais Mikael avait l'impression de distinguer l'ombre d'une déception dans ses yeux.

Durant quelques douloureuses minutes encore, Mikael Blomkvist répondit aux questions. Celle qui planait dans l'air mais qu'aucun reporter ne pouvait se résoudre à poser — peut-être parce que c'était si incompréhensible que c'en devenait gênant — était comment Mikael avait pu écrire un texte à ce point dénué de substance. Les reporters sur place, à part le remplaçant de Dagens Industri, étaient tous des vétérans dotés d'une grande expérience professionnelle. Pour eux, la réponse à cette question se trouvait au-delà de la limite du compréhensible.

La Fille de Tv4 lui demanda de se mettre devant la porte du palais de justice et posa ses questions à part face à la caméra. Elle était plus aimable que ce qu'il avait mérité et il fournit suffisamment de déclarations pour satisfaire tous les journalistes. L'affaire allait donner de gros titres — c'était inévitable — mais il se força à garder en tête qu'elle n'était en aucun cas le plus grand événement médiatique de l'année. Quand les reporters eurent obtenu ce qu'ils voulaient, chacun se retira vers sa rédaction respective.

IL S'ÉTAIT DIT qu'il rentrerait à pied, mais la journée de décembre était venteuse, et l'interview l'avait pas mal refroidi. Debout seul sur l'escalier du palais de justice, il levait les yeux quand il vit William Borg descendre d'une voiture qu'il n'avait pas quittée pendant le déroulement de l'interview. Leurs regards se croisèrent, William Borg arborait un grand sourire.

— Ça valait la peine de venir jusqu'ici pour te voir avec ce document à la main.

Mikael ne répondit pas. William Borg et Mikael Blomkvist se connaissaient depuis quinze ans. A une époque, ils avaient travaillé ensemble dans un quotidien du matin comme journalistes remplaçants pour la rubrique économie. Peut-être s'agissait-il de chimie incompatible entre personnes, cette période-là avait en tout cas fondé une hostilité qui durait encore. Aux yeux de Mikael, Borg était un journaliste exécrable, un être fatigant et vindicatif à l'esprit étroit, qui gonflait son entourage avec des plaisanteries imbéciles et qui maniait le mépris à l'égard de journalistes plus âgés, donc plus expérimentés. Borg semblait avoir une aversion particulière pour les journalistes féminins d'un certain âge. Ils s'étaient pris de bec une première fois, puis d'autres, jusqu'à ce que leur opposition prenne un caractère profondément personnel.